Atlantisme contre civilisation européenne : Poutine, le résistant malgré lui.

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La Nation et la civilisation gréco-romaine chrétienne ont encore de beaux siècles devant elles

F. C. Poutine déploie une stratégie de judoka en « s’appuyant sur les erreurs des autres pour marquer des points », constatez-vous dans l’un de vos derniers articles. […] N’avez-vous pas l’impression que le véritable enjeu poursuivi par les élites des « États profonds » vise à diviser la société russe en échauffant les masses et en dressant les élites les unes contre les autres ? Ne croyez-vous pas que l’objectif est déjà atteint, ne serait-ce qu’à 25% ? 


    Il n’y a pas de stratégie gagnante à tous les coups. Il en est des relations internationales entre grandes puissances comme du sport d’équipes : la stratégie des uns se heurte à celle des autres. Et la victoire finale s’obtient le plus souvent en faisant craquer l’adversaire. Ici, l’enjeu étant vital pour les défenseurs, c’est nécessairement à eux que reviendra la victoire. Les Russes, qui ont connu Stalingrad, ont payé pour le savoir.


    Certes, le black-out qui s’exerce sur la Russie est gênant mais je ne crois pas que cela durera longtemps car les Européens aussi souffrent de cette situation. (Cf. EurAmérique-Russie : la nouvelle guerre froide). Et leurs gouvernements subissent, notamment des mileux économiques, des pressions auxquelles ils sont moins bien armés pour y résister. Par exemple, les agriculteurs de toute l’Europe réclament des compensations pour les pertes qu’ils subissent du fait des sanctions contre la Russie. D’ailleurs, imagine-t-on les Russes craquer en quelques mois alors que les Iraniens résistent depuis vingt ans au blocus américain ?


F.C. Vous affirmez que la Russie se pose en dernier défenseur de la civilisation chrétienne. 


    Je ne crois pas que la Russie « se pose » en dernier défenseur de la civilisation chrétienne. Vladimir Poutine se fiche de ce que les Occidentaux veulent faire de leur civilisation. Pour eux-mêmes ! Mais il refuse à ce qu’on impose aux autres ce nouveau modèle entre guillemets « humaniste, universaliste », mais en réalité né de théories fumeuses venues des États-Unis qui mettent l’individu au-dessus de la société. C’est ainsi que, dès que la loi sur le mariage gay a été votée en France, il a mis fin à l’adoption d’enfants russes par des Français.


    En réalité, il s’agit bien d’une affaire de civilisation. « L’Homme est la mesure de toutes choses ! » (Protagoras, Platon). Selon que vous écrivez « Homme » avec un H majuscule ou un h minuscule, cette formule prend deux sens radicalement opposés.  Depuis deux-mille cinq cents ans, c’est l’Homme avec un grand H, c’est-à-dire l’Humanité, qui est au centre de l’univers. Aujourd’hui, on assiste à une inversion des valeurs. Les Epiméthée qui nous gouvernent veulent lui substituer l’individu, c’est-à-dire l’homme avec un petit h. Si je ne craignais pas d’utiliser un terme galvaudé, je dirais qu’on veut, pour de mauvaises raisons, nous imposer un brutal changement de paradygme.


    Un changement que beaucoup refusent sans savoir comment faire pour le combattre. De fait, Vladimir Poutine se trouve sans l’avoir cherché à la tête d’un front du refus, d’une résistance salutaire à la déconstruction de la civilisation européenne, c’est-à-dire grecque, romaine et chrétienne – ses adversaires diront d’une « réaction » – qui a ses adeptes dans tout l’Occident, y compris sans doute aux États-Unis même. Les résistants dispersés dans tous les pays occidentaux trouvent en lui un appui solide qui les rend plus forts. C’est en cela que Poutine est dangereux pour les déconstructeurs.


F.C. Pourrait-on considérer que les bâtisseurs de la civilisation atlantiste sont consciemment en guerre avec cette civilisation ?


    D’abord, une précision sémantique : les Atlantistes ne sont pas des bâtisseurs mais ils ne sont pas non plus des destructeurs ou des démolisseurs. C’est pour cela que je parle, comme Eric Zemmour, des déconstructeurs, de la société occidentale. Pour rester dans la métaphore du bâtiment, c’est comme si, d’une maison, ils ne prenaient que les matériaux en négligeant tout ce et tous ceux qui, en amont, en ont permis l’existence.


    Dans tous ceux, c, e, u, x, il y a, par exemple, tous ceux qui ont fabriqué les matériaux aussi bien que ceux qui ont travaillé à leur assemblage pour en faire un lieu habitable : de la carrière à la décoration et au jardin, combien d’hommes  – et de femmes (n’allons pas provoquer les féministes radicales !) – ont été intéressés à cette affaire ? L’architecte, le dessinateur, les maçons, les couvreurs, les peintres, enfin, tous les corps de métiers qui ont contribué à son érection ; mais aussi, en amont, les instances administratives qui ont jugé de sa conformité aux règles de l’urbanisme et ceux qui ont donné les autorisations de construire ; ceux qui ont participé à son financement, ceux qui ont  rédigé et enregistré les actes officiels, etc. Dans tout ce, c.e., il y a la volonté, les désirs, les ambitions, les passions, l’histoire, en un mot, des concepteurs du projet de construction, que ce soit en vue de l’habiter eux-mêmes, de le louer ou de le vendre.


    Nos déconstructeurs, eux, ne considèrent que l’individu-matériau en faisant abstraction de son éducation, de son vécu, de son histoire et de tout ce qui en fait un être social : ses liens avec les autres, ce qu’il a de commun avec eux, les valeurs sur lesquelles ce lien s’est tissé, ce, dans l’espace mais aussi dans le temps, c’est-à-dire l’héritage commun. Si une personne est un être de chair et de sang qui a hérité de ses concepteurs et de ses aïeux son adn, ses caractères physiques et moraux, des biens, un patrimoine, un individu social est un être au milieu, à côté, en symbiose avec d’autres êtres dont il partage les us, les coutumes, les croyances (ou, en tout cas, la manière de considérer les croyances), les vues politiques, forgées peu à peu et de longue date, qui font de lui  un citoyen. Et, s’il n’en a pas hérité, il les a adoptés.


    Cette vie commune, cette vie d’échanges, cette société, donc, sont rendues possibles par l’adhésion de tous à des conventions sociales et par leur respect de lois librement consenties. Ceci est absolument universel. C’est tout cela que les déconstructeurs veulent effacer pour ne considérer que les individus. C’est, en quelque sorte, le détricotage du tissu social ou, au fond, la dé-civilisation des peuples, c’est-à-dire leur dépolitisation au sens vulgaire mais aussi au sens noble du mot – politis = cité. Des peuples qui ne votent pas et s’en remettent à une oligarchie de technocrates non élus ou mal élus conviennent parfaitement aux déconstructeurs car ils leur laissent les mains libres. Surtout si des médias complices contribuent à les transformer en foules seulement avides de consommer.


    Alors, ces gens que j’ai appelés dans un article de mon blog les Epiméthée (lire Réformes sociétales contre les peuples : la démesure. 1 et 2) sont-ils dans un projet philosophique rationnellement charpenté ? Oui et non ! Je dis oui sans hésiter pour ce qui concerne nos idéologues français qui gouvernent par UMPS interposée. Un Vincent Peillon et ses épigones comme Najat Vallaud-Belkacem y croient dur comme fer et font tout pour le mettre en œuvre. Leur entreprise est d’autant plus dangereuse, lâche et méprisable qu’elle porte sur nos enfants. Leur projet est de formater les prochaines générations, comme les Américains et les Canadiens l’ont été, afin qu’ils soient conformes à la société nouvelle et à l’idée de ce qu’eux-mêmes se font de l’Homme, au besoin, en niant jusqu’à la Nature elle-même. Ce, sous prétexte de lutter « contre les stéréotypes », en confisquant l’éducation des enfants aux familles et, par exemple, en leur inculquant, dès la maternelle, des pratiques tirées de l’hypothèse selon laquelle les identités sexuelles ne sont pas biologiquement déterminées, mais socialement construites.


    S’agissant des Nord-Américains, je serais tenté de dire qu’ils baignent là-dedans sans même s’en apercevoir. Mais c’est évidemment le projet de leurs gouvernements qui nous intéresse. Et, là, je pense qu’ils sont surtout mus par une volonté de créer un vaste marché pour leurs productions industrielles et agricoles. Leur projet est mercantiliste et consumériste. Sans doute ont-ils rêvé d’un monde entièrement mondialisé sous leur coupe mais, aujourd’hui, ils se contenteraient des Amériques, de l’Europe et de l’Afrique. Pour cela, ils travaillent, avec leurs disciples européens qui trustent les centres de pouvoir et d’influence (cf. au sujet de la French American Foundation, Aquilino Morelle ou la franc-maçonnerie des privilèges), selon trois axes :


    1° Imposer aux peuples leurs normes philosophiques et morales dont nous avons parlé plus haut, c’est-à-dire, en réalité, déconstruire la société européenne, en détruisant les États et les frontières et en instaurant partout le communautarisme ;


    2° Les dépolitiser ; c’est l’UE presque directement dirigée par des technocrates ayant fait leurs classes aux États-Unis, en particulier dans leurs banques. Je dis presque parce qu’une apparence de démocratie est maintenue au travers du Parlement européen où des seconds couteaux de la politique gesticulent en se donnant l’illusion d’exister ;


    3° En économie, leur imposer leurs normes techniques et éthiques, et leurs règles juridiques : c’est la destruction des barrières non douanières, y compris sanitaires, et la confiscation du pouvoir judiciaire en matière économique par des juridictions d’exception (l’arbitrage d’investissement). Par exemple, un état ne pourra pas refuser la viande américaine issue des « usines à viande » où trente mille bœufs drogués qui ne touchent jamais terre et ne voient jamais un brin d’herbe sont gavés de nourriture ogm ; par exemple, on ne pourra pas invoquer des impératifs environnementaux ou de santé publique pour refuser des produits américains ; par exemple, la notion de « commerce équitable » ne pourra pas être opposée aux multinationales pour restreindre ou interdire tel ou tel produit ; etc. Et quand un pays voudra passer outre, il ne pourra pas invoquer ses propres lois mais devra se soumettre à un arbitrage privé. Or, les multinationales de l’agro-alimentaire, par exemple, sont bien plus puissantes et riches que bien des pays et peuvent mieux supporter des procédures longues et coûteuses. Tout cela est dans le futur traité de libre échange transatlantique (TAFTA).


F.C. La guerre plus ou moins froide qui est menée contre la Russie transgresse-t-elle les limites d’un affrontement géostratégique rationnel ?


    La Russie et son président constituent sans l’avoir cherché, comme je l’ai indiqué en répondant à vos questions le mois dernier (Guerres de civilisations : l’Ukraine), un obstacle à ce projet civilisationnel. Mais elle n’est pas que cela. Si, dans le même temps, la Russie n’était pas en train de construire, avec d’autres puissances non européennes, un pôle économique concurrent du pôle américain, je pense que la tension serait moindre. Vis-à-vis de Vladimir Poutine, on assiste à une tentative de marginalisation, à l’étranger et en Russie même. Il s’agit d’affaiblir son président en suscitant le mécontentement des Russes et en exerçant des pressions sur ses partenaires asiatiques, notamment. Il n’y a rien là de très nouveau. On est bel et bien dans un affrontement de type classique.


    Cela signifie que, si le vent leur devient contraire (voir plus haut la problématique des sanctions économiques), les atlantistes qui gouvernent l’Europe sauront battre en retraite et se faire discrets. On l’a vu avec la présidence Hollande qui fait profil bas sur les réformes sociétales ; on le voit avec Junker, le nouveau président de la Commission européenne sur des sujets plus économiques. On voit même en ce moment le très libéral président de la Banque Centrale Européenne, Mario Draghi, renoncer à ses dogmes parce que la situation l’exige.


    En réalité, la référence à la Guerre froide de l’ère stalinienne est une facilité, un raccourci, auxquels j’ai moi-même cédé mais elle n’est pas vraiment pertinente car, alors, le bloc soviétique et le bloc occidental étaient autonomes. A l’époque, les deux camps ne constituaient pas pour leurs économies respectives un marché potentiel. Ils n’entretenaient pas de relations économiques et se disputaient l’emprise idéologique sur les pays dits « non alignés » avec, toujours présente à l’esprit, la menace d’un conflit nucléaire. Aujourd’hui, il s’agit plus d’un conflit géo-économique que géo-stratégique.


F.C. Permettez-moi une question plus théorique qui vient synthétiser les deux premières. Croyez-vous que dans son état actuel la civilisation occidentale est viable, que l’Histoire qu’elle continue à écrire en ce moment, SON histoire à elle, a encore un sens téléologique ? Heidegger avait en son temps défini le nihilisme comme étant le « destin de l’histoire occidentale ». N’assiste-t-on pas à la fin logique de ce destin ?  


    Je ne crois ni à la fin de l’Histoire au sens philosophique de téléologie qu’au sens d’impasse que lui donnent les gloseurs de Libé. Blague à part, la réalité, l’avenir est ce qu’on en fait. Je crois juste que les peuples font les choses en vue de leur propre bien (avec un b minuscule), c’est-à-dire leur confort, leur bonheur.   Or, les peuples ont toujours le dernier mot. Certes, les élites européennes sont très largement contaminées par l’idéologie cosmopolitiste, individualiste et consumériste mais partout des voix s’élèvent pour dénoncer cette guerre faite à la civilisation occidentale gréco-romaine chrétienne. Il y a même des pays européens où des citoyen attachés à leur Histoire portent à leur tête des personnages décidés à en assumer l’héritage. Je crois par exemple que les peuples d’Europe centrale et balkanique, notamment d’obédience orthodoxe, n’ont pas du tout l’intention de disparaître alors qu’ils viennent seulement de sortir du brouillard. La Grande-Bretagne, tout atlantiste soit-elle, est sans doute toute acquise à la perspective d’un immense marché libéral mais je ne crois pas son peuple disposé à se laisser dissoudre dans un ensemble cosmopolite sans âme.


    Les promoteurs de cette guerre ont commis trois erreurs majeures : la première est d’avoir, en 2005, méprisé les peuples en validant la « constitution » européenne contre la volonté des peuples ; la seconde erreur est de s’en être pris à l’idée même de Nation en forçant l’allure vers une Europe dont ils ne voient depuis vingt ans que des effets négatifs  ; la troisième est d’avoir, avec les lois sociétales hier et, demain, le traité transatlantique, dévoilé la réalité du projet qui est de soumettre l’Europe aux Américains. Négation de leur souveraineté, perte de leurs repères sociaux et moraux, soumission à l’Amérique : si encore, ils en constataient des effets positifs concrets ! Or, c’est tout le contraire qui se produit : les Européens ne cessent de s’appauvrir. Je crois qu’ils accepteraient plus volontiers ces sacrifices s’ils en voyaient les avantages pour leur vie quotidienne. Ce n’est pas le cas.


    Ils ont démontré avec les référendums écossais et catalan qu’ils ne s’y résignaient pas. La Nation et la civilisation gréco-romaine chrétienne ont encore de beaux siècles devant elles.



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