Dans les pays développés, le boum des femmes sans enfants

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La conséquence logique du féminisme, du libéralisme, des Lumières et de l'humanisme

Plusieurs pays développés ont dépassé le taux de 20 % de femmes restées sans enfant.


Les jeunes Japonaises non mariées à 25 ans étaient affublées il y a peu encore du sobriquet de Christmas cake, parce qu’elles devenaient moins appétissantes comme un gâteau de Noël qui a passé la date du 25 décembre… Les célibataires sont encore fréquemment qualifiées de « parasites » dans l’archipel nippon, rapporte la sociologue Xiao Lei (1).


Dans un Japon où mariage et procréation demeurent des valeurs cardinales – moins de 3 % des enfants y naissent hors mariage –, nombre de Japonaises veulent échapper à la tradition, et les grandes villes s’adaptent à la nouvelle donne sociale. En 2010 à Tokyo, plus de 36 % des femmes de 30 à 39 ans étaient célibataires. Au niveau national, 29 % des femmes nées en 1974 sont restées sans enfant (certaines pouvant être mariées). « On s’attend à ce que ce taux continue à augmenter au Japon, mais aussi à Singapour, en Corée du Sud et à Taïwan », pronostique Tomas Sobotka, de l’Institut autrichien de démographie.


« Coût prohibitif »



Ces pays d’Asie du Sud-Est suivent la même courbe que Hong Kong où plus d’une femme sur trois (35 %) née en 1972 est restée sans enfant. « La pression pour le mariage, les fortes inégalités entre hommes et femmes, les contraintes économiques, le coût prohibitif pour élever un enfant contribuent à l’augmentation du célibat et au fait de ne pas avoir d’enfant », estime le démographe.



La vie sans enfant progresse également dans la plupart des pays développés, y compris dans des États européens où les évolutions sociétales ont été très rapides. En Espagne, le taux devrait atteindre 25 % pour les femmes nées en 1975, estiment Albert Esteve et Rocio Trevino, du Centre d’études démographiques espagnol. S’il n’est pas possible de tracer une frontière nette entre les situations subies et celles qui sont choisies (l’anglais distingue les childless et les childfree, les « sans enfant » et les « libres d’enfant »), selon les démographes, l’émancipation tardive en Espagne – 61 % des 18-34 ans vivent chez leurs parents – n’est pas étrangère à cette situation.


La société de marché, une société sans enfant


« Quantité de facteurs structurels concourent au fait que la maternité devienne une question de choix personnel », souligne la sociologue Anne Gotman, auteure de Pas d’enfant. La volonté de ne pas engendrer (2). S’appuyant sur les travaux du sociologue allemand Ulrich Beck, elle rappelle que, poussée à son paroxysme, la société de marché est une société sans enfant reposant sur l’individu débarrassé de tout « handicap » relationnel, conjugal ou familial. Et s’il y a une meilleure acceptation sociale de la vie sans enfant, « le phénomène est loin d’être inédit », rappelle-t-elle en évoquant les inquiétudes de Polybe concernant une Grèce antique souffrant d’un « arrêt de la procréation » et d’une « disette d’hommes ».


Plus récemment, au fil du XXe siècle, le taux d’infécondité a épousé une courbe en « U » sur le continent européen. De 20 à 23 % pour les femmes nées entre 1900 et 1915, le taux est tombé progressivement à 10 % pour celles nées au début des années 1940, puis n’a cessé de remonter, relevait une étude de l’Institut national d’études démographiques en 2017. Le démographe Laurent Toulemon avait ainsi pu inversement qualifier la hausse récente de l’infécondité comme « la fin d’une période exceptionnelle pendant laquelle la vie de couple ne se concevait guère sans enfant ».


 


(1) Journal of International and Advanced Japanese Studies, février 2017. (2) MSH, 2017, 248 p., 27 €.