«Massages», «victimes françaises», «carnet noir»... Ce que l'on sait des visites d'Epstein en France

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Le carnet d'Epstein comportait tout le gratin politique mondial, de la famille royale britannique à Bill Clinton jusqu'aux élites françaises


Près d'un mois après son inculpation pour trafic sexuel sur mineures, Jeffrey Epstein a été retrouvé mort dans sa cellule. En dehors des révélations sur ses contacts outre-Atlantique, le milliardaire avait également des liens en France...


Le 10 août au matin, le milliardaire Jeffrey Epstein (66 ans) était retrouvé mort dans sa cellule de prison à Manhattan. Un «suicide apparent» (selon la formulation du FBI) qui, de l'aveu même du procureur général des Etats-Unis, William Barr, équivalent américain du ministre français de la Justice, soulève «de graves questions auxquelles il faut répondre». La mort de l'homme d'affaires américain n'est pas pour faciliter l'enquête du FBI, qui aurait mené une perquisition dans la résidence de Jeffrey Epstein sur l'île de Little St. James, dans les Iles Vierges. Mais les investigations sur les agissements et le réseau d'Epstein pourraient s'étendre au-delà du territoire américain. De fait, constatant des «liens avec la France», les secrétaires d'Etat Marlène Schiappa et Adrien Taquet ont demandé le 12 août une enquête sur les agissements de Jeffrey Epstein. Contacté par Mediapart, le parquet de Paris a annoncé analyser les éléments qui lui ont été transmis «afin de déterminer si une enquête doit être ouverte sur le territoire français». Que sait-on des liens avec la France du riche pédophile présumé ?



Un luxueux pied-à-terre à Paris


Tout d'abord, lorsqu'il a été arrêté sur sol américain le 6 juillet, le financier revenait d'un séjour à Paris. Plus précisément, selon un communiqué du 12 juillet de l'ONG de protection des enfants Innocence en danger, il rentrait d'«un séjour de plusieurs semaines en France». De fait, comme l'a rapporté le 11 août le quotidien américain The Miami Herald, Jeffrey Epstein possédait un pied-à-terre à Paris qu'il occupait régulièrement. Une résidence cossue dans le XVIe arrondissement de la capitale, sur la très huppée avenue Foch.


De potentielles victimes françaises


 

Dans un communiqué de presse publié sur Twitter dès le 12 juillet, Innocence en danger alertait les autorités françaises : «Il est légitime de se demander s'il n'y a pas de victimes mineures, dans l'Hexagone.» Un signalement avait été fait au parquet quelques jours plus tard. Mais ce n'est qu'après le décès du pédophile présumé, que des membres de l'exécutif se sont fait le relais de cette inquiétude.


«[Jeffrey Epstein] avait forcément des "masseuses" françaises [terme renvoyant à de probables esclaves sexuelles], avec la complicité de beaucoup de gens», renchérissait Homayra Sellier, fondatrice et directrice d'Innocence en danger, le 20 juillet dans des propos rapportés par L'Express.


Dans une lettre ouverte publiée le 12 août sur le site de L'Obs, la même organisation avance encore : «De source fiable, Innocence en Danger a eu confirmation récemment que plusieurs victimes du réseau prostitutionnel créé par Jeffrey Epstein et ses complices, sont également de nationalité française.»


Un petit carnet regorgeant de noms...


Si les révélations sur l'entourage de Jeffrey Epstein aux Etats-Unis se sont rapidement multipliées, le «carnet noir» du milliardaire, subtilisé il y a plusieurs années par son majordome, mentionne les coordonnées (entre autres) de ses contacts en France. Publié en 2015 sur le site américain Gawker, notamment connu pour ses révélations explosives et le fait d'héberger plusieurs blogs populaires, le carnet d'adresses de Jeffrey Epstein liste ainsi plusieurs contacts répertoriés par ordre alphabétique, tantôt par noms, tantôt par catégories.


A côté de noms et de coordonnées d'établissements prestigieux de la capitale, comme que le restaurant gastronomique L'Arpège ou Le Voltaire, une rubrique attire l'attention. Sous la mention «Massage – Paris», figurent en effet les contacts, masqués, de femmes telles que «Deborah», «Carolina», «Karine», ou encore «Donna». A côté de certains prénoms, les mentions «speaks NO english» ou encore «speak little english».


Comme l'explique Mediapart le 13 août, la catégorie est loin d'être anodine au vu des faits reprochés à l'homme d'affaires américain. «Jeffrey Epstein agrémentait ses déplacements de "massages", mot codé pour ce qui s'apparente à des années d'abus sexuels sur des jeunes femmes mineures», précise le site d'investigation.


Un Français potentiel «pourvoyeur d’adolescentes»


 

Le même article de Mediapart mentionne le nom d'un ami de Jeffrey Epstein : Jean-Luc Brunel, «l’agent de mannequins français, à la réputation sulfureuse, accusé par des victimes d’avoir été un de ses "principaux pourvoyeurs" d’adolescentes». Comme le rapporte le site d'investigation, le dirigeant de l'agence internationale MC2 (anciennement Karins USA), est «cité à de nombreuses reprises dans l'épais dossier judiciaire accumulé aux États-Unis depuis près de quinze ans».


Virginia Roberts Giuffre, une des principales accusatrices de Jeffrey Epstein, mentionnait, en effet, le rôle présumé de Jean-Luc Brunel dans une plainte déposée en 2015. «[Jean-Luc Brunel] dirigeait une sorte d’agence de mannequins et semble avoir eu un arrangement avec les autorités américaines pour obtenir des passeports et d’autres documents de voyage pour de jeunes filles. Il amenait ensuite ces jeunes filles, âgées de douze à vingt-quatre ans, aux États-Unis à des fins sexuelles et les remettait à ses amis, Epstein compris», accusait-elle alors. De lourdes accusations qu'a toujours niées Jean-Luc Brunel.


Autre personnage qui possède la nationalité française, Ghislaine Maxwell, ancienne maîtresse de Jeffrey Epstein, est elle aussi soupçonnée d'avoir agi comme rabatteuse, ce qu'elle dément.


Un réseau pédocriminel international ?


Yael Mellul, présidente de l'association Femme & Libre citée par Le Parisien, rappelle en outre que d'autres noms de citoyens français apparaissent dans les documents d'enquête déclassifiés par la justice des Etats-Unis. Virginia Roberts Giuffre rapportait ainsi avoir dû pratiquer, alors qu'elle était mineure, «des massages érotiques et autres services au propriétaire d'une grande chaîne d'hôtels en France». L'ancienne avocate, qui a écrit au procureur de Paris le 12 août, prévient : «La dimension internationale de ce réseau pédocriminel ne peut rester aux portes de la France.»


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