Louis-Edmond Hamelin
Photo: François Teisceira Lessard, collaboration spéciale, La Presse
Denis Lessard La Presse (Québec) Le Plan Nord dévoilé cette semaine par Jean Charest pourrait se révéler plus important que la Convention de la Baie-James pour l'avenir des autochtones, croit Louis-Edmond Hamelin, spécialiste d'envergure internationale de la nordicité canadienne. Il y a bien longtemps que l'universitaire parle de «Faire le Nord». C'est d'ailleurs lui qui a inventé l'expression, devenue le slogan de Jean Charest pour le développement des terres qui composent près de 70% du territoire du Québec.
C'était un bien improbable invité.
En octobre 1971, le spécialiste des études nordiques Louis-Edmond Hamelin faisait partie de la poignée de Québécois mandatés par le gouvernement Bourassa pour se rendre à Toronto. On devait y discuter du financement du projet de développement de la Baie-James, que Robert Bourassa avait annoncé au printemps.
Il ne connaît rien aux chiffres, mais pour le Nord, c'est une autre affaire. Avec les banquiers, la quasi-totalité de la rencontre sert à préciser le niveau nécessaire de financement. «Ils oscillaient entre 8 et 10 milliards.»
«À cinq minutes de la fin, on me donne la parole. Je les préviens qu'il faudra tenir compte des autochtones. Tous ces géants de la finance éclatent de rire! L'un d'eux me demande: "Mais... ils sont combien??" Je lui réponds: "Personne ne le sait!"»
Nouvel éclat de rire... Le président d'Hydro-Québec ne connaissait pas davantage la réponse.
Dans le Canada des années 70, les recensements dans le Nord avaient leurs limites, «ils téléphonaient à un missionnaire qui donnait un chiffre approximatif. En 1975, «à la Convention de la Baie-James, on pensait qu'il y avait 2500 Cris. À la fin, 6000 personnes sont venues signer! Le recensement c'était pour les «sudistes», lance-t-il.
Dès lors, les financiers torontois sont prévenus:? «Vous ne réaliserez jamais votre projet sans entente avec les autochtones!», rappelle-t-il. Quarante ans plus tard, à quelques jours du dévoilement du Plan Nord par le gouvernement Charest, Hamelin n'a pas dévié. «C'est impossible de ne pas s'intéresser à 70?% du territoire du Québec, c'est impossible que le Nord ne gagne pas à la fin», lance-t-il dans une entrevue à La Presse, dans son cottage près de l'Université Laval où il a enseigné le Nord pendant 30 ans.
Historiquement, les «sudistes» n'ont jamais fait grand cas des autochtones. «La Loi sur le développement minier de Duplessis en 1946 ne les mentionne même pas. Ça partait très mal...»
À l'inauguration de Manic-5, «en plein territoire montagnais», côte à côte, Jean Lesage, Daniel Johnson et René Lévesque lancent péremptoirement «Maîtres chez nous!». Le chétif universitaire prend la plume, multiplie les entrevues pour signaler qu'on a oublié les premiers arrivants. «C'était inacceptable!».
Cinquante ans pour «faire le Nord»
À 88 ans, M. Hamelin a pu apprécier cette semaine le chemin parcouru. Il faisait partie des 400 personnes conviées pour le lancement du Plan Nord. Cette expression, «faire le Nord», le titre du plan d'action, c'est d'ailleurs lui qui l'a inventée, il y a quelques années. «Ça veut dire installer des structures politiques, organisées, pour les habitants, blancs comme autochtones.» «C'est par opposition à "faire du Nord", ce que disaient les habitants de la vallée du Saint-Laurent quand ils se rendaient travailler dans le Nord pour les sociétés minières qui sortaient du minerai sans trop s'occuper de l'environnement ou des autochtones», explique cet érudit hors normes qui a produit un lexique de 2000 pages où il recense notamment 50 types de glace.
Le Plan Nord de Québec «est avant tout une promesse, un projet, c'est une intention. Ceux qui jappent pour dire que cela n'a pas marché ne savent pas... Ce sera très long pour arriver à ce nouveau Québec. Si le plan fonctionne... le développement ne sera plus pareil dans le Nord, il y aura un équilibre».
Pour lui, pas question de soupeser le niveau des redevances des sociétés minières, les surfaces de territoire protégé ou le nombre de logements. Les chiffres ne l'intéressent guère.
«Cette annonce est immense, mais si on veut la réaliser, mettre l'accent sur le territoire, il va falloir que les mentalités avancent! Si cela arrive, ce Plan Nord aura été plus important que la Convention de la Baie-James, qui n'a pas changé la perception des gens», observe-t-il, déplorant «le manque de penseurs nordiques» qui pourraient montrer la voie aux politiciens.
On nous promet une action «globale, intégrée. Mais avant qu'on ait des résultats, cela va prendre du temps... M. Charest a parlé de 25 ans. Pour moi il en faudra au moins 50!», observe-t-il.
«Le Québec n'aime pas le Nord, on reste encore très opposé aux autochtones», laisse-t-il tomber. «Je n'aime pas le mot racisme, mais il y a des oppositions historiques, c'est la transposition de ce qu'on voit en Europe, où on est surpris qu'on accorde des droits aux autochtones», observe-t-il.
En 1975, Bourassa était «très en avance» sur la population québécoise. «Mais il était préoccupé par le développement, pas beaucoup de la qualité de l'âme autochtone.» Avant lui, Daniel Johnson père avait «une vision géopolitique complète du Québec. René Lévesque aussi, mais son gouvernement aura une attitude plus paternaliste envers les autochtones». Bernard Landry a aussi beaucoup fait avancer les choses avec sa paix des Braves avec les Cris.
Une vie meilleure... lentement
«Est-ce que Jean Charest sera un de ces premiers ministres?? Il faudra quelques années pour le savoir», dit Hamelin, prudent.
Mais il a été réconforté par ce qu'il a vu. «Lors de la présentation, on a vu davantage d'autochtones que de «sudistes». Pita Aatami et Matthew Coon Come, chefs inuit et cri, étaient assis à côté de Jean Charest. «Je ne vois pas le prince de Norvège s'assoir avec un Lapon... à moins qu'il ne soit à la pêche!»
«C'est un politicien, bien sûr, mais c'est la première fois qu'un premier ministre parlait globalement, de l'ensemble du Québec, incluant le Nord.»
Il ne s'étonne pas des réactions négatives qui ont surgi au sujet du Plan Nord. Les Innus étaient absents, «ils sont 43 communautés, si on attend qu'elles s'entendent toutes avec le gouvernement, cela n'arrivera jamais», résume-t-il. Cette nation, les plus proches des Blancs - ils parlent français et on les retrouve sur la Côte-Nord notamment -, «ont été très blessés par leur absence à la Convention de la Baie-James», qu'ils ont refusé de signer.
Les éditorialistes ont rapidement relevé que le Plan Nord semblait oublier les graves problèmes sociaux des communautés nordiques. Québec n'a même pas de données fiables sur le nombre d'agressions sexuelles. Les méfaits des minières sont importants, dans les années 80. «À Schefferville, ç'a été un vrai désastre. Ils ont non seulement fermé la mine, mais brûlé le village, les maisons des ingénieurs. À côté, il y avait des autochtones pris dans des tentes en hiver...»
Ce déficit de qualité de vie, Hamelin l'avait lui résumé en 1975, dans son ouvrage fondateur: Nordicité canadienne. «J'avais écrit qu'il faudrait 100 ans pour que les autochtones arrivent à des conditions de vie acceptables. Il y a 35 ans de passés et on n'est pas très avancés. Si j'avais à le réviser aujourd'hui j'écrirais plutôt 150 ans!», lance l'universitaire.
Les conditions de vie se sont améliorées, toutefois. Les Cris, les Inuits et les Naskapis, ceux qui ont adhéré à la Convention de la Baie-James, «sont beaucoup mieux qu'à l'époque», les revenus par habitant avoisinent ceux des gens du Sud. Mais les écueils restent nombreux, observe-t-il. La dépendance aux drogues a bloqué l'avenir de bien des jeunes autochtones.
Néanmoins, l'affirmation de ces communautés se manifeste partout. Aux élections, le Nord-du-Québec a choisi un leader cri, Roméo Saganash, pour le représenter comme député néo-démocrate aux Communes. Dans le Sud, les médias blancs prédisaient que l'ouverture de la chasse à l'oie allait sûrement décimer la cohorte des électeurs autochtones. Il n'en fut rien.
Louis-Edmond Hamelin: «Faire le Nord»
Le Plan Nord dévoilé cette semaine par Jean Charest pourrait se révéler plus important que la Convention de la Baie-James pour l'avenir des autochtones
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