LA RÉPLIQUE › LE BARREAU RÉPLIQUE AU «DEVOIR»

Le respect des faits, des institutions et des processus

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Le Barreau s'enferre






Dans un éditorial publié le samedi 11 juillet dernier, sous la signature de monsieur Antoine Robitaille, Le Devoir a abordé la situation de la bâtonnière du Québec à la suite de sa suspension provisoire et a conclu, entre autres, qu’il s’agissait d’une décision « intempestive et manifestement illégale du Conseil d’administration du Barreau », que la bâtonnière n’avait pas été traitée équitablement, que le Conseil se trouvait en situation de conflit d’intérêts, notamment parce qu’il avait soutenu le candidat défait par la bâtonnière lors de l’élection de mai 2015 et enfin, que les membres ad hoc du Comité de gouvernance et d’éthique du Barreau ne pouvaient être indépendants puisque nommés par le Conseil d’administration.


 

Bien que ce dossier risque d’être judiciarisé et que certaines informations portées à la connaissance du Conseil d’administration doivent, pour l’instant du moins, demeurer confidentielles, nous croyons qu’il est néanmoins nécessaire de répondre à certaines de ces affirmations et de rectifier les faits.


 

Le respect des faits


 

Le 30 juin dernier, dans le cadre d’une entrevue qu’elle a donnée à un journaliste du journal La Presse, la bâtonnière s’est fait demander si elle avait déjà bénéficié du Programme de traitement non judiciaire de certaines infractions criminelles commises par des adultes et si elle avait déjà été interpellée pour vol à l’étalage. La bâtonnière a répondu au journaliste que ce n’était pas le cas et qu’elle ignorait à quoi il faisait référence. Par la suite, après avoir refusé à plus d’une reprise de réunir le Conseil d’administration pour le mettre au courant de cette situation, la bâtonnière s’est présentée devant cette instance réunie d’urgence malgré sa volonté et a admis avoir déjà fait l’objet d’un constat d’infraction (un document public) pour vol à l’étalage mais avoir bénéficié de ce programme, tout en refusant de confirmer que les événements ayant donné lieu à l’émission d’un tel constat s’étaient passés alors qu’elle avait déjà été élue vice-présidente du Barreau par acclamation. La bâtonnière a nié catégoriquement avoir commis l’infraction reprochée, en fournissant des explications qu’elle n’avait cependant jamais énoncées, semble-t-il, aux personnes qui l’ont interpellée. Enfin, en dépit du fait qu’elle s’était engagée auprès du Conseil d’administration à ne pas faire de déclaration publique à ce sujet avant d’être autorisée par le Conseil, la bâtonnière a, quelques heures à peine plus tard, donné un complément d’entrevue au journal La Presse et reconnu les faits qu’elle avait préalablement niés. À cette occasion, elle a également mentionné qu’elle avait choisi la « déjudiciarisation » pour éviter un tapage médiatique et « éviter de perdre son temps à la cour ». D’autres faits portés à la connaissance du Conseil d’administration ne peuvent être rapportés à ce stade.


 

Le respect des institutions et des processus


 

C’est dans ce contexte que le Conseil d’administration qui, faut-il le rappeler, est formé de 12 avocats de tous les horizons (région d’origine, petits et grands bureaux, divers types de pratique), dont plusieurs n’avaient pas pris position en faveur de l’un ou l’autre des candidats dans le cadre de l’élection au bâtonnat de mai dernier, ainsi que de quatre représentants du public nommés par l’Office des professions du Québec, a, à l’unanimité des membres présents, conclu que la situation devait être soumise au Comité de gouvernance et d’éthique du Conseil d’administration pour analyse et recommandation. Dans l’intervalle, il était donc préférable tant pour l’institution que constitue le Barreau et la protection du public qui en est la mission principale, que pour la bâtonnière elle-même, que cette dernière cesse provisoirement d’exercer ses fonctions.


 

Le Code de déontologie des administrateurs du Conseil d’administration du Barreau contient un ensemble de règles de conduite qui doivent être respectées par tous les membres du Conseil, y compris la bâtonnière. Ce code prend sa source dans le Code des professions qui prévoit que le Conseil peut « établir des règles sur la conduite de ses affaires » ainsi que dans l’engagement contractuel de tous les membres de respecter les obligations qu’il contient et de se soumettre à un examen de toute allégation de sa violation par le Comité de gouvernance et d’éthique et par la suite, à la décision que le Conseil d’administration sera appelé à prendre relativement à une recommandation de ce comité. La validité de ce processus a été confirmée par des avis juridiques externes que le Barreau a obtenus. Il appartiendra ultimement aux tribunaux de décider de la validité de ce code, mais pour l’instant à tout le moins, il est présumé avoir été validement adopté et doit être respecté. Au surplus, en apposant sa signature et en s’engageant à le respecter, la bâtonnière est contractuellement liée par les termes de ce code qui prévoit expressément que les membres du Conseil d’administration peuvent faire l’objet de sanctions pouvant aller jusqu’à la destitution.


 

Dès lors, comment peut-on faire reproche au Conseil d’administration du Barreau d’avoir suivi le processus qu’il était tenu d’appliquer ? S’il avait fermé les yeux sur les allégations mettant en cause la bâtonnière, le public en général et les membres du Barreau pourraient certes lui en tenir rigueur. Le Devoir pourtant ne se prive pas de le blâmer pour n’avoir que respecté les règles applicables.


 

En ce qui concerne le droit du Conseil de suspendre un de ses dirigeants avec traitement et avantages sociaux, la Cour suprême a reconnu récemment que les organisations publiques et privées jouissaient de ce pouvoir résiduel, même en l’absence de texte législatif ou d’obligation contractuelle, lorsque l’objectif est de protéger l’institution.


 

Pour ce qui est des allégations voulant que le Conseil d’administration n’ait pas respecté le droit de la bâtonnière d’être entendue, nous nous permettons de souligner que là encore, il semble que cet éditorialiste n’ait eu à sa disposition que la version de cette dernière. Or, avant que la suspension ne soit imposée, et ce, à titre intérimaire, la bâtonnière a eu à plus d’une reprise l’occasion de faire valoir son point de vue et d’expliquer son comportement. C’est parce que les explications fournies n’ont vraisemblablement pas réussi à satisfaire les membres du Conseil d’administration qu’une mesure aussi exceptionnelle que la suspension provisoire a été prise. Il n’est pas sans pertinence de rappeler à ce sujet que le rôle de la bâtonnière et les fonctions qu’elle exerce l’amènent à prendre des décisions importantes au sujet du comportement des avocats et avocates ainsi qu’à recommander la nomination de candidats à la magistrature et autres fonctions judiciaires.


 

Quant à l’affirmation de l’éditorialiste voulant que les membres ad hoc du Comité de gouvernance et d’éthique du Barreau ne soient pas crédibles ni indépendants parce qu’ils ont été nommés par le Conseil d’administration, elle nous semble aussi mal fondée juridiquement que vexatoire à l’égard des personnes qui ont bénévolement accepté cette charge ponctuelle. Ce n’est pas parce que le gouvernement nomme les juges que ceux-ci ne sont pas indépendants et qu’ils ne peuvent entendre les litiges qui mettent en cause des organismes publics. De la même manière, l’indépendance des membres ad hoc du comité ne saurait être tributaire de leur nomination par le Conseil d’administration qui a suspendu la bâtonnière de manière provisoire. Il suffit de se renseigner un tant soit peu sur l’intégrité et les hautes qualités morales et intellectuelles des trois personnes nommées à l’unanimité à ce comité, notamment par les membres du Conseil d’administration désignés par l’Office des professions, pour conclure que les affirmations de monsieur Robitaille à cet égard ne résistent pas à l’analyse.


 

Une recommandation incongrue


 

En terminant, nous sommes d’avis que la recommandation de l’éditorialiste de tenir des élections anticipées au Conseil d’administration est non seulement prématurée, mais pour le moins incongrue. Alors que c’est la bâtonnière qui fait l’objet d’allégations sérieuses qui, aux termes du Code d’éthique et de déontologie du Conseil, doivent être soumises au Comité de gouvernance et d’éthique pour appréciation et recommandation, ce serait les membres du Conseil qui devraient démissionner en bloc ! À sa face même, cette proposition défie la logique, tout en prêtant de la mauvaise foi aux membres du Conseil d’administration, et ce, uniquement parce que certains d’entre eux auraient appuyé un autre candidat lors de l’élection du printemps dernier. Le respect des règles d’éthique n’est pas un concours de popularité et leur violation ne se résout pas par l’élection. D’ailleurs, les députés qui sont élus par la population peuvent être destitués par l’Assemblée nationale à la suite d’une recommandation du Commissaire à l’éthique de cette institution.


 

Sans compter le fait que la mise en oeuvre de cette proposition nécessiterait des changements réglementaires, nous croyons qu’elle aurait pour conséquence de créer une bien plus grande instabilité que celle qu’elle cherche à corriger. Elle comporte aussi le désavantage de ne pas respecter le processus institutionnel qui existe à l’heure actuelle et auquel la bâtonnière elle-même a accepté de se soumettre.


 

À ce stade-ci, nous réitérons qu’il faut laisser les membres ad hoc du Comité de gouvernance et d’éthique mener à terme leurs travaux en toute sérénité.







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