100 patrons 174 fois mieux payés que les travailleurs

L’Empire - mondialisation-colonisation

Éric Desrosiers - Même les crises économiques n'ont pas de prise sur les salaires «stratosphériques» des dirigeants des plus grandes entreprises canadiennes, observe le Centre canadien de politiques alternatives.
Le déclenchement d'une récession en fin d'année n'a pas empêché les dirigeants des 100 plus grandes entreprises canadiennes inscrites en Bourse de toucher une rémunération totale moyenne de 7,4 millions en 2008. Ce montant, qui comprend les salaires, bonus et autres options d'achat d'actions, était 174 fois plus élevé que le revenu total de 42 305 $ que gagnait cette même année au Canada le travailleur moyen à temps plein.
«Autrement dit, au moment où la plupart des travailleurs canadiens reviennent de leur heure de dîner à leur premier jour de travail de l'année, ces dirigeants d'entreprise ont déjà gagné l'équivalent de leur salaire annuel», résume Hugh Mackenzie, dans une étude de 17 pages dévoilée hier par le centre de recherche de gauche. L'écart est encore plus spectaculaire si on compare le salaire de ces patrons à la moyenne de 18 833 $ que touchaient cette année-là les travailleurs à temps plein payés au salaire minimum.
Le cercle des élus
Au sommet du classement des dirigeants d'entreprise les mieux payés au pays en 2008, on retrouve Thomas Glocer, président et chef de Thomson Reuters, avec 36,7 millions. Il est suivi de plusieurs autres représentants du secteur des médias et des télécommunications, tels que l'aujourd'hui défunt Ted Rogers (21,5 millions), président fondateur de Rogers Communication, et George Cope, de BCE (4e avec 19,6 millions).
Comme toujours, les secteurs du pétrole, des mines et des ressources naturelles sont bien représentés, tout comme celui des banques et des compagnies d'assurance. Dominique D'Allessandro, de Manulife, arrive 8e avec 13,3 millions, Edmund Clark, de la TD, est 14e avec 11 millions, Gordon Nixon, de la Banque Royale, est 19e avec 9,6 millions et Richard Waugh, de la Banque Scotia, est 21e avec 9,2 millions.
Ce cercle des élus comprend aussi des Québécois, comme Robert Brown, de CAE (5e avec 17,3 millions), Jeffrey Orr, de la Financière Power (12e avec 11,3 millions), Louis Vachon, de la Banque Nationale (17e avec 10,5 millions), Pierre Beaudoin, de Bombardier (32e avec 7,8 millions), Pierre Karl Péladeau, de Quebecor (35e avec 7 millions), Jacques Lamarre, de SNC-Lavallin (47e avec 6,3 millions), Ian Greenberg, d'Astral Media (61e avec 5,3 millions), ou encore Paul Desmarais fils, de Power (62e avec 5,2 millions).
Plus ça change...
Le versement de ces salaires «stratosphériques» se révèle être un phénomène à la fois «relativement récent et hautement résistant», note Hugh Mackenzie. Après tout, seulement 10 ans auparavant, les 100 patrons les mieux payés ne gagnaient toujours «que» 104 fois plus que la moyenne des travailleurs canadiens. Leur rémunération allait ensuite rapidement augmenter. La hausse a été de 70 % entre 1998 et 2008, lorsqu'on tient compte de l'inflation, contre un recul net de 6 % pour l'ensemble des travailleurs.
La crise qui s'est abattue sur le pays à partir de la fin de 2008, et qui s'est poursuivi durant la première moitié de l'année dernière, ne semble pas devoir changer fondamentalement cette tendance, disent les chercheurs du Centre canadien de politiques alternatives, même si on a observé un recul, de 2007 à 2008, en ce qui a trait à la rémunération moyenne des 100 patrons les mieux payés (10,4 millions contre 7,4) et à leur écart avec l'ensemble des travailleurs (259 fois mieux payés, contre 174). «Je ne m'attends pas à un changement important pour 2009 non plus», a commenté Hugh Mackenzie lors d'un entretien téléphonique avec Le Devoir.
Cela tient, selon lui, à plusieurs facteurs, dont le manque d'indépendance des conseils d'administration et les immenses difficultés de recrutement que s'imposerait une entreprise qui voudrait faire bande à part. Cela tient beaucoup aussi au fait que la plus grande partie de la rémunération de ces patrons repose sur l'attribution d'actions ou d'options d'achat d'actions, dont la valeur n'a souvent rien à voir avec la performance réelle de l'entreprise. «Ils ont bien pu vendre leurs actions avant l'effondrement de la Bourse en 2008 et obtenu qu'on fixe le prix de leurs options d'achat durant le creux du marché en 2009», a-t-il dit.
Gouvernement demandé
«Le gouvernement est le seul acteur qui reste pour injecter un peu de bon sens dans un système de rémunération irrationnel», conclut le rapport. Une option serait de resserrer la réglementation, mais le risque est qu'elle soit rapidement contournée. La meilleure solution serait de passer par la fiscalité et d'augmenter l'impôt sur les revenus élevés, estime-t-on.
On pourrait, par exemple, commencer par interdire aux détenteurs d'options d'achat d'actions de se prévaloir du taux d'impôt préférentiel appliqué aux gains en capital lorsqu'ils exercent leurs options et qu'ils achètent à rabais des actions pour les revendre immédiatement. Après tout, contrairement à n'importe quel autre investisseur, ils ne courent absolument aucun risque dans l'opération. Cette simple mesure aurait représenté en 2008 un impôt supplémentaire moyen de 374 000 $ pour chacun des 100 patrons les mieux payés au pays.


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