Aucun ministre n'est en faveur d'une commission d'enquête

"Simple" pour un gouvernement qui gouverne en fonction de SES intérêts...


Jean Charest a toujours dit qu'il n'écartait pas une commission d'enquête. Mais il est bien peu probable qu'il emprunte cette route dans un avenir prévisible. Photo: Bernard Brault, Archives La Presse

Denis Lessard - (Québec) Tout le Québec réclame une commission d'enquête sur la corruption municipale, le financement des partis politiques, l'industrie de la construction? À Québec, au sein du gouvernement Charest, on voit les choses bien différemment.
Pour une fois, le gouvernement n'est pas partagé; aucun ministre important n'est en faveur d'une commission d'enquête, en dépit de la kyrielle d'accusations qui fusent de partout depuis quelques semaines.

Que ce soit Raymond Bachand, Jacques Dupuis, Sam Hamad ou Norm MacMillan, on n'aime pas l'idée d'une enquête dont le mandat est bien difficile à définir. Claude Béchard se souvient des problèmes de son voisin de circonscription, Jean D'Amour, soupçonné d'avoir fait du lobbying pour BPR, une des firmes du contrat des compteurs d'eau de la métropole. Nathalie Normandeau, Line Beauchamp, Lise Thériault et Kathleen Weil aussi sont contre.
En fait, confient des sources gouvernementales, aucun ministre important ne s'est prononcé en faveur d'une telle enquête, dans le huis clos des réunions. L'opinion de ministres comme Marguerite Blais (Aînés) ou Dominique Viens (Services gouvernementaux) ne semble pas campée, mais il est clair qu'elles ne monteront pas au créneau pour réclamer que l'on donne le feu vert à ce type d'exercice.
Car des libéraux d'expérience se souviennent bien des réparties de feu Robert Bourassa sur ces commissions d'enquête, qui rapidement «prennent une vie qui leur est propre» et échappent à tout contrôle. Ce premier ministre avait donné le feu vert à la commission Cliche, sur les relations de travail dans le monde de la construction. Les commissaires avaient passé l'été à faire jouer les bobines d'écoute électronique de la police - cette activité n'était pas aussi balisée que maintenant (elle requiert l'approbation d'un juge).
«On n'est pas rendu à une commission d'enquête, selon moi. Je me demande d'ailleurs comment on pourrait encadrer dans un mandat tout ce qu'on entend actuellement», a résumé Jean Sexton, professeur de relations industrielles à l'Université Laval, qui était surtout rédacteur du rapport de la commission Cliche et commissaire pour l'enquête de la Gaspésia. L'enquête devrait-elle porter sur le financement des partis municipaux, sur l'adjudication de contrats par les villes, par la Ville de Montréal? Que fait-on des allégations sur la collusion dans l'industrie de la construction? Et sur le travail au noir? Et sur la pénétration de l'économie légitime par le crime organisé et les motards? Le champ d'action d'une telle commission, on le comprend, est bien difficile à circonscrire. «Et si la police juge que le mandat n'est pas suffisant, elle va couler des informations», prédit un vieux routier de la politique.
Tous les gouvernements qui ont déclenché une enquête ont fini par en faire les frais: René Lévesque disait qu'il n'avait rien à voir dans le règlement du saccage du chantier de la Baie-James. Il a été forcé de témoigner, «cela a viré au cirque, les gens regardaient ça comme un feuilleton». Finalement, il a été prouvé que le règlement avec la FTQ avait été conclu au bureau du premier ministre.
Le gouvernement de Paul Martin n'a pas été plus chanceux avec l'enquête Gomery sur les commandites. Avec cette enquête, le rival de Jean Chrétien a couru à sa propre perte.
La Sûreté du Québec fait enquête sur certains aspects des révélations récentes. On est en piste depuis plus de deux ans sur des problèmes comme la pénétration du crime organisé dans la construction, par exemple. Sur d'autres sujets, on est bien moins avancé. En juin, une source a décrit les accusations de corruption touchant la Ville de Montréal comme un «continent noir», où tout restait à défricher.
Des accusations tomberont bientôt, découlant des enquêtes sur la construction. Mais il n'y aura personne de très connu parmi les prévenus, indique-t-on déjà.
À défaut d'une commission d'enquête, le gouvernement Charest a voulu sembler prendre les devants. Il a annoncé l'opération Marteau, en accordant près d'une trentaine de millions à la SQ pour faire avancer ses recherches. Pour calmer les inquiétudes sur le front de la loi électorale, Claude Béchard a annoncé que Québec resserrerait les règles de financement des partis.
Reste la question, lancinante, de Montréal. Le gouvernement aurait volontiers déclenché une mise en tutelle si on n'était pas si près des élections. Les Montréalais vont choisir dimanche prochain leur administration. Intervenir en ce moment pour nommer un arbitre risque d'être bien mal accepté. Or, la Loi sur les cités et villes n'offre guère d'option plus «douce» que la tutelle.
Jean Charest a toujours dit qu'il n'écartait pas une commission d'enquête. Il est bien peu probable qu'il emprunte cette route dans un avenir prévisible.
Refuser une enquête? Cela veut dire deux semaines de critiques dans les médias, de la part des éditorialistes et des commentateurs. Dire oui? C'est ouvrir la porte à deux ans de turbulences et de mauvaises surprises pour le gouvernement. Le choix est simple à faire.


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