À Madrid ou à Barcelone, la démocratie, c’est d’abord l’État de droit

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Madrid victime de ses propres erreurs

Le scénario de dimanche, en Catalogne, était des plus prévisibles, que l’on songe à l’action de la Guardia civil et de la police nationale, à l’inaction des Mossos d’esquadra (police catalane) ou à la réaction de Carles Puigdemont. Celui-ci a trouvé, dans la violence de la Guardia civil, la légitimation que la loi n’aurait jamais pu lui donner.



Car il faut bien le dire : le référendum de dimanche n’en était pas un et n’aurait pas pu en être un. Et ce, non seulement parce qu’il allait à l’encontre de la Constitution espagnole, mais aussi parce qu’il contrevenait au Statut d’autonomie catalan.



Ce sont de fait des juristes catalans qui ont prévenu le « Govern » de l’illégalité de la procédure dans laquelle la Generalitat s’était précipitée le 7 septembre dernier. Le 7 septembre, c’est le jour où la loi référendaire a été votée, en vitesse, à la suite d’un débat où l’on a nié à l’opposition son temps de parole et à la suite d’un vote qui n’a pas rempli les conditions établies par la loi catalane. Puisque l’opposition refusait d’entériner une démarche d’emblée illégale (financée avec des fonds publics), il n’y a eu, dans la « campagne » référendaire, qu’un seul camp : celui du Oui.



Dans ces conditions, il semble opportun de se questionner sur le caractère supposément démocratique de la démarche référendaire, qui s’inscrivait d’emblée dans l’illégalité. Par le fait même, elle s’assumait comme un affront à l’État de droit, fondement de toute démocratie libérale. Pour le dire avec Raymond Aron : « Ce qui est essentiel dans l’idée d’un régime démocratique, c’est d’abord la légalité : régime où il y a des lois et où le pouvoir n’est pas arbitraire et sans limites. »



Comprenons-nous bien : il est possible de remettre en question des lois existantes si elles sont jugées injustes. Mais encore faut-il le faire dans un cadre institutionnel qui lui garantit la légitimité que mérite l’idée de justice. Sans ce cadre institutionnel, l’arbitraire devient loi.



Pour l’instant, les manifestations de cet arbitraire en restent à des excès langagiers, où l’on vide les mots de tout leur sens : le référendum comme « droit d’autodétermination » (sans expliquer le contexte dans lequel un tel droit intervient en droit international) ; l’intervention policière comme retour de l’autoritarisme, voire du franquisme, en Espagne ; des votes sans procédure adéquate (sans liste électorale, sans garanties, avec des démarches annoncées le jour même, etc.) comme manifestation de la véritable volonté populaire, etc. C’est un dérapage déjà troublant, mais qui peut encore être contrôlé.



Du point de vue des politiciens qui l’ont lancé, le « référendum » de dimanche n’était point un exercice démocratique, mais plutôt une mise en scène calculée : celle d’un improbable lyrisme révolutionnaire et nationaliste à la fois qui a trouvé, à Madrid, son bouc émissaire parfait. Or, quand le populisme et la démagogie règnent, la démocratie en sort inévitablement perdante.



Chronique d’une défaite annoncée



Cette défaite annoncée de la démocratie, du dialogue et du bon sens était aussi, certes, le fruit de l’incompétence patente de Mariano Rajoy à Madrid. Le dialogue était coupé d’avance.



La raison en est qu’il n’y a, ni pour le PP à Madrid ni pour la CUP à Barcelone, rien à gagner politiquement à résoudre le « problème catalan », c’est-à-dire à le résoudre ensemble. En effet, le PP n’a jamais eu besoin de la Catalogne pour gouverner à Madrid et la CUP ne cesse d’augmenter sa popularité en faisant du gouvernement central à Madrid son adversaire privilégié.



En se cachant derrière des procédures judiciaires depuis son arrivée au pouvoir, Mariano Rajoy s’est défait de ses responsabilités politiques. Ainsi, à l’aide de l’inaptitude politique du PP, Carles Puigdemont s’est de son côté posé en héros de la « cause catalane ». En ce sens, il a agi selon l’éthique de la conviction et non pas selon l’éthique de la responsabilité (qui conviendrait à l’homme politique), pour reprendre le vocabulaire de Max Weber.



Ce faisant, ni l’un ni l’autre n’ont agi comme de véritables hommes d’État, mais bien plutôt comme de petits politiciens. Le vieux « diviser pour régner » l’a donc emporté haut la main.



Si l’on osait s’aventurer dans la politique-fiction, on pourrait croire que la situation aurait été différente si le PSOE (centre gauche) avait été au pouvoir : celui-ci pouvant difficilement gouverner à Madrid sans la Catalogne, il se doit tout au moins d’avoir une position d’ouverture. Loin de faciliter les choses, cela les complique davantage pour le PSOE, car il peine à trouver une position cohérente pouvant plaire à la fois en Catalogne et dans le reste de l’Espagne. Et la situation est encore plus délicate pour Podemos (gauche).



À propos des événements de dimanche



Les images de dimanche sont certes bouleversantes. Ne pas l’avouer reviendrait à ne plus croire aux multiples possibilités qu’offre la démocratie pour résoudre des conflits.



Cela étant dit, l’affront avec lequel la Generalitat a défié l’État de droit est tout aussi inquiétant. Elle a voulu s’abstraire du cadre légal sans en assumer les conséquences. Pourtant, si l’État de droit doit avoir un sens, il doit compter sur les moyens de faire appliquer ses lois : c’est pourquoi l’État jouit, encore pour reprendre Weber, du monopole de la violence légitime, celle qui permet précisément de garantir le maintien de l’État de droit sans succomber à l’arbitraire.



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