Promotion sur les arrière-mondes

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Les fictions antédiluviennes

Jadis, quand la gauche était de gauche, elle faisait mauvais ménage avec la religion. Ses racines plongeaient dans la philosophie des Lumières qui, elle-même, héritait déjà de la Renaissance, l’ensemble célébrant le sain usage de la raison contre l’obéissance et la croyance. Elle s’appuyait plutôt sur Descartes qui veut bien que Dieu existe mais souhaite qu’on le laisse de côté pour les choses sérieuses.
Aujourd’hui que la gauche est de droite et la droite de droite, il ne reste plus grand marqueur de la gauche véritable, sinon celle qui s’avérerait fidèle à l’ancienne, autrement dit, celle qui ferait d’Erasme, de Montaigne, de Descartes, de Voltaire, de Condorcet des références intellectuelles. On pourrait même imaginer que, plus la gauche serait de gauche, plus elle tendrait vers un autre lignage, le mien, celui de l’abbé Meslier, le premier athée de l’histoire occidentale, de d’Holbach, de Nietzsche, de Marx et, soyons fous, de Freud – du moins l’athée radical de L’avenir d’une illusion.
Voilà que du fond de sa caverne, la gauche de droite qui nous gouverne a décidé d’enseigner à l’école « le fait religieux » qui est à la religion ce que « le référentiel bondissant » est au ballon. Finie l’époque où la gauche faisait de la religion « l’opium du peuple », l’auxiliaire de la réaction, la signature du conservatisme bourgeois, l’instrument de la misogynie et de la phallocratie, ce qu’elle est. Changement de cap. La gauche enseigne désormais le bienfondé du Talmud, de la Torah, de la Bible et du Coran. Désormais il n’y a plus urgence aux Essais de Montaigne ou au latin de Lucrèce, au Discours de la méthode de Descartes ou au grec de Plutarque, car il y a priorité à enseigner « les arrières-mondes » pour utiliser la formule de Nietzsche.
Toute religion, quelle qu’elle soit, monothéiste ou non, affirme l’existence d’un arrière-monde qui donne son sens à ce monde-ci. Cet arrière-monde est invisible, intangible, ineffable, indicible, immatériel, inexplicable, mais il est ! Il est même plus vrai que ce qui est visible, tangible, exprimable, dicible, matériel, explicable, puisque, sans lui, rien de ce qui est ne serait. C’est donc l’histoire des arrière-mondes et de ce qu’on a fait en leur nom qu’il s’agira d’enseigner désormais à l’école.
Qui enseignera ces fictions ? Le professeur d’histoire, de littérature, de philosophie, le prêtre, l’imam, le rabbin ? Dira-t-on qu’il s’agit de fictions ? A qui enseignera-t-on ces fictions ? A ceux qui croient à la fiction juive mais rient de la fiction musulmane ? A ceux qui, chrétiens, se marrent en présence de la fiction juive et musulmane ? A ceux qui rigolent devant toutes ces fictions ? Sera-ce encore laïcité ?
Si vraiment il faut souscrire à ce projet fou de célébrer les fictions antédiluviennes, alors qu’on permette aux athées dont je suis d’enseigner aussi non pas leur religion, mais leur combat contre ces fictions, ce qui nomme la philosophie, une discipline que, jadis, la gauche prenait au sérieux, voire à cœur. Il me faut désormais songer à rédiger le Manuel d’athéisme qu’on enseignera en contrepoison aux nouveaux venins vendus par la gauche !


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