Expulser symboliquement les Québécois de chez eux

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« Il devient urgent de ramener à la baisse de manière significative les seuils d’immigration, et pas seulement de manière cosmétique, comme le propose le gouvernement Legault. »


Les observateurs pas trop myopes le savaient depuis longtemps, et il suffisait d’étudier les comportements électoraux pour s’en rendre compte, mais il semble bien que le débat de la laïcité impose le sujet au cœur de l’espace public: Montréal se détache mentalement du reste du Québec à grande vitesse. La métropole est de plus en plus traversée par la tentation de la cité-État, bilingue et multiculturelle, comme en témoigne le positionnement de ses élites sur les questions identitaires. Mais la nature de cette fracture reste à nommer, même si l’empire du politiquement correct veut nous faire croire qu’elle est essentiellement géographique, les métropoles intégrées à la mondialisation étant apparemment mieux disposées envers la «diversité» que les régions.   


Ce que révèle l’hostilité montréalaise à la laïcité, c’est d’abord et avant tout la fracture de plus en plus évidente entre la majorité historique francophone et les populations issues de l’immigration, ce qu’a voulu nous faire comprendre à sa manière le caricaturiste de la Gazette en présentant la métropole comme le lieu d’une diversité admirable alors que le Québec francophone se caractériserait par une homogénéité consanguine . En d’autres mots, il y aurait Montréal-la-moderne qui travaillerait à s’arracher à l’emprise du Québec moisi. Il n’est pas certain toutefois qu’il faille conceptualiser la chose ainsi. Se pourrait-il qu’au Québec, ce soit moins la majorité qui rejette les minorités que l’inverse? Se pourrait-il qu’une proportion significative des nouveaux arrivants adhère non seulement au Canada mais à sa vision condescendante du peuple québécois? Se pourrait-il que mieux on s’intègre au Canada, plus on rejette le Québec? Comment comprendre autrement le vote quasi-soviétique contre tous les partis politiques qui représentent de près ou de loin le nationalisme de la majorité historique francophone?   


Nommons les choses telles qu’on les voit: la majorité historique francophone est en voie de minorisation à Montréal, ce que notait d’ailleurs dans La Presse Gérard Bouchard, le grand théoricien du multiculturalisme québécois post-référendaire . En d’autres mots, Gérard Bouchard expliquait doctement que l’immigration massive a contribué en assez peu de temps à la minorisation des Québécois francophones dans leur métropole. Comment nommer cette minorisation programmée d’un peuple dans son propre pays? On relira l’œuvre de Gérard Bouchard pour voir à quel point celui qu’on considère comme un grand intellectuel et un vieux sage a produit depuis plus de vingt ans une pensée qui a prétendait paradoxalement reconstruire la nation québécoise en la vidant de sa substance et qui connait aujourd’hui son ultime naufrage intellectuel en soutenant que le projet de loi 21 baigne dans des «eaux sulfureuses».   


Ce n’est pas d’hier que le Canada utilise l’immigration massive pour nous submerger démographiquement – René Lévesque était moins pudique et accusait Ottawa de miser sur l’immigration pour nous «noyer». C’est ainsi, ne l’oublions pas, que le Canada est parvenu à gagner le dernier référendum. Ce qui est tragique, dans la présente conjoncture historique, c’est qu’on trouve au Québec une faction de nos élites complice du régime fédéral qui en est venue à croire que c’est en adhérant pleinement au multiculturalisme le plus extrême que nous pourrions nous purger de nos supposés vieux démons identitaires. On y verra le signe d’une canadianisation mentale d’une partie de notre classe dirigeante, et plus particulièrement, de nos élites médiatiques, universitaires et juridiques, qui ont appris à penser dans les catégories idéologiques du régime de 1982, qui impose son empire sur les consciences.     


Cela ne veut pas dire que nous ne parvenons pas à québéciser une partie des nouveaux arrivants, et on ne peut que se réjouir de chaque réussite que l’on rencontre, d’autant qu’elle est particulièrement méritoire. Il y a quelque audace à embrasser le destin d’un peuple aussi précaire et à l’avenir aussi incertain que le nôtre. Mais cette proportion demeure terriblement insuffisante. Un nouveau peuple prend forme à Montréal et il veut se séparer du peuple québécois, assimilé à une population homogène culturellement retardataire. Ne croyons pas, malheureusement, que ce discours est présent seulement chez les excités qui accusent le Québec de «nettoyage ethnique». Trop souvent, on entend chez des jeunes qui se veulent les représentants d’une diversité un discours qu’on résumera à peu près ainsi: le Québec n’appartient pas aux Québécois, qui l’auraient volé aux Amérindiens, comme le font comprendre ceux qui répètent en boucle que la métropole serait un territoire non-cédé. Nous serions tous des immigrants. Mais les Québécois francophones, qui se prenaient pour le peuple fondateur de ce pays, seraient un peu moins légitimes que les autres, à cause de leur crime inaugural. C'est ce qu'on appelle un renversement identitaire.   


Cette conception trafiquée de notre histoire, relayée par le système d’éducation, en vient à délégitimer l’existence même du peuple québécois. Dans ce contexte, le rejet de la laïcité est d’abord et avant tout un rejet de la majorité historique francophone, à qui on veut désormais faire comprendre sans ambiguïté qu’elle est de trop chez elle. La coalition néo-partitionniste qui a pris forme à Montréal pourrait aussi être qualifiée de coalition néo-orangiste. Il s’agit aujourd’hui, une fois pour toutes, de casser le peuple québécois, de lui faire comprendre qu’il ne peut décider des paramètres de son existence collective, qu’il doit se soumettre à l’ordre canadien et qu’il doit s’accepter comme une minorité vaincue heureuse des droits qu’on lui concède encore.   


On peut naturellement s'opposer au projet de loi 21, mais quand on le fait en le faisant sous le signe de la lutte contre le racisme, on bascule à l'extérieur de la rationalité démocratique. C'est ce que font malheureusement ceux qui assimilent la poursuite de la laïcité à une forme de suprémacisme ethnique. De ce point de vue, le débat sur la laïcité doit être resitué dans une perspective globale. Quel discours identitaire administre-t-on aux Québécois? Qu’ils seraient globalement des occupants illégitimes sur des territoires non-cédés, qu’ils parleraient une langue inadaptée aux exigences de la mondialisation et les condamnant à la marginalisation linguistique en Amérique du nord, que leur société est coupable de racisme systémique et exclurait structurellement les populations issues de l’immigration des avantages de la coopération sociale, et qu’ils se complairaient dans une islamophobie haineuse. On appelle cela une entreprise d’expulsion symbolique d’un peuple de son propre pays, comme s’il y était de trop.   


La laïcité est évidemment valable en elle-même. Dans un monde de plus en plus éclaté, elle permet de recréer du commun au cœur de l’espace public. Elle vient aussi limiter les prétentions des communautarismes ethnoreligieux à coloniser l’espace public en cherchant à y imposer leurs symboles. Mais dans la situation présente, elle est devenue le lieu de recomposition de la question nationale. Ce sont deux légitimités qui s’affrontent : entre le multiculturalisme canadien et le droit du peuple québécois à définir lui-même son espace public, nous sommes devant deux principes contradictoires, et l’un des deux cédera. Le nationalisme québécois joue son avenir sur cette question. Et pour que la question nationale ne se dissolve pas une fois pour toutes sous la pression démographique canadienne, il faut consolider et même réaffirmer la place de la majorité historique francophone au Québec. Il faut en refaire ce que Fernand Dumont appelait le siège de notre culture de convergence.   


Devant cela, il devient urgent de ramener à la baisse de manière significative les seuils d’immigration, et pas seulement de manière cosmétique, comme le propose le gouvernement Legault, qui a au moins eu le mérite de rompre avec la logique du toujours plus. C’est ce que Jacques Houle propose dans un ouvrage essentiel (dont j’ai eu le privilège de signer la préface) qui vient de paraître aux éditions Liber. Le titre: Disparaître? En gros, en maintenant des taux d’immigration absolument démesurés par rapport à nos capacités d’intégration, nous programmons et finançons à même nos fonds publics notre propre suicide démographique et identitaire. Jacques Houle nous propose ainsi de sortir des tabous idéologiques qui compressent le débat public et de poser clairement la question de l’avenir du peuple québécois. Son livre devrait être lu et médité par tous ceux qui croient que le peuple québécois mérite non seulement de survivre, mais de prendre en main ses destinées.