Un sacré beau pion politique

D7764e16dfcc170ddb34b39135454537

C'est le gouvernement des juges qui décidera de l'invalidité ou non de la loi 21



En politique, les perceptions sont souvent plus importantes que la réalité. Prenons la loi 21 sur la laïcité de l’État. Depuis le jour 1 de la campagne fédérale, une question gruge un espace démesuré au Québec : qu’en fera le prochain gouvernement fédéral ?




L’équivoque de Justin Trudeau – il dit se garder « pour l’instant » de toute intervention en cour contre la loi 21 – a ouvert le bal. La demande du premier ministre François Legault aux chefs de partis fédéraux de s’engager à ne jamais intervenir a fait le reste. Selon un sondage Léger/Le Journal publié hier, les Québécois en sortent divisés.




Chez les francophones, 58 % veulent que le fédéral s’engage à ne pas intervenir. À peine 15 % souhaitent le contraire.




Le quart des répondants ne le sait pas ou refuse de répondre. Hors Québec, 38 % des répondants souhaitent une loi similaire dans leur province, mais contrairement aux Québécois, ils n’en font pas un enjeu important.




Révélatrice




La question la plus révélatrice est néanmoins celle-ci : la laïcité est-elle une « responsabilité exclusive » du gouvernement du Québec ? Pas moins de 52 % des francophones en sont convaincus. On voit ici à quel point la demande de François Legault marque des points dans l’opinion publique. Or, l’opinion est une chose, les faits en sont une autre.




Depuis mes premiers travaux universitaires sur la loi 101 dans les années 1990, je le redis. La Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 1982 a tout changé.




Ce constat, de nombreux autres politologues l’ont fait aussi. Les gouvernements provinciaux peuvent légiférer, mais le dernier arbitre en est la Cour suprême – l’ulti­me interprète de la Charte canadienne des droits.




C’est terminus, tout le monde descend. Ce phénomène est communément appelé le « gouvernement des juges ». Que le fédéral intervienne ou non en cour n’y change RIEN. La clause de dérogation de la Charte canadienne, dont le gouvernement Legault s’est prévalu, peut protéger certaines lois provinciales, mais en partie seulement. Des citoyens québécois contestent d’ailleurs la loi 21 en cour.




Faux débat




Toute cette histoire d’intervention ou non du fédéral est donc un faux débat. Mais c’est un sacré beau pion politique pour les chefs qui, ici et au fédéral, s’en servent à leurs fins partisanes respectives.




S’il perdure, ce faux débat risque de détourner l’attention des Québécois des vrais enjeux en politique fédérale, dont l’urgence climatique. Chez les francophones, il crée aussi l’illusion d’un pouvoir exclusif que le Québec ne possède pas.




Avec la chute du mouvement souverainiste et l’impossibilité de réformer le fédéralisme, de nombreux francophones sont en quête d’une « victoire » politique, même symbolique.




Cela se comprend. Plusieurs la trouvent dans la loi 21. D’où leur message au fédéral de ne pas y toucher.




Le problème est que dans le Canada­­­ post-82, c’est une victoire à la Pyrrhus­­­. Elle conforte sûrement le vieux rêve autonomiste d’un « Québec indépendant dans un Canada fort », mais comme disait la pub : « Si ça existait, on l’aurait ».






-->