Corée du Sud : efficacité, discipline et solidarité contre le coronavirus

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« Ils ont inventé le Drive Thru du dépistage (repris ensuite dans d'autres pays comme en Allemagne). Ils contrôlent entre 15 000 et 20 000 personnes par jour. »


Sans crier victoire, les Sud-Coréens mènent une lutte implacable contre la propagation de la COVID-19. Et les efforts ont payé, comme peuvent en témoigner la réduction du nombre de contaminations et le faible taux de mortalité.




Il y a un peu moins d'un mois, le pays recensait chaque jour des centaines de nouveaux cas. Aujourd'hui, les nouvelles contaminations se comptent en quelques dizaines.


D’après les récentes données du Centre de contrôle et de prévention des maladies (KCDC), 8652 personnes ont contracté le virus en Corée du Sud. Le pays a recensé 101 morts depuis le début de l'épidémie.


Mercredi, on rapportait qu'en seulement 24 heures, la propagation de la COVID-19 avait tué 475 personnes en Italie, dont le bilan total s'élève à 3000 morts.



Qu’est-ce qui explique cette exception sud-coréenne au moment où d’autres pays, occidentaux notamment, sont terrassés par la COVID-19 et peinent à infléchir la courbe?


Pour Clément Charles, rédacteur et présentateur à la section française de KBS WORLD Radio et fondateur du site d'information www.encoreedusud.com (Nouvelle fenêtre), la transparence, l’efficacité, la discipline et la solidarité sont les fers de lance de l’action en Corée du Sud.


Entrevue avec cet expatrié français établi en Corée du Sud depuis 2007.


La Corée du Sud semble s'en sortir relativement bien dans sa lutte contre la propagation du coronavirus. Qu'est-ce qui explique cette tendance qui contraste beaucoup avec ce qu'on peut voir ailleurs, en Occident?


La Corée du Sud a réussi à juguler l'épidémie, même si cela n'est pas encore 100 % un succès, pour plusieurs raisons.


Premièrement, la contamination a été centralisée dans une zone bien précise (Daegu et sa province, le Gyeongsang du Nord, qui représente à ce jour 87,03 % des infections) et via une communauté rapidement identifiée (l'Église de Shincheonji, une secte comptant plus de 200 000 adeptes).



À Daegu même, si le nombre de cas a fortement augmenté, la majeure partie est liée à des porteurs du coronavirus qui étaient des fidèles de cette secte ou qui s'étaient rendus dans un hôpital où le frère du fondateur de l’Église, Lee Man-hee, a eu sa cérémonie funéraire. Un hôpital qui par la suite a compté de nombreux infectés et morts.


En Corée du Sud, 60 % des cas ont un lien avec Shincheonji.


Deuxièmement, la population forme un groupe. En Asie, la priorité est donnée au nous, plutôt qu'au je.



Autrement dit, quand la nation a un problème, tout le monde s'unit derrière elle pour avancer dans le même sens. Rappelez-vous en 1998, lors de la crise financière asiatique. Les Sud-Coréens s'étaient rendus dans les mairies avec leur or afin d'en faire don à l'État.


Clément Charles


Aujourd'hui, c'est la même chose. Et c'est possible parce que le gouvernement de Moon Jae-in agit de manière transparente. Tous les jours, tous les chiffres sont donnés dans le détail.


Un système d'alerte géolocalisé est envoyé sur les téléphones portables lorsqu'un cas de contamination est identifié à proximité des citoyens. Des applications permettent de suivre le trajet de chaque personne contaminée, les trois ou quatre jours avant d'avoir eu un test positif.


Afin de soutenir l'économie, certes, des mesures importantes sont prises par le gouvernement (près de 13 milliards de dollars canadiens), mais les citoyens se soutiennent les uns les autres. Par exemple, les propriétaires de bâtiments coupent de moitié les loyers des commerces qu'ils hébergent.


Autre chose : les masques et les gels hydroalcooliques font partie du quotidien ici. Le pays est pollué et il n'est pas une semaine sans que l'on ne sorte au moins une fois avec un masque sur le nez. Le lavage des mains est aussi habituel ici.


Troisièmement, l'efficacité. Très rapidement, la Corée du Sud a mis en place des tests avec des résultats efficaces. Ils ont inventé le Drive Thru du dépistage (repris ensuite dans d'autres pays comme en Allemagne). Ils contrôlent entre 15 000 et 20 000 personnes par jour.


Il suffit d'appeler un numéro (1339) pour avoir un avis d'un expert sur nos symptômes. S'il nous dit d'aller faire un test, celui-ci est remboursé. Si on y va de son propre chef, il ne coûte qu'un peu plus de 147 $ CA.


Parallèlement, les mesures de confinement (pas total, comme en France) ont été prises très tôt : la rentrée scolaire, qui a lieu le 2 mars en Corée du Sud, a été repoussée par trois fois et aura lieu le 6 avril. Des contrôles sanitaires renforcés ont été mis en place [depuis jeudi] dès l'entrée sur le territoire en fonction des pays les plus contaminé, et cela s’applique à tous les entrants (Sud-Coréens et étrangers).


Face à la pénurie de masques, le gouvernement a décidé de soutenir la production, interdire les exportations et rationner les masques en pharmacie. En fonction du chiffre de son année de naissance, il est possible d'aller acheter deux masques par semaine, ce qui est une solution pour éviter les queues. Par exemple, si mon année de naissance se termine par 1 ou 6, je peux y aller le lundi, par 2 ou 7, le mardi, etc..


Il y a aussi la fermeture de tous les lieux publics (musée, bibliothèque, etc.), le gel hydroalcoolique est disponible partout, dans la rue, à bord des autobus, dans les immeubles…


La Corée du Sud a certes une frontière terrestre sur sa péninsule, mais elle n'est pas traversable par sa population, car elle est avec la Corée du Nord. Le pays du Matin clair est donc une sorte d'île. Et comme c'est souvent le cas pour les insulaires, quand le territoire tremble, tout le monde est dans le même bateau.


L'évolution de la COVID-19 d'heure en heure

Cet exploit est-il exportable ailleurs, dans les pays occidentaux qui peinent à contrer la propagation du coronavirus?


Je pense que cela est difficilement exportable. C'est une philosophie de société. En France, l'affaire Agnès Buzyn [l’ex-ministre de la Santé qui a dénoncé la gestion de la crise du coronavirus par le gouvernement français] montre qu'on ne peut pas avoir confiance, car il n'y a pas de transparence.


J'ai des retours de gens en France qui ne sont pas testés avec 39,8 de fièvre, de la toux et une ventoline. Est-ce normal? Aux États-Unis, Donald Trump est en guerre contre chaque État, car chacun fait comme il le sent pour combattre la crise sanitaire en cours. En Angleterre, Boris Johnson se moque de la COVID-19 et dit fièrement qu'il serre la main aux personnes contaminées.


De son côté, la Corée du Sud essaye progressivement de venir en aide aux autres pays : quelque 17 nations ont commandé des kits de dépistage de la COVID-19. Les Émirats arabes unis en ont reçu 51 000. Le président français s'est également entretenu pendant 25 minutes avec le président sud-coréen Moon Jae-in pour tenter d’obtenir des solutions.


Des soldats portant des combinaisons grises, des gants et des lunettes vaporisent un produit désinfectant dans une rue.

À Séoul, des soldats sud-coréens portant des combinaisons de protection continuent leur opération de désinfection, en cours depuis plusieurs jours.


Photo : Reuters / Heo Ran




Le gouvernement sud-coréen demeure toutefois vigilant, malgré les progrès réalisés …


Il faut bien se dire que ce n'est pas fini. Tout le monde félicite la Corée du Sud. Dernier en date, l'OMS : Les autorités sanitaires locales ont adopté une stratégie innovante de tests, augmenté aussi la capacité de ses laboratoires, recherché de manière exhaustive les personnes susceptibles d’avoir été en contact avec un malade et isolé les cas suspects dans des installations désignées. Tout cela a permis d’infléchir la courbe de progression du virus depuis des semaines.


Je pense qu'il faut encore faire attention et, à mon avis, le gouvernement le sait très bien. C'est aussi pour ça qu'ils ont repoussé la rentrée scolaire de deux semaines - du jamais vu dans le pays - alors que la courbe des nouveaux cas est en nette réduction.


Et ils ont également imposé un contrôle renforcé aux frontières pour éviter toute nouvelle entrée du coronavirus. Ils agissent correctement, mais des mini-grappes voient le jour chaque jour. Un nouvel hôpital à Daegu avec près de 100 contaminés, une église en périphérie de Séoul...


Les autorités craignent que la capitale soit atteinte. Et là, ce serait la catastrophe, car la moitié de la population du pays vit dans la région métropolitaine Séoul-Incheon-Gyeonggi.


Y a-t-il une affluence inhabituelle vers les supermarchés pour acheter des denrées alimentaires et des produits antibactériens, comme on l’a vu ici au Canada et en Europe? Bref, y a-t-il des signes d’affolement?


Sur les denrées alimentaires, aucun rush vers les supermarchés. Au tout début, lorsque le nombre de cas quotidiens identifiés a commencé à accélérer de 100, puis de 200, pour monter jusqu'à 800, certains sont allés faire le plein de ramyeon, les nouilles instantanées coréennes, et de riz précuit, mais sans que ce soit aussi incroyable qu'en Occident.


Et puis en Corée du Sud, le commerce en ligne, qui est l'un des premiers marchés au monde, fonctionne particulièrement bien. Donc les provisions sont faites facilement par ce moyen.


Concernant les produits de protection, il y a eu une pénurie de masques et de gel hydroalcoolique au tout début de l'épidémie. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a pris le contrôle de la production, limité les exportations et mis en place un système de rationnement en pharmacie, dans les postes et certaines coopératives.


Vous avez sûrement dû voir dans les médias les images de queues à Daegu pour obtenir des masques de protection. Le rationnement n'évite pas les queues, car les gens affluent encore en fonction de leur année de naissance, mais celles-ci sont moins longues.


Une application permet également de savoir quelle pharmacie propose des masques, quel jour, et le stock qu'il leur reste.


Des mobylettes sont utilisées pour répandre du désinfectant devant les locaux de l'Église Shincheonji de Jésus, un important foyer de coronavirus.

Des mobylettes sont utilisées pour répandre du désinfectant devant les locaux de l'Église Shincheonji de Jésus, un important foyer de coronavirus.


Photo : Getty Images / AFP/JUNG YEON-JE




On a peu de nouvelles de la situation dans la Corée du Nord voisine. Êtes-vous au courant de ce qui se passe dans ce pays frontalier de la Chine? Les Sud-Coréens sont-ils solidaires de leurs voisins?


La Corée du Nord s'est très rapidement fermée, même si elle l'était déjà pas mal auparavant. Et, depuis, elle affirme n'avoir aucun cas de contamination.


Elle a tout de même placé en quarantaine (et non en quatorzaine) de nombreux étrangers présents dans le pays et a mis en confinement des habitants.


Le régime a bien fait part de la fin de l'isolement des étrangers dans ses médias, une manière de prouver que le coronavirus n'était pas entré dans le pays. Le Rodong Sinmun, l'organe officiel du Parti du travail, a aussi rapporté que les habitants prenaient bien soin de leurs compatriotes confinés, comme s'il s'agissait de leurs propre famille.


Toujours selon ce journal, Kim Jong-un aurait envoyé de la viande et des œufs aux personnes mises en quarantaine.


Pour les Américains, Pyongyang cache la vérité. Robert Abrams, le commandant des forces américaines en Corée du Sud, a annoncé cette semaine lors d'une téléconférence de presse qu'il était persuadé que des cas d'infection existaient au Nord, avançant même le chiffre de 12.


Selon des ONG humanitaires, la Corée du Nord aurait besoin de 840 000 $ dans le cadre de sa lutte contre la pandémie. Problème : les matériels sanitaires sont bloqués à la frontière avec la Chine (Dandong), car les mesures de sécurité nord-coréennes sont devenues plus strictes.


Pour certains experts, il s'agirait d'une manière de cacher le nombre d'infectés, car si les ONG entrent dans le pays, elles seront capables de voir ce qui s'y passe.


Pour la population sud-coréenne, on ne parle pas trop de la situation au Nord. Surtout que Kim Jong-un a procédé à plusieurs tirs sur la côte est au mois de mars. Donc, la situation sanitaire chez le voisin n'est pas la priorité.


Côté gouvernement, la COVID-19 pourrait devenir un argument pour se rapprocher du frère ennemi en apportant de l'aide, financière et matérielle. Mais pour l'instant, il n’y a pas vraiment de retour du côté de Pyongyang.




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