De l'école d'Esculape à celle de Crésus, puis d'Ali-Baba
23 octobre 2014
MOLIÈRE (extrait):
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Messieurs, il y a une heure que je vous écoute. Est-ce que nous jouons ici une comédie ?
PREMIER MÉDECIN.- Non, Monsieur, nous ne jouons point.
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Qu’est-ce que tout ceci ? et que voulez-vous dire avec votre galimatias et vos sottises ?
PREMIER MÉDECIN.- Bon, dire des injures. Voilà un diagnostique [56] qui nous manquait pour la confirmation de son mal, et ceci pourrait bien tourner en manie.
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Avec qui m’a-t-on mis ici ?
Il crache deux ou trois fois.
PREMIER MÉDECIN.- Autre diagnostique : la sputation fréquente.
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Laissons cela, et sortons d’ici.
PREMIER MÉDECIN.- Autre encore : l’inquiétude de changer de place [57] .
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Qu’est-ce donc que toute cette affaire ? et que me voulez-vous ?
PREMIER MÉDECIN.- Vous guérir, selon l’ordre qui nous a été donné.
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Me guérir ?
PREMIER MÉDECIN.- Oui.
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Parbleu je ne suis pas malade.
PREMIER MÉDECIN.- Mauvais signe, lorsqu’un malade ne sent pas son mal.
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je vous dis que je me porte bien.
PREMIER MÉDECIN.- Nous savons mieux que vous comment vous vous portez, et nous sommes médecins, qui voyons clair dans votre constitution.
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Si vous êtes médecins, je n’ai que faire de vous ; et je me moque de la médecine.
PREMIER MÉDECIN.- Hon, hon ; voici un homme plus fou que nous ne pensons.
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Mon père et ma mère n’ont jamais voulu de remèdes, et ils sont morts tous deux sans l’assistance des médecins.
PREMIER MÉDECIN.- Je ne m’étonne pas s’ils ont engendré un fils qui est insensé. Allons, procédons à la curation, et par la douceur exhilarante [58] de l’harmonie, adoucissons, lénifions, et accoisons [59] l’aigreur de ses esprits, que je vois prêts à s’enflammer.