L'utilisation de la disposition déclaratoire (DD)

Paradis fiscaux

L'outil de contrainte

Tribune libre

Résumé

Le présent document analyse les conséquences des directives fiscales fédérales et les pouvoirs du gouvernement du Québec en matière d’évasion fiscale et d’impact économique et sociétal.

Quelques fois techniques, l'analyse vise directement le processus et la façon d'en sortir.

L’utilisation de la disposition dérogatoire (DD) pour lever le secret des professionnels est la proposition originale qui permettrait de changer le rapport de force dans la recherche d’équité fiscale au Québec.

L’équité économique des citoyens dans la situation de non-collaboration des partenaires est un choix difficile et risqué. Cependant la situation met en péril les fondements démocratiques. Le piège et ses verrous sont débusqués. Le temps est au choix. Mais comment?

Introduction

Le refus d’adoptée une proposition pour contrer les abris fiscaux élaborée en 2016 par l’économiste Gabriel Ste-Marie, député du Bloc Québécois avec un ensemble de spécialistes et d’organisations sociales, confirme le manque d’intérêt du gouvernement canadien de résoudre un des problèmes les plus sérieux pour améliorer l’équité fiscale.

L’évitement fiscal

Pour contrer l’évitement fiscal dans les paradis fiscaux, non seulement les règlements internes à l’agence de revenu canada (ARC) ne s’applique pas à l’agence de revenu du Québec (ARQ), mais il est aussi impératif que le gouvernement du Québec utilise la disposition déclaratoire (DD) expresse pour contraindre les banques, les entreprises et leurs professionnels à déroger aux secrets professionnels pour une question fondamentale d’équité fiscale.

Bien que l’opacité des transactions à l’ARQ est maintenue par le fait que les impôts sur le revenu de qui que ce soit échappent à l’Assemblée nationale et au public, contrairement à d’autres pays, le ministre peut agir avec force, sans délai.
Les entreprises, les personnes et les cinq banques qui investissent des fonds dans les 23 paradis fiscaux doivent être imposées en toute équité.

1. Règlement 5907 non applicable à L’ARQ de l’Agence de revenu Canada (ARC)
Le ministre des finances du Québec responsable de l’ARQ, M. Carlos J. Leitão n’a même pas l’obligation d’adopter un règlement par l’Assemblée nationale pour agir. Il a le pouvoir d’appliquer, naturellement, la convention fiscale Canada-Barbade pour faire respecter ses Lois.

Dans son article au Le Devoir du 2 novembre au titre de "Grandes banques et l’évitement fiscal", le député Gabriel Sainte-Marie nous informe que le règlement 5907 (11.2) c), invalide l’article 30 de la convention fiscale Canada-Barbade. L’amendement fait à l’article 5907 (11) en 2009 engendre aussi cette invalidité.

Or, ces règlements de régie interne au gouvernement canadien ne sont pas applicable au Québec puisque ce qu’ils ne sont ni une loi ni un règlement ni voté par le Parlement canadien et ni voté par l’Assemblée nationale.

Ce député et analyste reconnu allègue que « Ces règlements contredisent la loi et les traités » et la chose « pourrait même ne pas être légal ». Il mentionne aussi que « la convention fiscale Canada-Barbade stipule qu’une société qui jouit d’un avantage fiscal spécial à la Barbade (taux d’impôt entre 0,25 % et 2,5 % plutôt que 25 %) devra payer ses impôts au Canada. C’est l’article 30 de la convention ».
On ne saurait dire mieux de choses plus claires.

L’estimation des revenus manquants par le député, toute proportion gardée, serait non loin de 1,5 milliard par année pour l’ARQ. Et ladite résolution est appliquée depuis 20 ans et son amendement depuis 7 ans, représentant, au bas mot, une dizaine de milliards.

Ce qui représente une estimation qui mériterait l’attention du ministre et de l’agence de perception québécoise.

2. La disposition dérogatoire (DD)

Pour préciser la DD, l’article 52 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et l’article 33 de la charte canadienne des droits et libertés permettent de déroger expressément et notamment au respect du secret professionnel. La situation actuelle rend muette les entreprises, les personnes et institutions bancaires, et met à l’abri les transactions questionnables par le fisc.

Cette disposition dérogatoire (DD), selon un article de l’imminent docteur en droit Guillaume Rousseau paru à l’IRQ en mars 2016, a été utilisée plus qu’une quarantaine de fois depuis 1975. Les motifs, d’une douzaine de catégories, vont de la dérogation au respect du secret professionnel du médecin ou optométriste qui « doit faire rapport à la Régie du nom et de l’adresse de tout patient de seize ans et plus qu’il juge inaptes sur le plan médical à conduire un véhicule routier » pour des motifs de sécurité publique, en passant par DD pour favoriser la relève agricole et à la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne.

Il mentionne, pour la dernière, «[…qu’] il s’agit d’obliger certains professionnels à dénoncer des contraventions à la loi, même si cela déroge au droit au respect du secret professionnel. Le but est notamment d’assurer le respect des règles favorisant la bonne administration des biens publics par les sociétés de fiducie ».
Ni d’un ni de deux, la DD est tout indiquée pour contrer les fraudeurs qui se cachent derrière une opacité du secret professionnel devenue un obstacle contre la bonne administration publique et la juste perception pour assurer le respect des lois et règlements favorisant la bonne administration et perception équitable de l’impôt au Québec.

M. Marceau député de l’opposition à Québec et responsable du dossier sur les paradis fiscaux mentionnait le 2 novembre 2016 à l’Assemblée nationale
« Nous avons tous demandé, donc, d'une seule voix de mettre un terme à ce magouillage fiscal vers la Barbade, mais le gouvernement Trudeau et les banques de Bay Street ont refusé.

Alors, M. le Président, que va faire le ministre des Finances maintenant que le Canada réaffirme qu'il veut que se poursuive l'évitement fiscal vers la Barbade? »
Le ministre M. Carlos J. Leitão responsable de l’ARQ a répondu que;
« Nous allons jusqu'au bout de ce que nous pouvons faire et nous le faisons très bien, à tel point qu'on devient un modèle pour les autres, et cette unité spécialisée de Revenu Québec fonctionne très bien. On l'a vu récemment dans plusieurs scandales qui ont été révélés comme quoi l'Agence du revenu du Canada avait adopté une certaine position, et, au Québec, on avait adopté une autre position, différente et beaucoup plus efficace. Nous continuons dans cette trajectoire-là et nous faisons ce que nous devons faire à l'intérieur de notre juridiction. »

Le ministre se doit d‘appliquer l’article 30 de la convention Barbade-Canada sans restrictions et sans délai.

Que ce gouvernement n’a plus le choix que d’adopter par l’Assemblée nationale la disposition dérogatoire (DD) pour déroger au droit au secret professionnel et contraindre les professionnels et les institutions de devoir de transmettre toutes informations reliées aux investissements à l’étranger non déclaré à l’ARQ.

3. Impact économique et sociétal

3.1. La mission

La mission économique de tout État est d’assurer en fin de compte la plus grande justice sociale entre citoyens. Ce que la science économique mesure par des indicateurs d’écart de richesse et par le respect des principes d’équitabilité dans la perception d’impôt et diverses taxes pour constituer ses revenus.

3.2. L’écart de richesse

Que ce soit le nombre 62, 67 ou 85, selon Oxfam, Le Figaro ou Forbes, tout le monde est choqué de savoir que ces milliardaires possèdent en 2014 la moitié des moins riches de la planète, laissant 1,2 milliard de personnes vivants avec moins de 1,25$ par jour et 2,2 milliards vivants dans la pauvreté. Sur les 7,4 milliards de personnes sur la planète, la situation se fragilise.

La concentration s‘accroît constamment. En 2009 le 1%de la population détenait 44% de la richesse, en 2014, elle augmentait à 48%.

Finalement, janvier 2017, selon le dernier rapport d’Oxfam, huit (8) personnes possèdent plus de 50% de la richesse mondiale.

Au Canada, deux (2) personnes possèdent une richesse équivalente à l’addition des 11 millions des plus pauvres (30%).

3.3. Impact économique

Malgré les immenses difficultés d’obtenir des données fiables puis que par définition ce monde d’opacité ne révèlent rien qui serait protégé par le secret professionnel Dans une analyse que j’ai effectuée en 2013 basée sur les analyses de l’économiste Gabriel Zucman (la richesse cachée des nations) de la London School of Economics, collaborateur de l’économiste français Thomas Piketty, les pertes en impôt au Québec seraient de l’ordre à 2 milliards pour la fraude fiscale facilitée par le secret bancaire et à 2,8 milliards pour l’optimisation fiscale pour un total de 4,8 milliards par année.

En faisant, une extrapolation des conséquences économiques des directives de l’ARC est appliquée depuis 20 ans et l’autre depuis 7 ans, les sommes d’impôts non récupérées ou non imposées représentent des montants astronomiques frôlant des dizaines de milliards.

Cependant, le ministère des Finances du Québec en 2015 évalue à 800 millions $ les pertes fiscales enregistrées annuellement par l'État québécois en raison de l'existence de paradis fiscaux.

Depuis vingt ans, ces pertes ne sont pas évaluées mais demeurent impressionnante juste en en faisant une simple multiplication de base

Le chiffre est toutefois à prendre avec prudence, a précisé le sous-ministre Luc Monty qui a fait le rapport avant la tenue de la commission de l’Assemblée nationale. Car il est impossible de calculer précisément ce qui est caché. Il s'agit d'une extrapolation obtenue à partir d'une étude publiée l'an dernier.

« Selon les données avancées par M. Bernier, on estime aujourd'hui que plus de 50 % des capitaux mondiaux passent par les quelque 70 paradis fiscaux répertoriés sur la planète. » (Source : Radio Canada 10 juin 2015)

Aussi, Alain Denault, chercheur émérite à l’IRIS écrit : dans sa chronique sur le sujet le 25 janvier 2016 :

« Selon Statistique Canada, les entreprises canadiennes ont placé 199 milliards de dollars dans les paradis fiscaux. Depuis 1990, la part d'actifs transférés dans les paradis fiscaux par les grandes entreprises canadiennes a augmenté de 1 800 %. À l’échelle québécoise, si on considère que notre économie représente 19,4 % de celle du Canada, c’est par hypothèse au bas mot 38,6 milliards de dollars qui échappent au traitement fiscal de l’État québécois.

Statistique Canada n’a développé aucune méthodologie pour dégager ces informations. L'agence nationale de statistique se dit elle-même réduite aux divulgations que font les multinationales canadiennes concernées. L’agence ne fait que les additionner. Compte tenu de l’opacité notoire du secret bancaire prévalant dans la plupart des paradis fiscaux, on peut considérer ces données comme étant absolument minimales. Ces fonds se renouvelant, ils ne sont pas imposés année après année.

 UNE LOGIQUE DE DUMPING

L’activité des grandes entreprises dans les paradis fiscaux entraîne une autre forme de perte pour le trésor public québécois. Celle-ci a trait à la logique de dumping dans laquelle l’État du Québec s’est laissé entraîner ces dernières années. Pour éviter que plus de capitaux encore ne fuient facticement le Québec vers les paradis fiscaux, notre État a eu tendance, à certains égards, à les imiter.

C’est par exemple en prétextant explicitement la crainte d’une « fuite des capitaux » qu’en 2007 le ministre des Finances du Québec, Michel Audet, a décidé, de réduire la taxe sur les revenus de placements des entreprises d’un déjà maigre 16,25 % au taux de 9,9%.

Par ailleurs, seuls 50 % des gains en capitaux sont toujours imposables. À titre symbolique, dans le cadre d’un budget particulièrement austère, le ministre québécois des Finances du Québec a tenu à revoir tendanciellement à la baisse le taux d’imposition provincial des entreprises, le faisant passer de 11,9 % à 11,5 % entre 2017 et 2020. Il était de 13 % en 1981 et, la même année, de près de 38 % au palier fédéral ‒ il y est de 15 % aujourd’hui. Ainsi, les entreprises ont vu pendant cette période le taux cumulé de l’impôt sur le revenu diminuer de moitié, passant de presque 51 % à moins de 26 %. Du reste, depuis 2011, la taxe sur le capital s’est trouvée à peu près complètement abolie alors qu’elle était une des rares à pouvoir neutraliser les déplacements de revenus dans lesquels les institutions financières sont passées maîtres ».

3.4. Impact sociétal

Les lois sur l’impôt et lois afférentes relèvent des institutions démocratiques. Curieusement, toutes les perceptions des revenus ainsi que les avantages de dégrèvements ou les traitements non standards sans considération des montants, dont un seul cas, pouvant atteindre des centaines de millions de dollars échappent en pratique au contrôle des parlements. Seules les lois sont votées sans réelle commission d’analyse des applications et contrôle des négociations. Elles font l’objet de négociation à l’abri des regards créant une opacité des relations de perceptions sans rendre de comptes publics.

Certains pays pour compenser ce déficit démocratique ont décrété la déclaration obligatoire publique des rapports d’impôts de ses citoyens. Un tel moyen agit non seulement sur la qualité de la démocratie, mais aussi sur la transparence des rapports humains.

Si le gouvernement du Québec n’applique pas ces directives du fédéral, il en résultera un traitement inéquitable des personnes morales ou civiles qui, calculs faits en un clin d’oeil, iront à plus ou moins long terme mettre leur siège social, leurs avoirs hors des limites et frontières du Québec, leurs usines de fabrications ou de manipulations des marchandises de même que pour les produits intangibles.

Si, en plus le gouvernement du Québec prend les moyens de la disposition déclaratoire (DD) pour obtenir une plus grande équité sociale, sans que le gouvernement des autres provinces et du gouvernement fédéral prennent les mêmes dispositions, les entreprises concernées seront enclins avec une raison de plus de déménager.

La seule possibilité, à part la création d’un pays du Québec, pour que l’équité soit maintenue pour tout citoyen est que le Canada entier applique les mêmes règles de jeux. Ce qui permettrait de réduire les évasions fiscales et de faire que chacun paie son dû sans passe-droit.

En absence de cette collaboration et de volonté politique, l’iniquité persistera au détriment du respect du principe de la juste part des citoyens déjà imposée par des procédés incontournables d’efficacité et automatisé menant aux désœuvrements, aux ressentiments et aux désengagements envers l’État. Elle crée ce déficit démocratique qui engendre des perturbations aux conséquences à long terme insoupçonnées de déstabilisations sociales et de méfiances grandissantes envers le régime politique, les politiciens et les politiques.

3.5 Le piège

L’impuissance et le sentiment d’échec des « choses les plus fondamentales pour le citoyen » alimentent la fracture sociale et mettent en péril la démocratie.

L’action politique sera de toute nature bouleversée. D’un côté, ne rien faire créera une insatisfaction de la population informée dont les conséquences débordent les coutumes et pourrait conduire à la création de force politique nouvelle.

De l’autre, en absence d’appui du Canada, l’action politique qui contraindrait les professionnels et institutions bancaires à collaborer par obligation résisteront. Ils verront, quel qu’en soit le type, une intrusion et mèneront une bataille rangée en commençant par l’utilisation des lobbies et des procédures judiciaires d’injonctions interlocutoires des cinq banques, des bureaux de comptables et d’avocats. Il faut donc une loi bien faite et forte dès le départ afin d’aboutir a son effectivité avant la fin du mandat politique. Les verrous

La structure politique fédérale canadienne à sa cohésion par l’apport de la corruption. La distorsion de la démocratie par l’attrait financier permet de produire un verni qui abrille la fausse concertation. Les plus grands scandales financiers du Canada ont comme objet la consolidation du système fédéral : les scandales du grand tronc sous Macdonald et des commandites sous Jean Chrétien.

Les paradis fiscaux y sont un avantage discret tant que les verrous des documents en contre-lettres auront vigueur et niées dans le silence. Bref, de légaliser des actes immoraux sont des accrocs normalisés.

Le piège du Québec, d’être isolé pour agir, ne doit pas empêcher d’agir politiquement … à la limite.

Les conséquences d’une action non concertée avec les autres gouvernements sont nombreuses : des batailles rangées, des menaces et du chantage. Il est difficile de faire une estimation des dommages à l’économie. Une étude serait utile afin d’estimer les risques et, le cas échéant, d’amoindrir les impacts.

En conclusion préliminaire, il faut qu’un gouvernement «mette ses culottes ». Les signes avant-coureurs nous indiquent que des changements majeurs se profilent à l’horizon. Ils pourraient déséquilibrer les élections pour ceux qui n’auront pas eu la sensibilité de les percevoir et d’agir. Les pressions, les pétitions et les manifestations peuvent modifier cet équilibre de complicité coupable.

Michel Blondin, B. Sc. maths., D. adm., D. philo., MBA, Ex-analyste au Ministère du Revenu Québec


Laissez un commentaire



2 commentaires

  • François A. Lachapelle Répondre

    8 février 2017

    Merci Michel Blondin pour votre superbe démonstration qu'il est possible d'intervenir pour mettre fin à l'évasion fiscale pratiquée sur une haute échelle "opaque".
    La volonté de nos Gouvernements n'est pas ferme. Leur propre évasion devant leurs responsabilités signe leur complicité avec les possédants de montagne d'argent avec lesquelles ils ont perdu le nord.
    Puisse un jour trouver des femmes et des hommes élus décidés de protéger le bien public pour revamper nos écoles, nos hôpitaux et nos aqueducs comme liste primaire et réduite.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 février 2017

    La motion M-42 de Gabriel Ste-Marie a mis en lumière la collusion du gouvernement Trudeau avec les paradis fiscaux: http://www.echecparadisfiscaux.ca/%EF%BB%BFmotion-bloc-quebecois-paradis-fiscaux/
    Voilà une autre initiative qui démontre l'utilité du Bloc Québécois à Ottawa. Merci, M. Blondin.