Ces valeurs républicaines qui n’ont plus aucun sens

On a substitué un régime à un pays. Et dès lors, tout ce qui a précédé la République doit être jeté dans les oubliettes de l’Histoire.

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Les valeurs galvaudées

Si on compte bien, la République française, c’est quoi ? Deux fois 70 ans. Une première fois entre 1870 et 1940, année où elle a remis les clés du camion en toute conscience et légalité au maréchal Pétain. Une seconde entre 1944 et 2014… 140 ans donc, ce qui est certes plus qu’une vie d’homme, mais tout de même dix fois moins que l’Histoire de France, si on la fait grosso modo débuter avec Clovis. Je dis ça parce que je sais pas, vous, mais moi, j’ai souvent l’impression qu’en haut lieu, République et France sont devenues synonymes. Voire que la République est le nouveau petit nom de la France, comme la France le fut jadis pour la Gaule.
Oui, j’ai parfois ce sentiment qu’on a substitué un régime à un pays. Et que dès lors, tout ce qui a précédé la République doit être au mieux minimisé ou dénigré, au pire jeté dans les oubliettes de l’Histoire. À commencer par l’Histoire elle-même, dont des pans entiers ont été rayés des programmes scolaires. Exit l’héritage chrétien de Clovis, Saint Louis ou Jeanne d’Arc. Exit les règnes de grands monarques (François Ier, Henri IV ou Napoléon), survolés dans le meilleur des cas. Exit les valeurs, forcément médiocres, qui ont précédé nos trois Grâces – Liberté, Égalité et Fraternité – dont on se drape en haut lieu dans un réflexe pavlovien.
Comprenez-moi bien : d’accord pour se choisir collectivement trois ou quatre mots, et les ériger en cri de ralliement, mais à condition ne pas les vider de leur sens. Prenez la liberté, par exemple, qu’on gifle tous les quatre matins, ou plutôt quatre fois par matin : liberté d’expression bâillonnée, liberté de conscience bafouée, sans même parler du libre consentement à l’impôt… Prenez l’égalité qui, aux termes de la Déclaration des droits de l’homme, est une égalité en droit, mais qu’on a transformée en égalité de fait, en égalitarisme niant les différences. À commencer par les différences sexuées. Prenez la fraternité, qui relève toujours plus de la solidarité subie, de la tolérance imposée, alors qu’elle devrait être choisie en toute liberté, précisément.
Et puis, prenez la petite dernière : laïcité. Une belle valeur censée, au départ, condenser les trois précédentes, alliant liberté de culte, égalité de traitement des religions et fraternité entre confessions et philosophies. Mais là encore, le mot a muté. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le ministre de l’Éducation nationale, pour qui « il faut inventer une religion républicaine : c’est la laïcité ». Oui, ma bonne dame, la laïcité, une religion ! Avec sa grande déesse Femen en guise de Marianne sur nos timbres-poste ! Et notre ministre de préciser que « le message de Jésus est bien plus accompli par la révolution socialiste, républicaine, que par toutes les autres formes ».
Nous y voilà donc ! Socialisme et République sont synonymes ! Et comme, pour mémoire, République et France l’étaient, il n’y a qu’un pas pour conclure que socialisme et France le sont ! Car oui, c’est bien cela dont il s’agit : si vous n’adhérez pas au dogme socialiste, vous êtes antirépublicain, et si on pouvait, on vous enlèverait bien la nationalité française. Vous sifflez le Président ? Antirépublicain ! Vous faites une quenelle ? Antirépublicain ! Vous êtes contre la loi Taubira ? Antirépublicain, forcément : vous êtes contre l’égalité ! Vous voulez réduire l’immigration ? Antirépublicain ! Vous manifestez avec un bonnet rouge ? Antirépublicain ! Ah ça, on nous en assène, des jugements d’antirépublicanisme ! À ce rythme-là, il ne doit pas en rester beaucoup, des républicains, dans ce beau pays !
Pour Vincent Peillon, il s’agit, grâce à la laïcité, d’achever au plus vite la Révolution française qui n’aurait, fort hélas, été que matérielle, et doit maintenant être spirituelle. Du coup, on ne s’étonnera pas de voir pousser ces temps-ci nombre d’arbres de la laïcité dans nos belles communes socialistes, en souvenir de l’arbre révolutionnaire de la liberté. Mais on ne s’étonnera pas non plus de voir un certain nombre de ces innocents abattus par des badauds agacés qu’on leur rejoue 1789, comme récemment dans le Calvados (Parfouru-sur-Odon), en Saône-et-Loire (Bruailles, Louhans, Dompierre-les-Ormes), ou à Angers par deux fois.
À Bordeaux, le président de la communauté urbaine – Vincent Feltesse – avait ainsi fait planter son arbre le 12 décembre dernier, pour réaffirmer son attachement à « une République laïque, égalitaire et fraternelle », remplaçant sans la moindre vergogne la liberté par la laïcité ― dommage, c’était le mot qui m’allait le mieux… L’arbre a donc été coupé quelques jours plus tard, et Vincent Feltesse de dénoncer « une remise en cause du pacte républicain ». Ah oui, j’oubliais de vous dire : paraît qu’on a signé un pacte en plus. Et qu’au nom de ce pacte, eh bien on se doit de faire front ― républicain bien sûr, pas national ou de gauche ! L’élu a conclu son propos par ce truisme émouvant : « S’attaquer à un symbole républicain, c’est s’attaquer à la République. » Et la France, dans tout ça ?


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