On ne soigne pas la gangrène avec de l’aspirine

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Le registre des armes à feu n'aura aucun impact sur la criminalité, ni sur le suicide : c'est une mesure de fichage policier


Réponse au texte d’opinion « Armes et santé mentale ? Faux débat ! » paru dans nos pages le 15 février 2019.


L’article écrit conjointement par plusieurs associations et regroupements professionnels pour la prévention du suicide, souligne combien la présence d’une arme à feu augmente les risques de suicide.Ses auteurs suggèrent à tort que le registre des armes d’épaule s’avère LA véritable solution au problème de la violence, alors que l’histoire de l’humanité s’est bâtie dans le sang, et ce, bien avant l’invention de la poudre à canon.


Le suicide est la neuvième cause de décès au Canada. Dix personnes par jour se suicident, pour un total annuel d’environ 4000 décès au Canada, et pour chacune d’entre elles, de 25 à 30 tentatives sont recensées officiellement. Cette sous-estimation ne tient jamais compte de l’ensemble des tentatives, y compris celles par surdoses.


Au regard du nombre d’armes à feu en circulation au Canada, plus de 7 millions, la méthode la plus répandue demeure la pendaison avec 44 %, 25 % par empoisonnement et de 16 % pour les armes à feu. Tous moyens confondus : 10,9 suicides par 100 000 habitants au pays, contre 13,5 aux États-Unis avec 40 fois plus d’armes à feu ! Matière à thèse, la source du problème ne réside pas dans la possession de l’objet, mais bien dans la cause ayant mené la personne à s’enlever la vie. Examen de conscience sociale exigeant un regard beaucoup plus critique que de pointer du doigt un objet, un peu comme on le faisait au Moyen Âge, lorsque l’on pendait le cheval qui avait tué d’un coup de sabot son propriétaire.


Le registre n’aura aucun impact sur la criminalité et il en aura encore moins sur le suicide. Ne prenons que quelques exemples pour la seule année 2017. Au Japon, où les armes à feu sont — sans exception — formellement interdites : 21 000 suicides. En France, où l’on estime à 1800 le nombre d’armuriers, où plus de 16 millions d’armes à feu sont en circulation, où on recense plus de 200 000 tireurs licenciés et où on trouve le plus grand nombre de chasseurs et de clubs de tir en Europe (1,2 million), le nombre de suicides avoisine les 10 000 (soit près de 25 par jour). Principal mode opératoire : la pendaison (59 %), contre 18 % par arme à feu. En Australie, jardin d’Éden souvent cité en exemple : 3128 suicides, dont 8 % par arme à feu. En Grande-Bretagne, 5821 suicides, dont 60 % par pendaison et 18 % par empoisonnement, les 22 % restant se répartissant entre objets tranchants, noyades, chutes et armes à feu.


Discours politique


Écran de fumée en regard de la prévention du suicide, le registre des armes d’épaule relève uniquement du discours politique. Que les élus cherchent la solution ailleurs que dans un simple formulaire, d’autant plus que très peu de gens osent prendre un fusil de chasse pour s’enlever la vie. Et ce, pour deux raisons majeures : la première, l’image que cela laisse pour les proches en matière de dégâts corporels (la partie visée étant toujours la tête). D’où la pendaison, la chute, la noyade ou l’empoisonnement, largement prônés aussi bien par les hommes que par les femmes. La deuxième, l’aspect peu pratique d’une arme dite à canon long.


Autre rhétorique : les États-Unis — où plus de 310 millions d’armes à feu sont entre les mains de 326 millions d’habitants, où une moyenne de 32 000 décès par armes à feu est enregistrée chaque année — se placent, contrairement à la croyance populaire, au 13e rang mondial, tout juste talonnés par la Suisse, pays ô combien neutre… avec 46 armes à feu pour 100 habitants !


Concernant la criminalité, la présentation des données en ce qui concerne cette moyenne annuelle de 32 000 décès par armes à feu omet sciemment cette fois-ci de rappeler que le suicide l’emporte très largement, avec 63,5 % des cas, contre 32,6 % pour les homicides, 1,7 % pour les accidents liés à leur manipulation, 1,4 % pour ce qui est des interventions des forces de l’ordre et 0,8 % pour causes indéterminées. Quant aux fusillades de masse, elles ne dépassent guère la barre des 3 %. Comptabilité morbide, mais fort heureusement peu élevée si l’on considère les millions d’armes à feu recensées aux États-Unis.


Derrière ce besoin hypocrite d’aseptiser nos sociétés, alors que chaque année dans le monde meurent de malnutrition plus de trois millions d’enfants, où la guerre en Syrie a fait plus d’un demi-million de morts, où au Canada 21 % des décès évitables sont directement liés à la malbouffe, où les erreurs médicales provoquent entre 9250 et 23 570 décès par an, où se comptabilisent plus de 2000 morts des suites d’un accident de la route, où la consommation d’opioïdes a tué d’est en ouest entre janvier 2016 et juin 2018 plus de 9000 personnes, la réponse ne se trouve certainement pas dans cette mécanique létale et omniprésente dans tout ce qui est films, téléséries ou romans policiers.


Penchons-nous plutôt sur ce qui ne va plus lorsque sous nos pieds, nos fondations lézardées s’écroulent une à une.









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