Salons de massage érotique: les nouveaux bordels

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La banalisation de la prostitution est un véritable fléau : ce ne sera jamais un métier comme les autres

C’est un local ordinaire d’un petit centre commercial de Charlesbourg, avec une façade de brique et un revêtement de tôle blanche. Le salon de massage érotique ne s’affiche pas à l’extérieur. Mais les clients savent qu’il faut entrer par la porte «K».


En ce mercredi après-midi de février, j’ai rendez-vous avec Estelle*, que la réceptionniste m’a présentée au téléphone comme une femme dans la trentaine, mince, brune, B [de poitrine] et «ouverte d’esprit». 


Je me gare dans le stationnement, voisin d’une école primaire. À l’entrée, la réceptionniste me fait payer 40 $ pour 20 minutes de «massage suédois». Puis, elle m’invite à attendre dans une salle avec une douche au fond, un tableau vaguement érotique et une table de massage. 


Estelle entre et ferme la porte, sans savoir qu’elle a affaire à un journaliste et que la conversation est enregistrée. Elle me salue en me donnant deux becs et se présente, puis m’explique que le service comprend le massage de base et qu’elle sera nue. 


«Pis je finis avec la finition manuelle. Ça te vas-tu? À moins que tu veuilles des extras...», ajoute-t-elle. 


Des extras? «Une fellation, c’est 50 $ de plus». Sinon? «Me manger, pénétration…», dit-elle. Juste avant, elle avait précisé : «je suis négociable». 


À Québec, les salons de massage érotiques sont les nouveaux bordels. Dans des locaux anonymes de parcs industriels ou dans des immeubles commerciaux plantés dans des quartiers résidentiels, des dizaines de femmes y vendent leurs corps du lundi au dimanche, du matin jusqu’à tard le soir. 


Chaque semaine, des centaines d’hommes leur achètent des services sexuels, même s’il s’agit d’un crime depuis l’adoption de la loi C-36 en 2014. Or, comme le révélait vendredi Le Soleil, le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) arrête très rarement les clients. 


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Sur leurs sites, les salons s’annoncent en ne prétendant offrir que des massages «érotiques», «exotiques», «naturistes» ou «sensuels». Mais des entrevues avec des masseuses, des échanges de textos et de conversations enregistrées au téléphone montrent que la prostitution y est largement répandue. 


Les masseuses sont attirées par l’argent rapide qu’elles peuvent faire dans les salons. Mais plusieurs d’entre elles vont souffrir des conséquences de leur commerce et, parfois, des traumatismes, montre un rapport remis en 2018 au gouvernement du Québec. 


«Finition manuelle» incluse


Durant deux ans, Mélanie* a travaillé à temps plein dans un des plus gros salons de massage érotiques de Québec. Comme dans la plupart des salons, les clients pouvaient prendre rendez-vous avec elle après avoir vu sa photo osée sur Internet. Mais souvent, les hommes choisissaient sur place. Tour à tour, les masseuses défilaient devant les hommes, qui prenaient un instant pour les reluquer, puis indiquaient leur choix à la réceptionniste. 


Peu importe la durée du massage corps à corps — 20, 30, 45, 60 minutes —, la masturbation était comprise dans le prix de base. «Au-delà de la finition manuelle, je ne suis pas obligée de rien faire, dit Mélanie. Si le client m’écoeure, si je ne le trouve pas fin, si ça me tente pas, je ne suis pas obligée de me faire toucher».


Dans les sept salons où Le Soleil a appelé en se faisant passer pour un client, la réceptionniste nous a indiqué ouvertement que la «finition manuelle» était comprise dans le massage — un achat de service sexuel évident et, selon la loi, un crime. Dans le huitième salon, un échange de texto confirmait aussi que la masturbation était incluse. 


Dans six salons, on m’a confirmé au téléphone qu’il était possible de demander des extras dans la salle de massage, «à la discrétion de la demoiselle». Et dans un septième, je me le suis fait proposer sur place. 




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