Royaume-Uni : le retour de la faim au pays d'Oliver Twist

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Les chiffres de l'aide alimentaire ont explosé au Royaume-Uni. Une réalité qui n'épargne pas le très chic quartier de Chelsea, à Londres, où une banque alimentaire a élu domicile en 2012. Un autre revers du miracle britannique.
“La première fois que j'ai fait le tour du bâtiment, je me suis dit que j'avais eu la mauvaise adresse”, confie Tina, en riant. C'était il y a six mois. Cette mère de deux enfants, âgée de 36 ans - et qui en paraît dix de plus – cherchait l'entrée de l'église Saint-Luke, au cœur du très chic quartier londonien de Chelsea. Elle venait y chercher de l'aide alimentaire. Difficile d'imaginer, il est vrai, qu'une association d'aide aux plus démunis puisse se nicher ici, entre les maisons victoriennes d’un blanc immaculé et les squares impeccablement tondus. Difficile d'imaginer aussi qu'à Chelsea, on puisse avoir faim.
Et pourtant, c'est bien dans l'une des églises de ce quartier qu'a ouvert en 2012 une “food bank” de la Trussell Trust, l'une des plus importantes associations chrétiennes d'aide alimentaire du pays. Cette nouvelle antenne - parmi les 420 réparties à travers le royaume - s'occupe aussi du district de South Kensington, non moins huppé. "On ne dirait pas comme ça, mais même dans cette partie de Londres, il y a des poches de pauvreté", explique Jean-Luc Sergent, l'un des bénévoles, franco-britannique."Derrière les vingt Ferrari garées dehors et derrière certains murs de ces magnifiques bâtisses, se cachent des centres sociaux, des refuges pour drogués, des lieux pour héberger les femmes battues... À Saint-Luke, on héberge un centre alimentaire."
Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'une fois à l'intérieur de l'église, l'étonnement grandit. Architecture ecclésiastique oblige, ici, les croix côtoient les cageots de flageolet, la nef sert d'entrepôt et la sacristie s'est transformée en garde-manger. Mais c'est surtout la chaleureuse ambiance qui impressionne : entre les petites pâtisseries proposées par les uns et le thé servi par les autres, on en viendrait presque à oublier que se croisent en ces lieux, deux fois par semaine, des gens qui ont faim.
Un million de personnes ont eu recours à une aide alimentaire dans le pays
Un oubli très vite dissipé par l'arrivée des premiers bénéficiaires, qui interrompent le joyeux brouhaha en se présentant à l'église, ce mardi midi. Tina est l'une des premières à franchir la porte d'entrée. Contrairement à d'autres, qui prennent leur colis et repartent aussi vite, elle reste discuter avec Gill, Jean-Luc ou Virginie, des bénévoles qui font souvent aussi office de psy. "Il y a de plus en plus de gens en dépression, vulnérables", confie Virginie. "On les écoute, on essaie toujours de leur faire comprendre qu'on ne les juge pas."
Dans cette "food bank", comme dans le reste du pays, les statistiques pour l'année 2014/2015 ne sont pas bonnes. Les bénévoles ont constaté une nette augmentation de la fréquentation. “Nous sommes passés de 794 bénéficiaires à 992 en un an”, résume Pauline, chargée des relations avec la maison mère, Trussell Trust. Une hausse qui corrobore les chiffres “alarmants” du dernier rapport de l'association britannique, publié le 22 avril : un million de personnes ont eu recours à une aide alimentaire en 2014/2015, contre 900 000 l'année précédente. Du jamais-vu dans l'histoire du Trust.
Dans un Royaume-Uni qui se vante de sa situation de quasi plein emploi, ce record fait non seulement mauvais genre à quelques jours des élections, mais il soulève surtout la question de l'identité de ces bénéficiaires. Si le pays se porte si bien, qui se cache derrière ce chiffre qui ne cesse de croître ? À l'église Saint-Luke, tableau Excel à l'appui, on apporte quelques éléments de réponses mais on refuse de parler politique : ici, peu de chômeurs ou de sans abri. Mais beaucoup de “bas revenus”, de “retard de paiement des prestations sociales” et de “dettes”.
“On dégringole si vite”
Des profils que l'on retrouve à l'échelle nationale. Selon le Trussell Trust, seuls 4 % de leurs visiteurs sont sans-emploi. Le haut du tableau se répartit plutôt entre des bénéficiaires en attente du versement de leurs prestations sociales (48 %), travailleurs pauvres (22 %) ou encore personnes surendettées (7 %). À l'image de Hank, qui a franchi pour la première fois de sa vie la porte de l'église Saint-Luke, ce mardi après-midi
Âgé d'une cinquantaine d'années, ce commercial, cheveux courts, pantalon à pinces, s'excuse auprès des bénévoles avant de leur avouer qu'il est endetté jusqu'au cou, la faute à son addiction à la drogue. Son employeur menace aujourd'hui de le licencier. “On dégringole si vite”, lâche-t-il avant de repartir rapidement les bras chargés de colis.
Tina, elle, fait partie du faible pourcentage des “violences domestiques”. Son mari la battait. Elle vit aujourd'hui avec ses deux enfants dans un centre social, non loin de l'église. Comme Hank, elle s'excuse de demander de l'aide. “Mais vous savez, je ne suis pas là souvent, je ne suis venue que deux fois réclamer de la nourriture”, lâche-t-elle fièrement en empilant les sacs alimentaires dans la poussette vide qui lui sert de caddie. Tina ne dira pas un mot non plus sur la politique ou sur les élections du 7 mai. Pour elle, les discours des uns sonnent aussi creux que le discours des autres. “Ils ne s'intéressent pas à moi, je ne m'intéresse pas à eux”..


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