La situation dans une résidence privée de Laval est symptomatique de ce que vivent les CHSLD à la grandeur du Québec : des patients de plus en plus malades et du personnel débordé, aux prises avec un problème sanitaire sans précédent.
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« Je pleure chaque jour. Je sens que nous les avons abandonnés. Certains résidents n’ont pas à boire, car on veut éviter qu’ils remplissent leur culotte d’incontinence », dit une préposée aux bénéficiaires de la résidence L’Éden. Elle désire garder l’anonymat pour protéger son emploi.
L’employée nous a fait parvenir des photos de l’intérieur pour illustrer la nouvelle normalité dans les établissements privés. Nous avons pu vérifier ses dires avec une autre préposée.
Les images montrent des patients laissés à eux-mêmes en avant-midi, jusqu’à ce qu’arrivent les employés du quart de travail suivant, explique-t-elle.
« Parfois, ils ont de la merde jusqu’en haut du dos. »
La préposée a pris ces photos dans les dernières semaines. Les plus anciennes datent d’avant la pandémie de COVID-19.
L’Éden compte 14 résidents et 10 employés infectés, mais aucun décès.
La situation se détériore toutefois rapidement.
« Jusqu’à la semaine passée, on n’avait détecté aucun cas », dit le propriétaire, Éric Lavoie. La résidence a découvert ses trois premiers samedi dernier.
Loin d’être le pire
La situation à L’Éden est loin d’être la plus dramatique au Québec, puisqu’une quinzaine de résidences comptent 50 % de patients infectés.
L’an dernier, des allégations de maltraitance et de pénurie de personnel avaient poussé le Protecteur du citoyen à enquêter sur L’Éden. Dans son rapport, il avait toutefois relevé des « améliorations appréciables » dans les soins depuis 2015.
Aujourd’hui, le patron se dit surpris que des employés se soient plaints de la situation.
« Je les aime mes résidents et je ne crois pas qu’ils soient plus maltraités qu’ailleurs », mentionne M. Lavoie.
Zones chaudes
L’Éden avait déjà isolé des résidents qui présentaient des symptômes de la COVID-19 avant de faire confirmer ses premiers cas, explique-t-il. « On avait déjà préparé les zones chaudes. »
Le patron dit respecter les ratios qu’exige le ministère de la Santé, mais ses patients sont de plus en plus lourds à traiter.
« Ils ont de plus en plus besoin de soins, dit-il. Donc, oui, il faudrait encore augmenter le nombre d’employés. Mais encore faut-il les avoir, ces personnes-là, et qu’on valorise leur métier ! »
Il soutient être incapable de concurrencer le réseau des CHSLD publics, qui offrent des salaires 35 % plus élevés.
Selon le directeur général Alain Fafard, le CHSLD est dans la même situation que les autres résidences.
« On demande au CISSS [Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval] des bras pour aider, puis ils n’ont pas de bras », dit-il.
De son côté, le CISSS assure fournir de l’aide à L’Éden, comme aux autres résidences privées qui en font la demande.
« Nous avons dépêché une conseillère en prévention et contrôle des infections afin d’appuyer la résidence », affirme un porte-parole, Pierre-Yves Séguin.
Réseau en détresse
Les CHSLD publics n’échappent pas à la pénurie de personnel non plus.
En août, la ministre de la Santé, Danielle McCann, estimait à 5100 le nombre de préposés aux bénéficiaires que le réseau avait besoin de trouver.
Québec disait vouloir en embaucher pas moins de 30 000 sur cinq ans.