Qui trop embrasse

Le rapport Bouchard-Taylor contient plusieurs contradictions.

Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»



Ce n'est pas par hasard que toute la classe politique - les trois partis à Québec, l'administration municipale montréalaise, etc. - a rejeté sans appel la seule recommandation du rapport Bouchard-Taylor dont la réalisation n'aurait rien coûté, sauf un escabeau et le salaire horaire d'un employé de l'entretien.
Les crucifix resteront là où ils sont. La chose, bien sûr, est parfaitement illogique, dans une société qui se targue d'avoir comme valeur fondamentale la séparation de l'Église et de l'État. Mais les élus devaient s'allier symboliquement à la majorité d'origine canadienne-française, au moment où elle se sent malmenée par une Commission qui paraît faire peu de cas de son histoire, et qui lui demande de renoncer à l'idée que sa culture vieille de 400 ans doit être la culture de référence, celle à laquelle l'immigrant doit s'adapter. Aucun élu ne pouvait risquer de voir un journal titrer: " Exit le crucifix, bienvenue à l'hidjab!"
Le rapport Bouchard-Taylor contient plusieurs contradictions.
Si le Québec "n'a pas à rougir" de son accueil aux immigrants, comme le disent les commissaires, pourquoi alors la Commission veut-elle le rééduquer?
Si, comme le rapport l'affirme très éloquemment, l'agitation autour des accommodements raisonnables n'avait rien d'une crise majeure, pourquoi alors les commissaires mettent-ils en garde la population contre le risque d'autres "dérapages"?
Si les Québécois sont si accueillants, comme le mentionne le rapport, pourquoi alors la Commission les met-elle en garde contre la tentation du "repli sur soi"?
Si, comme le dit la Commission, la soi-disant crise des accommodements n'était qu'une affaire montée par les médias, et si, dans la pratique, les compromis entre les institutions publiques et les minorités se font dans l'harmonie, pourquoi alors suggère-t-elle une panoplie de mesures coûteuses, comme s'il y avait péril en la demeure?
L'administration publique n'est-elle pas suffisamment obèse? Quel besoin a-t-on des multiples comités dont la Commission veut l'encombrer? N'a-t-on pas déjà fait couler assez d'encre et abattu assez d'arbres pour produire ce rapport, ses annexes et ses volumineux rapports de recherche? Faut-il en plus avoir un livre blanc sur la laïcité? D'autres rapports savants sur l'immigration et l'interculturalisme?
On n'a pas besoin non plus d'une loi sur l'interculturalisme, ce concept fumeux qui n'est autre que le clone québécois du multiculturalisme "canadian", la différence étant qu'au Canada anglais les immigrants s'intègrent par le travail dans une société anglophone, alors qu'ici on s'intègre en français par un processus exactement semblable, la seule différence étant que le Québec offre des cours de langue aux immigrants. Pourquoi une loi pour affirmer ce qui se produit tous les jours dans la réalité?
L'autre tort de la Commission, c'est d'avoir, par vanité intellectuelle, étiré son mandat au-delà du bon sens.
Au lieu de s'en tenir à l'examen des accommodements raisonnables et des principes fondateurs d'une laïcité ouverte, elle a voulu dresser une vision globale: langue, francisation, immigration, marché du travail n'importe quoi.
En mettant l'accent sur l'immigration, la Commission a accrédité un gros préjugé, celui qui attribue aux immigrants les demandes d'accommodement, alors que la majorité des demandes proviennent de citoyens de vieille souche, comme les Témoins de Jéhovah et les hassidim.
Quel besoin avait la Commission de se mêler de l'enseignement de l'anglais? D'adresser des remontrances au PQ pour son projet du "nous"? De faire la leçon aux ordres professionnels? D'intervenir dans des questions comme l'accès au cégep anglophone ou la francisation des entreprises qui comptent entre 21 et 49 employés? Tant qu'à y être, elle aurait pu aussi bien se pencher sur les cours de géographie, matière utile dans la connaissance de l'autre!
Personnellement, je suis d'accord, en général, avec l'approche philosophique de la Commission. D'accord avec son parti pris en faveur de la tolérance, du pluralisme et de l'ouverture. Mieux, je trouve que le rapport abrégé, qui contient des renseignements intéressants, des analyses fort justes et qui au surplus se lit comme un charme, devrait être distribué dans les écoles secondaires et les cégeps. Il reste qu'un rapport plus modeste sur les accommodements et la laïcité aurait été plus utile, et certainement moins divisif.


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