Faut le voir pour le croire

Faut le faire !

Tribune libre

« Faut le voir pour le croire »
Faut le faire !
Jean Lauzon Ph.D., sémioticien de la photographie
Il nous paraît surprenant que l’on puisse encore s’étonner de quelque démonstration que ce soit visant à faire la preuve qu’un dispositif, quel qu’il puisse être par ailleurs, soit à l’origine de notre perception et de notre compréhension du monde. Il ne saurait en être autrement ! Dans Le Devoir des 30 et 31 janvier derniers, Marie-Ève Charron qui rend compte de l’installation fabriquée par l’artiste Steve Lyons afin de dénoncer pour une énième fois la « prétendue véracité de l’image photographique » semble pourtant persuadée du caractère ingénieux de l’expérience et du caractère convaincant du résultat. Il s’agit pourtant là d’une vieille évidence.
Depuis belle lurette déjà que la photographie a fait l’objet d’études théoriques poussées montrant qu’il s’agit effectivement d’un dispositif que l’on se devait d’étudier au moins autant, à ce titre, que ce que l’on photographie à l’aide du dispositif en cause. D’en faire une nouvelle démonstration n’ajoute rien à l’affaire et a quelque chose d’archaïque. De plus, on confond encore le concept de vérité avec celui d’authenticité; une photographie peut s’avérer vraie comme photographie (l’installation de Lyons est vraie, réelle, concrète) et ne pas être authentique en regard de ce qui a été photographié (en l’occurrence mis en scène et donc partie prenante du dispositif). D’utiliser un dispositif analogue à celui dénoncé nous amène aussi à émettre quelques soupçons sur la pertinence de la méthode, à tout le moins y déceler un certain paradoxe.
Depuis au moins Bachelard, on sait que les outils utilisés pour une expérience de même que l’expérimentateur sont aussi importants que l’objet étudié et que tous concourent aux conclusions des expériences en question. De penser que l’on pourrait avoir directement accès aux choses du monde sans médiation est davantage un leurre que les outils dont nous disposons pour ce faire; un leurre subtil cela étant. La prétendue fausseté de la photographie, sous le fallacieux prétexte qu’elle ne serait qu’un « dispositif », s’inscrit dans une logique qui pourrait nous entraîner à la négation même du monde. Ce qui ne nous semble pas souhaitable.
Faire de l’ordre avec du désordre, d’autre part, est l’objet même d’une démarche qui se voudrait philosophique, plus sage par définition; devant le chaos du monde, essayer du faire du sens est le propre des grands systèmes de pensée proposés par certains philosophes. Et voilà ce que Lyons a simplement refait, moins l’envergure. M.-È. Charron le souligne bien : « L’artiste […] fournit en effet l’outil permettant de faire du ménage avec ce désordre ».
On peut s’en amuser, comme on s’amusait jadis et encore aujourd’hui des anamorphoses, par exemple, qui apparaissent pratiquement illisibles mais que l’on peut décoder avec le dispositif optique approprié. Mais de là à s’en surprendre ou de vouloir faire croire à une étonnante découverte en 2010, on nous permettra d’émettre de sérieux doutes. Dans la même veine, par exemple, les dispositifs photographiques d’un Georges Rousse étaient et sont encore tout aussi convaincants et beaucoup plus intelligents.
« Il faut le voir pour le croire », conclut la collaboratrice du Devoir. Peut-être ; mais entre l’évangéliste Jean qui, en son temps, a dû voir pour croire, et l’apôtre Thomas qui n’a pas voulu croire juste en voyant, nous préférons ce dernier ! Pour signifier aussi que tout ce débat, si débat il y avait, puiserait ses racines au sein de strates historiques beaucoup plus profondes et anciennes que ce que l’on semble encore vouloir nous faire croire…


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