Coronavirus : les leçons d’une pandémie (III)

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« L’Etat-stratège est en déconfiture et l’Etat de droit en sommeil. »


La plus grande des illusions françaises tient dans un paradoxe : alors que l’identité française est submergée par la mondialisation des produits et des comportements – mondialisation tronquée, d’ailleurs, car si les produits sont souvent chinois, les comportements sont toujours américains, avec une invasion du « globish » dans notre langue, comme si une idée était plus claire et plus forte « in English » -, les discours officiels, eux, continuent à souligner l’exemplarité française, l’exception française que le monde entier nous envie, éperdu d’admiration pour le pays des droits de l’homme. Ainsi en était-il de notre système de santé !


Le Covid-19 nous a réveillés au beau milieu de ce vieux rêve. Certes, l’accès aux soins est regardé avec beaucoup d’intérêt par les étrangers qui viennent se faire soigner gratuitement grâce à l’AME (aide médicale d’État). Celui-ci constitue une véritable « préférence étrangère » puisqu’un immigré clandestin, sans titre de séjour, est soigné dans des conditions dont un Français ne bénéficie pas : couverture totale sans avoir contribué à la dépense par ses impôts ou ses cotisations ! En revanche, on se rend compte que notre système de santé est loin d’être le meilleur du monde.


Cette déconvenue tend à générer une grande nostalgie socialiste de la dépense publique en faisant porter la responsabilité du désastre sur les économies qui auraient affaibli la protection sanitaire des Français. Il faudrait donc, là aussi, plus d’État ! C’est un contresens ! Le problème de l’État, en France, c’est celui de l’obésité : la graisse inutile, nuisible, étouffe les muscles et le cœur. L’accumulation des technostructures, le poids de la bureaucratie augmentent la dépense improductive tandis que les outils efficaces, les muscles, s’affaissent et que le cœur, le courage qui doit animer les acteurs, les soignants, les policiers, les soldats, risque de s’anémier. La décentralisation a multiplié les strates administratives redondantes qui se sont empressées de recruter des fonctionnaires superflus.


L’addition des organes de décision et de contrôle n’a pas permis de prévoir l’arrivée de la pandémie en France ni de préparer le pays à la recevoir. Elle entraîne parfois, au contraire, des blocages et des contre-ordres qui ralentissent l’action et ruinent son efficacité.


Alors qu’on perçoit beaucoup d’improvisations dynamiques à la base – un carrossier qui fournit des masques à des médecins, des clients qui leur en apportent, des entreprises qui en fabriquent, en commandent ou offrent les leurs, pris sur les réserves -, au sommet, là où l’organisation devrait régner, c’est bricolage dans la gestion et cafouillage dans la communication. Les mensonges d’État sur l’utilité des masques ou l’étendue des tests pour cacher le retard et la pénurie, le « cinéma » du transfert des malades par avion pour dissimuler l’insuffisance des lits et des respirateurs, l’incroyable polémique sur l’hydroxychloroquine sont autant de variations sur le thème du « mal français », celui d’un État centralisateur, imprévoyant et néanmoins dirigiste. On sait très bien que l’application des 35 heures en dehors des entreprises de production capables d’accroître leur productivité, dans le service public notamment, a puissamment surchargé et désorganisé l’hôpital.


Alors, en dehors des conférences technocratiques quotidiennes de M. Salomon qui nous inonde de chiffres pour créer l’illusion de la maîtrise, c’est, depuis trois semaines, gestion du désarroi et panique à bord.


L’État-stratège qui avait annoncé que la guerre n’aurait pas lieu en est à faire le bilan quotidien de ses victimes. Or, celui-ci révèle, lorsqu’on le compare à celui de la Corée du Sud ou de l’Allemagne, l’inanité d’une stratégie absurde qui a consisté à isoler les gens chez eux plutôt que de les protéger les uns des autres par des masques, parce qu’il n’y avait pas de masques et qu’on ne voulait pas le dire. Cette politique de Gribouille aura deux conséquences désastreuses : la mise en sommeil de notre économie et celle de nos libertés. L’Etat-stratège est en déconfiture et l’État de droit en sommeil.