Le pari perdu de la procédure de destitution de Donald Trump

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L'affaire ukrainienne va se retourner contre Biden qui pourrait être forcé à témoigner

CHRONIQUE. Sauf improbable coup de théâtre, non seulement l'impeachment n'aboutira pas, mais la procédure sème la pagaille chez les démocrates.


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Nancy Pelosi, chef du Parti démocrate majoritaire à la Chambre des représentants, avait raison : lancer une procédure d'impeachment, disait-elle, allait brouiller les cartes et affaiblir les arguments de ceux qui veulent empêcher Trump d'être réélu. Mais elle a eu tort de finir par céder à ses amis, lorsqu'a été rendue publique l'affaire des pressions du président sur son homologue ukrainien pour déstabiliser Joe Biden, son concurrent le plus menaçant.


Accepter de lancer alors la procédure de destitution reposait sur un pari risqué : puisque le vote indispensable du Sénat était hors de portée, compter sur l'impact qu'auraient sur l'opinion publique américaine les dérapages téléphoniques de Trump avec le président ukrainien.


C'est raté. En dépit des témoignages accablants, voire effarants, des hauts fonctionnaires ou des militaires du Conseil de sécurité, interrogés par une commission de la Chambre des représentants, les Américains sont soit indifférents – les écoutes des chaînes d'info sur les séances télévisées du Congrès sont médiocres – soit restent sur leur position. Plus grave pour les démocrates : ceux qui soutiennent la politique, pourtant erratique, de Trump et lui font aveuglément confiance gagnent même deux points de mieux. Le socle électoral du président n'est pas entamé.


Joe Biden dégringole à chaque sondage


Pire, à moins de trois mois du lancement des primaires, plus aucun des candidats, lesquels vont à nouveau débattre ce mercredi à Atlanta, ne semble émerger d'un marais bien insipide. Joe Biden, longtemps favori, dégringole à chaque sondage après les révélations, forcément dommageables sur la manière dont il s'est servi de sa position auprès d'Obama pour favoriser les entreprises hasardeuses de son fils en Ukraine. Sa comparution probable devant les républicains du Sénat, quand la procédure d'impeachment sera soumise à la haute assemblée, devrait définitivement l'éliminer.


Elizabeth Warren et Bernie Sanders ont des positions beaucoup trop « socialistes », aux yeux de l'électeur moyen américain, même quand il vote démocrate, pour espérer l'emporter, même si, par accident, ils parvenaient à être désignés par la convention de leur parti à l'issue des primaires.


Pete Buttigieg, le jeune maire de South End, dans l'Indiana, a créé cette semaine la surprise en faisant irruption en tête des sondages avant la primaire de l'Iowa, en février, la première de la saison politique. Mais sa percée est pour le moment très locale et repose plus sur le découragement qu'inspirent les autres candidats que sur une adhésion à une position modérée, proche de celle de Biden.


Un panel démocrate si décourageant qu'il a donné l'idée à deux nouveaux candidats d'entrer en lice. L'un est l'ancien gouverneur noir du Massachusetts Deval Patrick. Une réputation d'excellent gestionnaire et le soutien d'Obama peuvent l'aider. Mais débarquer dans les primaires avec huit mois de retard n'est pas un gage de réussite.


Et maintenant, Michael Bloomberg


C'est aussi le principal handicap de Michael Bloomberg. L'ancien maire de New York s'était abstenu de concourir jusqu'à présent pour ne pas gêner Biden. Son arrivée probable dans la course est un signe de plus de la descente aux enfers de l'ancien vice-président d'Obama. L'atout de ce milliardaire, neuvième fortune du monde, est évidemment son argent. Car contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d'autres pays et en particulier le nôtre, la réussite financière n'entraîne pas là-bas immédiatement un procès en suspicion. Elle aide même plutôt à conquérir le pouvoir politique : il a déjà dépensé 100 millions de dollars dans des publicités anti-Trump.


Mais pour lui, comme pour les autres potentiels candidats démocrates, l'impeachment pourrait apparaître comme un piège. Le mélange des genres auquel s'est livré Trump dans ses coups de téléphone en Ukraine, la diplomatie parallèle ambiguë de Rudolph Giuliani, son envoyé spécial à Kiev, le doute sur ses relations coupables avec Poutine lors de l'élection de 2016, et plus généralement le mépris affiché à l'égard des engagements passés des États-Unis, comme le prouve le reniement hier de la position constante des Américains depuis quarante ans sur les colonies d'Israël dans les territoires occupés, tout cela aurait pu fournir des arguments électoraux aux démocrates. La procédure de destitution les aura pollués, banalisés ou asséchés avant même que débute la campagne électorale.


Nancy Pelosi avait raison : l'impeachment ne mènera nulle part.