Charest joue sa prime de 75 000$

L'opposition en fait une condition sine qua non pour l'adoption d'un code d'éthique

JJC - chronique d'une chute annoncée


Robert Dutrisac - Québec — Jean Charest veut absolument en finir avec la lancinante question de l'intégrité de son gouvernement. Faisant fi des sérieuses divergences qui séparent toujours les libéraux et l'opposition, le premier ministre Jean Charest a fait part, hier, de sa résolution à faire adopter d'ici le 11 juin le projet de loi 48 sur le code d'éthique et de déontologie des députés, un projet de loi qui crée le poste de commissaire à l'éthique à l'Assemblée nationale.
Alors qu'une crise de confiance secoue toute la classe politique, Jean Charest a choisi d'annoncer cette intention dans un discours devant les élus de l'Union des municipalités du Québec (UMQ), qui tient son congrès annuel. Des rumeurs veulent que le chef libéral, pressé par certains de ses députés, soit prêt à renoncer à la rémunération de 75 000 $ l'an que lui donne le Parti libéral du Québec en sus du salaire de 175 000 $ versé au premier ministre par l'État. C'est une condition sine qua non que pose l'opposition officielle pour donner son appui au projet de loi 48.
Jean Charest a refusé hier de parler de sa prime de 75 000 $. Interrogé au sujet de cette encombrante rémunération, le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, qui a assisté au discours de son chef, a déclaré: «La question va être adressée [sic]. On va régler les choses.»
Au cabinet de Jean Charest, on n'a pas voulu s'avancer ce sur terrain, ni sur tout autre compromis que le gouvernement pourrait proposer afin de satisfaire l'opposition. L'adoption du projet de loi 48, «c'est une volonté gouvernementale», a dit l'attaché de presse du premier ministre, Hugo D'Amours. «On veut amener le projet de loi en commission parlementaire dès que possible pour faire le débat. On ne veut pas le faire par média interposé.»
Dans le cas du projet de loi 48, le gouvernement serait mal venu d'en imposer l'adoption par bâillon, une possibilité que le premier ministre a semblé écarter hier. D'une part, la tradition parlementaire veut que l'adoption d'un projet de loi de cette nature, qui touche directement tous les députés, fasse consensus parmi les élus. D'autre part, le projet de loi prévoit la création à l'Assemblée nationale du poste de commissaire à l'éthique, dont la nomination doit être entérinée par une majorité des deux tiers des députés. On voit mal comment les libéraux pourraient adopter le projet de loi 48 sans l'appui de l'opposition pour qu'ensuite il soit impossible de nommer le commissaire.
Déposé il y a un an, le projet de loi 48 a fait l'objet d'une adoption de principe en novembre dernier. Il revient au gouvernement de l'appeler pour que commence son étude article par article.
Après l'annonce du premier ministre, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, qui devait prononcer, elle aussi, un discours devant l'UMQ, a indiqué qu'elle était disposée à travailler avec le gouvernement pour l'adoption du projet de loi. Il y a toutefois deux conditions sur lesquelles l'opposition officielle n'entend pas céder, a-t-elle prévenu: le premier ministre doit renoncer à sa rémunération versée par le parti et il doit être interdit à des ministres de posséder des entreprises qui font affaire avec le gouvernement.
«Le premier ministre ne doit avoir qu'un seul maître, il ne doit répondre qu'à la population du Québec. Et c'est inacceptable qu'il ait une rallonge qui lui est donnée par sa formation politique», a fait valoir la chef péquiste.
Le chef de l'Action démocratique du Québec, Gérard Deltell, s'oppose à ce qu'un parti politique verse une compensation financière à un élu de l'Assemblée nationale. L'ADQ versait pourtant une rétribution de 50 000 $ à son chef Mario Dumont. «Le parti l'a déjà fait et j'estime que ce n'était pas une bonne idée», a dit Gérard Deltell. Le chef adéquiste ne voit pas «de grandes difficultés» qui empêcheraient l'adoption du projet de loi 48, si ce n'est une certaine précipitation. «Ce n'est pas en brusquant les événements, en lançant un appel devant les victimes collatérales [les élus municipaux] de ses propres problèmes d'éthique que le premier ministre va forcer le jeu», a-t-il déclaré.
Prenant à partie les élus municipaux, Jean Charest a parlé de la «passion» et des «convictions» qui animent les hommes et les femmes politiques. «On peut vivre avec les critiques parce qu'on vit aussi avec nos convictions», a-t-il livré sentencieusement.
Le premier ministre a évoqué les «maladresses» et les «erreurs» que commettent les élus. «Après tout, la politique, c'est fait par des humains.» Mais il faut être «capable de dire qu'il y a beaucoup d'exagération», a-t-il poursuivi. «Depuis l'automne dernier, il faut dire que tout est devenu doutes et soupçons. Tout prend une ampleur démesurée.»
Tout en rappelant que la critique fait partie de la politique «même lorsqu'elle est injuste, même excessivement partisane», le premier ministre a cité un passage d'un discours du président américain Theodore Roosevelt: «Ce n'est pas la critique qui est digne d'estime, ni celui qui montre sur quoi l'homme fort a trébuché [...]. Tout le mérite appartient à l'homme qui descend vraiment dans l'arène, dont le visage est couvert de sueur, de poussière et de sang, qui se bat vaillamment et qui erre parfois et commet maintes et maintes fautes. Car il n'y a pas d'effort sans erreurs.»
Dans son discours, Jean a également annoncé que son gouvernement déposera un projet de loi sur un code d'éthique visant les élus municipaux. Laurent Lessard a indiqué que les élus municipaux souhaitent avoir un tel code d'éthique afin de connaître leur «environnement d'affaires» et ils attendent de voir le code d'éthique dont se doteront les députés.
Le maire de Québec, Régis Labeaume, a reconnu hier que les problèmes d'éthique, «ça existe» et qu'il y a «un niveau élevé de cynisme» dans la société, ce qu'il juge «malsain». Refusant de nommer le maire de Montréal, Gérald Tremblay, M. Labeaume s'en est pris à ceux «qui ont mal géré leur ville parce qu'ils n'ont pas été assez allumés pour questionner ce qui se passait dans leur ville». Ils devraient s'excuser, croit le maire de Québec. «On a des problèmes d'incurie dans la gestion municipale et on mange tous la claque pour ça. On passe tous pour des pareils et moi, je suis révolté.» Régis Labeaume s'est dit pour l'adoption d'un code d'éthique pour les élus municipaux et d'une nouvelle loi sur le financement des partis politiques. «Sa vie utile est terminée, elle est dépassée cette loi-là», estime-t-il.


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