Une loi anti-vire-capot ?

Il y a des problèmes beaucoup plus prioritaires à régler

Tribune libre

Après avoir fait adopter une loi limitant à 100$ par individu le financement des partis politiques et abaissant le seuil des dépenses électorales de ces derniers, ainsi qu’avoir présenté un projet de loi instituant des élections à date fixe, voici que le ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, annonce qu’il a mis d’autres fers au feu. Mais est-ce les bons, ceux qui devraient être prioritaires? Nous ne le pensons pas.
Ainsi, il songe à présenter un projet de loi obligeant les députés qui changent d’allégeance partisane à affronter l’électorat de nouveau lors d’élections complémentaires à moins qu’il ne siègent comme indépendants jusqu’au déclenchement d’élections générales. On a déjà surnommé «loi anti-vire-capot» cette législation en gestation. L’annonce a, bien entendu, suscité des réactions opposées dépendant de la conception qu’on se fait du concept de la représentation en régime démocratique. Les députés jouissent-ils d’une marge de manœuvre pouvant aller jusqu’à changer de parti ou, au contraire, reçoivent-ils un mandat impératif de leurs électeurs dont ils ne peuvent déroger?
Ce débat fait écho au geste posé par les trois députés qui ont quitté le Parti québécois pour se joindre à la Coalition avenir Québec pendant la dernière législature. Évidemment, ces transfuges ont fortement indisposé les dirigeants de l’actuel parti gouvernemental. Mais ce n’est pas une raison pour qu’ils accordent autant d’importance à une question somme toute secondaire dans le dossier de la réforme électorale et encore davantage dans celui de l’ensemble de la réforme des institutions démocratiques.
Le focus est mis sur la gouvernance; non la représentation
Le gouvernement Marois a-t-il oublié que le principe cardinal d’une démocratie représentative, qui repose sur la souveraineté populaire, est le respect de la volonté des électeurs. Les élections ne constituent pas, en effet, une fin en soi mais un processus pour enregistrer la volonté populaire. En conséquence, le but du mécanisme servant à transposer les suffrages populaires en sièges parlementaires, le mode de scrutin, ne peut être que d’assurer le plus fidèlement possible le respect du choix des électeurs.
Lee scrutin majoritaire a eu comme effet de détourner vers une fonction accessoire l’usage pour lequel le système électoral a été conçu. Ainsi, le focus est passé de la fonction de la représentation à celle de la gouvernance. Pourtant, comme l’a écrit le politicologue Vincent Lemieux, les exigences de la représentation doivent primer. La gouvernance doit composer avec les contraintes de la représentation et non pas contraindre cette façon pour qu’elle gêne le moins possible la gouvernance. Il faut donc trouver des moyens pour que les deux s’ajustent. C’est ce que permet précisément le scrutin mixte compensatoire, proposé au Québec par le Mouvement pour une démocratie nouvelle, qui combine des éléments du scrutin majoritaire avec ceux de la représentation proportionnelle de façon à corriger les distorsions causées par le premier.
Le PQ a renié l’héritage démocratique de Lévesque
«Démocratiquement infect». C’est le qualificatif dont René Lévesque a coiffé le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour qui régit nos élections. À celles de 1944, 1966 et 1998 le système a même dérapé complètement car le parti qui a fini second dans les suffrages populaires a gagné l’élection! Lorsque ça s’est produit en faveur de l’Union nationale, en 1966, Lévesque, alors ministre libéral, avait parlé d’«un sabotage officiel et extrêmement pernicieux des fondements de la démocratie ». Pourtant, en 1998, c’est en faveur du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard que ce «sabotage» s’est produit et ce dernier n’a pas posé le moindre geste par la suite pour éviter qu’il ne se reproduise à nouveau. Pis, le PQ a reporté «après l’accession du Québec à la souveraineté» toute réforme du mode de scrutin lors de son congrès suivant. Puis, lors du congrès d’avril 2011, il a biffé cet engagement de son programme avec la bénédiction de Pauline Marois même s’il s’y trouvait depuis 1969 et avait été renouvelé à tous les congrès depuis 42 ans!
Pourtant, le PQ avait adopté le rapport des État généraux sur la réforme des institutions démocratique qui ont eu lieu en 2002-2033. Les 1 000 délégués à ces assises –la plus vaste consultation populaire de notre histoire dans ce domaine- s’étaient alors prononcés à 90% en faveur de l‘adoption d’un scrutin proportionnel. Quelle volte face!
Maintenant le PQ propose de recommencer à zéro un long et exigeant processus qui prendrait plusieurs années et qui serait une répétition des trois qui ont eu lieu depuis 1970 sous les gouvernements Bourassa, Lévesque et Charest, mais qui ont débouché sur un cul-de-sac à cause de l’absence de volonté politique. Ces démarches se sont faites, chaque fois, à grands renforts de commissions parlementaires qui ont reçu des centaines et des centaines de mémoires; de commissions d’étude qui ont fait le tour du Québec pour consulter la population; de livres verts et même d’avant-projets de loi. Tellement que le dossier de la réforme du mode de scrutin est le mieux documenté de tous ceux relevant de l’administration provinciale; mais tout est tabletté, renvoyé aux calendes grecques.
Il est donc évident qu’après quatre décennies de piétinement et de volte-face des partis traditionnels, qui se sont pourtant prononcés à tour de rôle en faveur d’un scrutin proportionnel, le dossier n’est pas plus avancé parce que la volonté politique n’existe pas et que seul prime un opportunisme électoral à courte vue. Présentement, les trois principaux partis représentés à l’Assemblée nationale ne veulent rien savoir de la déformation de l’expression de la volonté populaire qui s’est encore manifestée dans les résultats des dernières élections. Seul Québec solidaire s’en préoccupe et a proposé un scrutin mixte avec compensation pour y mettre fin. À tour de rôle, les partis traditionnels corrigent quelques lacunes dans le fonctionnement du système mais on ignore ses problèmes structurels.
Pourtant, pendant la dernière campagne électorale, on a pu constater que l’urgence de réformer le mode de scrutin a été un des sujets les plus fréquemment abordés par les commentateurs et les citoyens autant dans les médias sociaux que traditionnels. Il était alors saisissant de constater comment le fossé était profond avec les trois principaux partis qui, mus par leur opportunisme électoral à courte vue, ont complètement ignoré cet enjeu capital. De plus, on a pu constater que les expressions favorables à une réforme n’ont fait qu’augmenter ces derniers mois. Assisterons-nous bientôt à un réveil de l’opinion publique?
De plus en plus de citoyens constatent qu’il s’est développé dans notre système électoral une imposture capitale qui a instauré le chaos. Il n’est plus question de stabilité parlementaire, il n’est plus question même d’alternance au pouvoir. Notre démocratie représentative est à la remorque d’un mode de scrutin majoritaire désaxé qui constitue une véritable boite à surprise et qui produit des résultats fantasques. Toutefois, les partis dominants sont encore confiants de tirer leur épingle du jeu et veulent conserver le statu quo.
Paul Cliche,
Montréal, 23 janvier 2013

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Paul Cliche76 articles

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Membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle et auteur du livre Pour une réduction du déficit démocratique: le scrutin proportionnel ; membre de Québec Solidaire; membre d’ATTAC Québec; membre à vie de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal.





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    24 janvier 2013

    Le principe de démocratie au sens large est dépassé.
    L'idéal serait d'avoir plusieurs institutions gouvernementales parallèle séparé les uns des autres qui aurait juridiction que sur une population respective en fonction des idées véhiculé. Des gouvernements parallèle qui ne gouvernerait que ceux qui y adhèrent. Autrement dit, plutôt que d'élire un parti politique contre un autre, on choisi le gouvernement qu'on veut.
    Et ainsi nous pourrions avoir par exemple un gouvernement indépendantiste qui ne gouvernerait que les indépendantistes, ce qui nous permettrait de séparer les indépendantistes des fédéralistes. Nous pourrions également avoir un gouvernement pour la droite et un pour la gauche, ce qui nous permettrait de séparer la gauche de la droite. Chaque gouvernement parallèle aurait sa propre zone d'influence, il n'y aurait plus de frontières prédéfini, mais des frontières qui serait modifié constamment selon le nombre d'adhérent et leur emplacement.
    L'idée de tout centraliser en un seul gouvernement est dépassé. Il faut abolir l'Assemblée Nationale et diviser ce gouvernement en plusieurs.

  • Laurent Desbois Répondre

    23 janvier 2013

    Parti de la Réforme, Proportionnelle-mixte
    http://www.votons-prpm.org/fr/accueil.php
    Wow Percutante analyse ! Est-ce cela que nous voulons ?
    Regardez la coalition fédéraliste au pouvoir. Oups... réfléchissons
    Un scrutin majoritaire à deux tours est infiniment plus efficace pour dégager une majorité et une gouvernance efficace et c’est ce qui compte. J’invite ceux que cette question intéresse a voir l’argumentaire dans les articles en lien ci-dessous.
    http://www.vigile.net/Duceppe-propose-le-pire-systeme
    NON, à la représentation proportionnelle
    http://nouvellesociete.wordpress.com/2008/03/11/158-non-a-la-representation-proportionnelle/
    Moi, c’est un pays que je veux!!! C’est aussi simple que cela…
    "Comme si la lutte de libération nationale n'était pas, en soi, un projet de société. Le bateau coule et des passagers veulent discuter de l'aménagement intérieur de la chaloupe. Ramons, câlice! On discutera ensuite de la couleur de la casquette du capitaine ou de la forme des rames. L'indépendance n'est pas le paradis. Ce n'est pas la solution à tous nos problèmes. Mais il s'agit de choisir enfin. Ou le statut de nation annexée à jamais, ou la liberté." Pierre Falardeau
    https://www.facebook.com/groups/2250951279/#!/photo.php?fbid=329507733810807&set=a.197461053682143.44945.100002547500896&type=1&theater
    Mes adversaires, ce sont les fédéralistes orangistes et j’en ai les mains pleines!!! (Conservateurs, libéral ou… NDP)

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2013

    Vous avez tout à fait raison, mais comme dit Étienne Chouard "démocratie représentative" est un oxymore.
    Un oxymore est une figure de style qui vise à rapprocher deux termes (un nom et un adjectif) que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire.
    La démocratie n'est pas l'élection et l'élection n'est pas la démocratie. C'est un mythe et un dogme. Et c'est aussi maintenant un paradigme qu'il convient de changer.
    Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie (matrice disciplinaire, modèle théorique ou courant de pensée). C'est une forme de rail de la pensée dont les lois ne doivent pas être confondues avec celles d'un autre paradigme et qui, le cas échéant, peuvent aussi faire obstacle à l’introduction de nouvelles solutions mieux adaptées. (Wikipédia)
    L'erreur fondamentale consiste à croire qu'il n'y a rien d'autre possible que l'élection, quelle soit uninominale ou mixte compensatoire. On aura beau lui donner le visage qu'on voudra cela demeure l'élection qui, par essence est aristocratique et dérive inévitablement vers l'oligarchie.
    Cela prendra le temps qu'il faudra pour changer de paradigme.
    Pierre Cloutier