Entretien avec Vladimir Fédorovski

Les Occidentaux ont tendance à diaboliser inutilement Poutine…

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Le nouveau tsar

Vous retracez le cheminement du président russe dans votre livre Poutine, l’itinéraire secret : d’après vous, quel est le fait principal de sa vie ?
En réalité, sa vie est marquée par cinq étapes, cinq clefs pour comprendre son parcours.
La première, c’est son enfance, pénétrée par ce sentiment de la Russie martyre à cause de la lutte contre les nazis puis ensuite de la guerre froide. Son enfance forge sa personnalité actuelle : Poutine est un homme qui répond toujours coup par coup. Jeune, il était une petite racaille, une sorte de petit caïd vivant dans un quartier défavorisé de Saint-Pétersbourg et évidemment, cette enfance a laissé une empreinte sur sa personnalité actuelle. Il s’est également construit grâce au sport, très important chez lui. Il transforme les faiblesses en force et utilise les failles de ses adversaires pour vaincre : ça, il l’a appris en devenant ceinture noire de judo… Même chose pour les échecs. Il en a tiré le goût de calculer ses coups.
La seconde clef, c’est qu’il travaille avec tout le monde. Il ratisse d’ailleurs très large. C’est une vraie qualité car il n’a pas d’œillères. Ensuite, et c’est la troisième étape importante, mais en même temps la période la plus désagréable de Poutine : celle des magouilles d’Eltsine. Une époque totalement corrompue durant laquelle Poutine était quand même le chef des services secrets… Il prend d’ailleurs parfois plaisir à se mettre en scène comme une sorte de James Bond.
Son ascension, c’est la guerre en Tchétchénie : quatrième étape. Il a prononcé une phrase à l’époque qui avait beaucoup choqué les Occidentaux : « J’irai zigouiller les Tchétchènes jusque dans les chiottes. » On pense que c’est un dérapage mais cela reflétait parfaitement sa personnalité. Prêt à tout pour arriver à ses fins.
Enfin, le Poutine d’aujourd’hui, Poutine « le tsar », personnage ambivalent.
J’ai écrit ce livre pour tenter de mieux déchiffrer le président russe. Les Occidentaux ont tendance à le diaboliser inutilement. Ça complique les choses. Mais mieux le déchiffrer ne veut pas dire l’idéaliser. Quand madame Clinton parle de lui comme d’un nouvel Hitler, c’est une bêtise, ça ne correspond à rien. Il intrigue et suscite en même temps une sorte de haine des Occidentaux. Je trouve simplement que la haine est inutile…
Les médias occidentaux, d’une manière générale, présentent souvent les événements en noir et blanc. Poutine subit le même sort, alors que c’est un personnage compliqué, complexe, structuré. Il est l’antithèse de la gauche caviar, l’antithèse du politiquement correct. Une sorte de symbole, de barrière à l’islamisme également. Il dit souvent que l’Occident a vendu son âme en trahissant les valeurs chrétiennes et il assume en être le gardien…
Il a quand même un trait de caractère qu’on ne peut pas nier, qu’on l’aime ou non : c’est sa volonté de fer. Dans la crise ukrainienne, il aura finalement obtenu ce qu’il voulait : le retour de la Crimée dans le giron russe…
Quand l’idée d’associer l’Ukraine à l’Union européenne a germé, les Allemands ont tout de suite voulu entamer le dialogue avec les Russes. Mais immédiatement, les Baltes et les Polonais, qui ont leurs griefs, mais aussi les Américains ont réagi : « Jamais les Russes ! » Ils ont confié les discussions à des néophytes en la matière : les fonctionnaires de l’UE, qui ont proposé un chèque de 500 millions. Poutine a immédiatement réagi en proposant 15 milliards… À l’époque, il gagne, mais il sous-estime le côté corrompu du président ukrainien. Et en réalité, c’est un échec. Tout le reste n’est qu’escalade. Je vous l’ai dit, Poutine est un homme qui répond point par point. S’il n’y avait pas eu toutes ces idioties diplomatiques, la situation serait très différente en Ukraine… Aujourd’hui, la réponse de Poutine, c’est son alliance avec la Chine. Et ça, c’est vraiment dangereux : un remake de la guerre froide…
La France a-t-elle eu raison de maintenir son invitation pour le 70e anniversaire du Débarquement ?
Absolument raison. Pour la Russie, l’absence de son président à ces festivités aurait été considérée comme une offense suprême. Il faut calmer le jeu et tout ce qui contribue au dialogue est bénéfique. En Ukraine, c’est la guerre civile actuellement. Et ni la guerre civile ni la partition du pays ne sont profitables à personne.
Le slogan d’Obama « J’ai réussi à isoler la Russie » est une véritable gaffe diplomatique. Il ne faut pas oublier que 91 % de la population russe est derrière son président. Calmons le jeu !
On a appris que Nicolas Sarkozy avait déjeuné en début de semaine avec Poutine. Qui préfère le président russe : Sarkozy ou Hollande ?
Poutine et Sarkozy ont toujours entretenu de bonnes relations mais les enjeux, aujourd’hui, dépassent les personnalités. Et je pense que Poutine est capable de faire la part des choses.


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