Un collectif citoyen ose parler

Dire et contredire, puisqu'il le faut

Tribune libre

À n'en pas douter, le geste meurtrier perpétré au Centre islamique de Québec s'apparente à un acte de terreur, c'est-à-dire un acte qui veut provoquer une peur violente et incontrôlable, laquelle paralyserait la collectivité visée. Ainsi fut un acte de terreur la tuerie de Polytechnique en 1989 qui n'a pourtant jamais été nommée tel, qui a pétrifié les femmes partout dans le monde, et dont on n'a pas mesuré la portée et les effets véritables. Il en va de même pour l'acte de terreur de l'anglophone Richard Bain qui, de son propre aveu, voulait assassiner la première Première ministre du Québec et faire le plus de dommages possible parmi les séparatistes.

Cela étant précisé, le risque demeure grand d'oser émettre une opinion distincte de celle qui sort de la bouche de nos politiciens avec une rare unanimité, de celle qui envahit jusqu'à plus soif les médias et enfin de celle qui ordonne une pensée unique depuis le drame survenu dans la Capitale nationale. Cette pensée, qui a déjà tout pensé pour nous et qui n'a qu'un seul but, faire taire toutes objections, nous conduit dans un cul-de-sac. Même les esprits dont on attendait un éclairage d'une autre tonalité déçoivent ; ils se joignent au concert des bien-pensants et apportent peu à la réflexion que nous devrions entreprendre collectivement, réflexion capable de bâtir sa propre idée, et partant de mesurer la portée de l'événement pour ensuite explorer les diverses solutions.

Le Québec tout entier devrait s'abîmer dans la honte de ce crime, mais s'est-il abîmé dans la honte devant le crime de Gamil Garbi/Marc Lépine, le tueur de Polytechnique, ou celui de Richard Bain, le tueur du Métropolis ? Non. Ceux-ci n'étaient que des tireurs fous, rappelons-nous, immédiatement dissociables du politique. En revanche, le caractère socio-politique de l'attentat de Québec n'est nullement en cause. Celui-ci est cependant perçu, appréhendé et analysé comme un événement isolé du théâtre géo-politique mondial, et la responsabilité première sinon entière retombe sur les Québécois de souche. Le projet de Charte des valeurs, les radios ultra-conservatrices, l'intolérance nationaliste, les souverainistes sont pointés du doigt, quelquefois accusés. Pourtant, ce drame n'est-il pas que l'une des innombrables batailles de la guerre terroriste, guerre dont l'accélération a été fulgurante depuis le 11 septembre 2001 ?

Dès le dimanche fatal, le discours univoque, fleuri de bons sentiments et magnifié par les mots des experts, qu'ils soient policiers, psychologues, politologues et sociologues, juristes, chercheurs ou professeurs, non seulement ne nous apprend-t-il rien de nouveau, mais il est à craindre qu'il fasse encore plus de dommages qu'il s'en trouve déjà. Pourquoi cela ? Par ses jugements péremptoires et ses objurgations méprisantes en boucle — repli identitaire, crispation nationaliste, sans oublier les mortifères et abusifs islamophobe ou zénophobe, mais surtout l'accusation-massue de raciste —, il accule au silence quiconque ne partage pas cette vision d'un monde a-culturel, capable d'accueillir des valeurs contradictoires et insolubles dans la démocratie, même d'ouvrir avec une imprudence dangereuse ses frontières. Il force les retraits contrits et les mea culpa penauds, comme ceux récents d'une écrivaine militante et d'un journaliste dont la réputation d'honnêteté intellectuelle n'est plus à faire. Continuer à ne pas entendre et ne pas chercher à comprendre les craintes légitimes d'un peuple inquiet de son avenir équivaut à refuser un vrai dialogue, refus qui coûtera très cher à notre société en la divisant, et à brève échéance en opposant certaines collectivités de façon irréductible.

Pour mieux comprendre ce tragique événement et chercher des solutions viables, tentons d'abord d'établir/rétablir quelques FAITS éclipsés par nos ténors politiques et journalistiques :

— la terreur cette fois a changé de camp ; sauf erreur ce serait la première fois en Occident que plusieurs musulmans sont tués par un assassin blanc, de confession chrétienne catholique, parce qu'ils étaient musulmans, comme les polytechniciennes l'avaient été en 1989 par un forcené misogyne parce qu'elles étaient femmes ;

— la terreur islamiste, en 2016 seulement, a tué au moins 191 personnes et a blessé 800 autres en Occident ; au Moyen-Orient, en Afrique et dans le reste du monde cette même terreur islamiste a tué plus de 2205 personnes et a blessé 2603 femmes, hommes et enfants ;

— la terreur est sexuée, vérité imbuvable qu'on ne veut à aucun prix regarder, encore moins nommer et analyser ; quelques récents exemples : Anis Amri (Berlin, 2016), Mohamed Lahouaief Bouhlel (Nice, 2016), Micah Johnson (Dallas, 2016), Ibrahim et Khalid El Bakraoui (Bruxelles, 2016) Anders Breivik (Oslo, 2011) et des centaines d'autres hommes, à quelques rares exceptions comme ces fillettes de 6 ans en Irak, de 7 ans au Nigeria et de 7 ans en Syrie, ou encore quelques kamikazes de sexe féminin qu'on soupçonne avec raison d'être sous influence ;

— la société québécoise contracte avec chaque nouvel arrivant un devoir de lui assurer une place honnête en son sein ; par contre, la communauté musulmane, si prompte à se voir stigmatisée, ne cesse de brandir ses droits et se soucie trop peu d'accomplir les devoirs d'intégration qui sont les siens ;

— la laïcité (sans tergiversation) demeure dans un premier temps l'outil le plus fiable pour guérir les plaies mises à vif par cet attentat, le garde-fou contre ces fous de dieu qui mettent la démocratie à mal et l'abri contre le projet mondial politico-religieux islamiste.

Comme tant d'humains, nous appelons de nos vœux et de nos rêves un monde de paix, mais peut-il s'ériger sur une vérité tronquée et sur un silence imposé ? Les fausses prémisses, les préjugés tenaces et les mensonges politiciens sont si patents dans la lutte au terrorisme qui se mène depuis plus de deux décennies que celle-ci n'enregistre aucun recul ni aucun succès, au contraire.

Ne nous taisons pas. Osons dire ce que les politiciens et les médias camouflent, étouffent, voire interdisent, pour nous permettre de penser plus juste. Osons dire, et n'ayons plus peur de les contredire.

Pierre Beauchesne, ingénieur
Nicole Beauvais, gestionnaire
Louis Doucet, militant
Thérèse Lamartine, autrice
Carole Lamoureux, professeure
Jean-Paul Lahaie,syndicaliste à la retraite
Suzanne Lalonde, travailleuse sociale
Hélène Lyonnais, citoyenne engagée
Léon Ouakine, écrivain
Marthe Payette, militante
Antoine Prud'homme, retraité
Andrée Yanacopoulo, autrice


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3 commentaires

  • Yves Corbeil Répondre

    17 février 2017

    Une très bonne intervention d'un abonné du devoir.
    Jean Duchesneau - Abonné
    17 février 2017 10 h 13
    écoutez "Les tisserands" messieurs Couillard et Trudeau!!
    Islamophobie: Un mot qui sert à"... anéantir toute critique de l’islam et bâillonner ceux qui cherchent à réformer cette religion..."
    Plusieurs réformateurs de l'islam invitent les musulmans à cesser de se victimiser en entreprenant une réforme spirituelle. Bruckner veut nous faire comprendre que ce mot est trop chargé et n'aide en rien les musulmans eux-mêmes. Le conflit est moins entre l'islam et l'occident mais entre les musulmans entre eux. Il faut lire et relire Abdenour Bidar, philosophe musulman français, dans sa "Lettre ouverte au monde musulman" (Huffington Post) qui tente de sensibiliser les musulmans à cesser de nier les multiples réalités de l'islam.
    "(...) Il faut que tu commences par réformer toute l'éducation que tu donnes à tes enfants, que tu réformes chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (...) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! Tu ne peux plus faire moins que ta révolution spirituelle la plus complète ! C'est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres (EI), et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction. Quand tu auras mené à bien cette tâche colossale - au lieu de te réfugier encore et toujours dans la mauvaise foi et l'aveuglement volontaire, alors plus aucun monstre abject ne pourra plus venir te voler ton visage." Dans son dernier livre, "Les tisserands" Abdenour Bidar en rajoute en proposant des bases de convergence afin de "réparer ensemble le tissu déchiré du monde". Chacun a son bout de chemin à faire afin de tisser les liens.

  • Yves Corbeil Répondre

    17 février 2017

    Mme Lamartine,
    Dans notre monde d'aujourd'hui ou tout est dans l'instantané avec twitter, facebook et les autres plateformes d'opinions.
    Comment pensez-vous que c'est possible d'avoir un discours normal quand tout ce qui perturbent et impactent notre quotidien est commenté en direct et par tout le monde comme moi.
    Je crois qu'on a besoin de réfléchir et je demande aussi à nos politiciens de réfléchir car les gestes récents ne sont pas réfléchis mais en réaction aux évenements, et certains autres gestes sont posé par pur partisanerie.
    Décadence De Michel Onfray,
    http://michelonfray.com/
    La décadence de nos sociétés doit être lu, méditer et discuter car nos sociétés s'en vont vers le transhumanisme plus rapidement que prévu.
    https://www.youtube.com/watch?v=A-RLivkA5X4

  • Gaston Carmichael Répondre

    17 février 2017

    Alexandre Bissonnette n'est pas différent d'un Richard Henry Bain. Ce sont des sociopathes/psychopathes, qui laissent libre cours à leur folie meurtrière. Pour Bain, son obsession était politique, pour Bissonnette, son obsession était les musulmans, Ça aurait tout aussi bien pu être les femmes, comme pour Lépine.
    Pourquoi devrais-je faire un examen de conscience et faire pénitence à cause de ces détraqués?
    Quand Bain s'est attaqué aux maudits séparatistes, as-t-on demandé aux anglophones de faire un examen de conscience?
    C'est assez incroyable. D'un côté, on tente faire porter à toute une société la responsabilité d'un schizophrène qui frappe au hazard. De l'autre, il ne faut surtout pas faire d'amalgame avec une religion et des terroristes qui frappent à répétition un peu partout sur la planète, et qui se réclament de l'Islam.
    Je veux bien ne pas faire d'amalgame entre des terroristes islamiques et l'Islam, mais pourquoi notre "establishment" s'est-elle empressé de faire un amalgame, qui est cent fois plus absurde, entre Bissonnette et les "de souche". C'était ignoble.