Ca suffit : il est temps de boycotter Israël

La meilleure stratégie pour mettre un terme à l’occupation tous les jours plus sanglante d’Israël est que cette occupation devienne la cible d’un mouvement mondial du même ordre que celui qui précipita la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud.

BDS - Boycott Désengagement Sanctions



Dans cette tribune, publiée le 7 janvier sur le site de l’hebdomadaire états-unien The Nation, puis dans le quotidien britannique The Guardian, l’activiste canadienne Naomi Klein prend parti en faveur d’un boycott d’Israël, boycott dont la nécessité a été rendue plus pressante par l’offensive militaire israelienne de décembre 2008 à Gaza. Nous publions à la suite de cet appel la réaction de Robert Pollin, co-directeur du Political Economy Research Institute de l’université de Massachusetts, ainsi que la réponse que lui a faite Naomi Klein.


Il est temps. Plus que temps. La meilleure stratégie pour mettre un terme à l’occupation tous les jours plus sanglante d’Israël est que cette occupation devienne la cible d’un mouvement mondial du même ordre que celui qui précipita la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud. En juillet 2005, une grande coalition de groupes palestiniens conçut un plan pour mener ce projet à terme. Elle appela tous « les gens de conscience, de toute la planète, à imposer un boycott massif à Israël et à mettre en oeuvre des initiatives de désinvestissement, comme ce fut le cas pour l’Afrique du Sud à l’époque de l’Apartheid». Ainsi naissait la campagne « Boycott, désinvestissement et sanction » (BDS).
Chaque jour qu’Israël bombarde Gaza fait de nouveaux convertis à la cause de la campagne BDS, y compris parmi les Juifs israéliens. Au beau milieu de l’offensive, à peu près cinq cent Israéliens, dont une douzaine d’artistes et d’universitaires célèbres, envoyèrent une lettre aux ambassadeurs étrangers présents sur le sol israélien. Ils en appelaient à « l’adoption de sanctions et de mesures restrictives immédiates » et faisaient explicitement référence à la lutte anti-Apartheid : «Le boycott en Afrique du Sud fut efficace, et pourtant on continue à ménager Israël.[…] Ce soutien international doit cesser. »
Certains d’entre nous sont tout bonnement incapables d’entendre ces appels. Les raisons de cette surdité sont complexes, émotionnelles et tout à fait compréhensibles. Mais elles ne sont pas pour autant acceptables. Les sanctions économiques restent les armes les plus efficaces de l’arsenal de la non-violence : rendre ces armes signifie se rendre coupable de complicité active. Exposons ici les quatre principales objections à la stratégie du BDS, ainsi que les contre-arguments correspondants.
1) Des mesures punitives radicaliseront plutôt qu’elles ne persuaderont les Israéliens.
La communauté internationale s’est déjà essayée à ce qu’elle appelle « l’engagement constructif», et elle a totalement échoué. Depuis 2006, Israël n’a pas cessé d’intensifier ses actions criminelles : expansion des colonies, déclenchement d’une guerre scandaleuse contre le Liban et punition collective des Palestiniens de la bande de Gaza au moyen d’un blocus assassin. Malgré cette escalade dans l’horreur, Israël n’a fait l’objet d’aucunes représailles de la part de la communauté internationale. Bien au contraire. Les armes et les trois milliards de dollars d’aide annuelle que les États-Unis envoient à Israël ne sont que la partie la plus visible de cet état de grâce. Israël a en effet bénéficié pendant cette période cruciale d’une incroyable embellie dans ses relations commerciales, diplomatiques et culturelles avec un certain nombre de pays alliés. Israël est, par exemple, devenu en 2007 le premier pays hors de l’Amérique latine à signer un accord de libre-échange avec le Mercosur. Au cours des neuf premiers mois de 2008, les exportations israéliennes vers le Canada ont augmenté de 45 %. Un nouvel accord commercial avec l’Union européenne va lui permettre de doubler ses exportations de denrées en conserve. Et, pour finir, en décembre dernier, les ministres européens ont « mis à jour » l’accord de partenariat entre l’Union Européenne et Israël, une récompense longtemps attendue par Jérusalem.
C’est dans ce contexte que les dirigeants israéliens ont lancé leur dernière guerre, avec la quasi-certitude que le prix n’en serait pas trop élevé. Il est à cet égard remarquable qu’en sept jours de guerre, l’indice de la Bourse de Tel-Aviv ait augmenté de 10,7 %. Lorsque les carottes ne fonctionnent plus, il est temps de sortir le bâton.
2) Israël n’est pas l’Afrique du Sud
C’est vrai. Mais l’intérêt du modèle sud-africain réside avant tout dans le fait qu’il nous prouve que, quand d’autres types d’actions ont échoué (manifestation, pétition, lobbying), la tactique du BDS peut encore s’avérer efficace. De plus, précisons que les territoires occupés en Palestine font tristement écho à l’Apartheid : les codes couleur des cartes d’identité, les permis de déplacement, les maisons rasées et les déportations, ou encore les routes réservées aux colons. Ronnie Kasrils, un grand homme politique sud-africain, a confessé que la structure de ségrégation qu’il avait pu observer en Cisjordanie et à Gaza était « infiniment pire que celle de l’Apartheid. » C’était en 2007, avant qu’Israël ne se lance dans une guerre totale contre la prison à ciel ouvert qu’est Gaza.
3) Pourquoi montrer Israël du doigt quand les États-Unis, l’Angleterre et d’autres pays occidentaux font exactement les mêmes choses en Irak ou en Afghanistan ?
Le boycott est une tactique, et non un dogme. La seule raison de mettre en oeuvre cette stratégie est d’ordre pratique : elle pourrait bien marcher dans un pays aussi petit et dépendant de son commerce extérieur.

4) Un boycott interromprait la communication. Or, nous avons besoin de plus de dialogue.

Je répondrai à cette objection en me permettant de raconter une histoire personnelle. Durant huit ans, mes livres ont été publiés en Israël par une maison d’édition commerciale nommée Babel. Mais, quand j’ai publié La Stratégie du choc, j’ai voulu respecter le boycott. Sur le conseil d’activistes du BDS, dont l’extraordinaire écrivain John Berger, j’ai pris contact avec un petit éditeur nommé Andalus. C’est une maison d’édition militante, très impliquée dans le mouvement anti-occupation, et sans doute la seule maison israélienne à se consacrer exclusivement à la traduction de textes arabes vers l’hébreu. Nous avons rédigé un contrat spécifiant que tous les bénéfices seraient reversés à Andalus. Tout ça pour dire que si je boycotte l’économie israélienne, je ne boycotte pas pour autant les Israéliens.
Ce projet a nécessité des douzaines de coups de fil, de courriers électroniques et de textos entre Tel-Aviv, Ramallah, Paris, Toronto et la ville de Gaza. Cela signifie que, à partir du moment où vous mettez en place une stratégie de boycott, le dialogue ne peut que s’intensifier. L’argument selon lequel le boycott nous couperait les uns des autres est particulièrement spécieux au regard du nombre d’outils de télécommunication mis à notre disposition et de leur faible coût. Nous « croulons » sous les manières de communiquer par delà les frontières, et aucun boycott n’est en mesure de mettre un terme à cette communication.
À l’instant même, j’imagine qu’un grand nombre d’orgueilleux sionistes se réjouissent à l’idée de pouvoir me rabattre le caquet : ne suis-je donc pas consciente que la plupart des jouets technologiques auxquels je fais allusion sortent directement des départements de R&D d’Israël, leaders mondiaux des infotechnologies ? Oui, mais pas tous.
Quelques jours après l’attaque de Gaza par Israël, Richard Ramsey, gérant d’une entreprise britannique de télécom spécialisée dans les services vocaux sur internet, envoya un courrier électronique à l’entreprise israélienne MobileMax : «Suite aux actions du gouvernement israélien au cours de ces derniers jours, je suis au regret de vous annoncer que nous ne pourrons plus faire affaire avec vous, ni non plus avec une autre entreprise israélienne. » Ramsey a soutenu que sa décision n’était absolument pas politique ; il désirait juste ne pas perdre de clients. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des clients ; ce n’était donc rien d’autre qu’une réaction de défense commerciale. » C’est ce genre de froid calcul commercial qui poussa il y a une vingtaine d’années un grand nombre d’entreprises à déserter l’Afrique du Sud. Et c’est précisément dans ce calcul que réside le plus réaliste des espoirs de rendre enfin justice à la Palestine.
© janvier 2009 Naomi Klein
(Distributed by The New York Times Syndicate)

Sur la question du boycott unilatéral
Par Robert Pollin*
Je m’oppose avec force à la proposition de Naomi Klein de lancer une campagne de désinvestissement et de boycott d’Israël similaire à celle déployée contre l’Apartheid en Afrique du Sud. Klein anticipe quatre objections à sa proposition et essaye d’y apporter des réponses. Mais elle ignore la plus importante et la plus évidente des objections : punir Israël de la sorte et ne faire porter que sur Israël la responsabilité de l’horrible cycle de violence qui embrase la région reflète un point de vue parfaitement unilatéral.
Je suis complètement d’accord sur le constat que l’occupation israélienne est d’une rare brutalité. Mais le Hamas aussi est violent. À ce jour, la seule chose qui empêche le Hamas d’égaler Israël dans l’horreur sont ses ressources limitées. Le Hamas lance des rockets sur Israël dans le but avoué de terroriser et de tuer des civils. Si l’Iran, par exemple, réussissait à fournir au Hamas des armes plus efficaces, il ne fait aucun doute que le Hamas aurait beaucoup plus de succès dans son entreprise, qu’il terroriserait et tuerait beaucoup plus de citoyens israéliens. Les rockets explosent maintenant à une trentaine de kilomètres à peine au sud de Tel-Aviv.
Le nombre de civils palestiniens morts dans l’offensive actuelle contre Gaza est terriblement élevé. Mais reconnaissons également que le Hamas utilise délibérément des civils comme bouclier humain. La bombe qui a frappé la maison d’un des leaders du Hamas, Nizar Rayyan, a tragiquement tué du même coup sa femme et ses enfants. Mais pourquoi donc Rayyan exposait-il sa famille à un tel danger ?
J’accorde également à Klein que le levier économique est sans doute la meilleure manière d’ébranler décisivement le statu quo(même si, en tenant compte de l’histoire et des affects en jeu, il semble clair qu’une initiative économique ne suffira pas, seule, à changer la donne). Mais, plutôt que de proposer un boycott unilatéral pour punir Israël, pourquoi ne pas engager un programme positif de développement économique qui bénéficierait aux deux camps ? Imaginons, par exemple, un programme d’aide au développement de l’ordre de dix milliards de dollars, étalé sur deux ou quatre ans, et dont les fonds seraient fournis, sur une base équitable, par les États-Unis, l’Union européenne et les pays arabes exportateurs de pétrole. Cette somme serait suffisante pour : 1) entreprendre la création d’un programme de création d’emplois, ainsi qu’un investissement massif dans les infrastructures à Gaza et en Cisjordanie, afin de créer un État palestinien économiquement viable ; 2) réinstaller dans les meilleures conditions le demi-million d’Israéliens qui vivent actuellement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et rendre ces terres aux Palestiniens. Cette seconde initiative implique la construction à grande échelle de maisons d’habitation, ainsi que des programmes de création d’emplois et d’infrastructures communautaires en Israël, peut-être concentrés dans les régions moins développées du Sud et du Nord.
La somme que j’annonce peut sembler excessive. Mais rappelons que 10 milliards de dollars représentent à peu près 7 % de ce que les États-Unis ont dépensé en Irak en 2007, et 5 % des revenus pétroliers de l’Arabie Saoudite en 2008 (194 milliards de dollars). Cette somme semble donc bien modeste en comparaison des opportunités qu’elle peut contribuer à faire naître en vue d’une paix durable et équitable dans la région.
Robert Pollin

Réponse de Naomi Klein
Robert Pollin semble croire que le plus gros problème avec la stratégie du « Boycott, désinvestissement et sanction » (BDS) réside dans le fait qu’elle ne prenne pour cible que l’un des acteurs du conflit. Pour Pollin, ce conflit oppose deux parties également coupables, qui méritent des châtiments équivalents. Ce n’est pas vrai. Israël a déporté des centaines de milliers de Palestiniens en 1948, annexé la plus grande partie de leurs terres en 1967, et continue à occuper leur pays aujourd’hui. Les forces d’occupation et les habitants d’un pays occupé ne partagent pas les mêmes responsabilités, ce qui explique pourquoi les devoirs et les responsabilités définis par la Convention de Genève ne concernent que la puissance d’occupation – lois, soit dit en passant, qu’Israël viole en toute impunité.
Même si l’on accepte l’argument de Pollin selon lequel toute sanction devrait punir équitablement les deux camps, nous nous retrouvons face à un bien plus gros problème. Comment le professeur Pollin peut-t-il proposer de punir les habitants de Gaza plus qu’ils ne le sont déjà ? Au cas où il ne l’aurait pas remarqué, il existe déjà une féroce campagne de boycott et de sanction, et cette campagne est parfaitement unilatérale. Je me réfère, bien entendu, au siège de dix-huit mois qu’Israël a imposé à Gaza, comme punition pour avoir élu le Hamas au cours d’élections pourtant soutenues par les États-Unis. Conséquence immédiate de cet état de siège, les habitants de Gaza ont été privés de médicaments, de combustibles et de papier – sans parler de l’approvisionnement en nourriture. Cela va bien plus loin qu’un simple boycott : c’est une « punition collective » au sens où l’entend Richard Falk, rapporteur spécial auprès des Nations unies sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés. En comparaison, le genre de boycott légal auquel appelle la campagne du BDS coûtera à Tel-Aviv quelques concerts internationaux et, si les choses se passent vraiment bien, privera Israël d’un petit nombre d’investissements étrangers. Cela n’affamera pas un pays entier ni ne le rendra malade. Dans ce contexte de punition unilatérale bien réelle infligée aux Palestiniens, et cautionnée par le monde soi-disant civilisé, se plaindre d’un boycott unilatéral contre Israël est, disons-le, franchement obscène.
En ce qui concerne l’allocation de 10 milliards de dollars pour un redéveloppement et une « relocalisation », il ne fait aucun doute que, si jamais un accord de paix devait être trouvé, un dividende de paix généreux sera nécessaire à sa mise en application. Mais avant de nous décerner des récompenses pour une paix inexistante, il faut qu’Israël apprenne que cette guerre sans fin lui coûte trop cher. Et c’est bien là l’utilité de la stratégie du BDS : aider Israël à parvenir à cette conclusion éminemment raisonnable.
Naomi Klein 2009
(Traduit de l’anglais par Aurélien Blanchard)
Naomi Klein
Naomi Klein est une journaliste et essayiste canadienne, auteure, entre autres, de No Logo. La tyrannie des marques et de La Stratégie du choc.
Pour citer cet article : Naomi Klein, « Ca suffit : il est temps de boycotter Israël », in La Revue Internationale des Livres et des Idées, 17/03/2009


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