Stratégie souverainiste

Le fruit est-il mûr pour une remise en question ?

Tribune libre

J'ai longtemps adhéré à la thèse du PQ que le chemin vers la souveraineté passait par la prise du pouvoir à Québec. Depuis 1976, le PQ a formé le gouvernement pendant plus de 16 ans. Que peut-on tirer de cette expérience?
D'abord, il faut reconnaître la réalité d'un gouvernement provincial. Le PQ est le premier à se désoler que la moitié de nos ressources se trouve à Ottawa. Le gouvernement à Ottawa tient donc les gouvernements provinciaux bien en laisse. Pour Québec, Ottawa peut même installer un "choker" économique au bout de cette laisse.
Un gouvernement souverainiste à Québec est donc sous haute surveillance par son maître. Ottawa est également en mesure de saboter l'économie québécoise afin de discréditer le gouvernement provincial en place. On assiste présentement à une magistrale démonstration de cette capacité de nuire du fédéral. La réforme de l'assurance-emploi, les nouvelles règles pour les travailleurs étrangers temporaires, et l'abolition du crédit d'impôt pour les fonds de travailleurs, voilà trois exemples où le Québec est de loin la province la plus perdante. Pour ajouter l'insulte à l'injure le fédéral peut limiter arbitrairement les subventions et paiements de transfert au Québec.
L'idée est de garder le Québec dans un état de dépendance économique envers Ottawa. Le 20 juin, le ministre Paradis déclarait ce qui suit: "Le Québec se trouve systématiquement en queue de peloton en matière d'endettement et de développement économique, dénonce-t-il, et le gouvernement s'intéresse à fomenter «la chicane» plutôt qu'à remédier à la situation.". La stratégie est évidente. On sabote l'économie, et on en impute le blâme au gouvernement souverainiste.
Le peu qu'un gouvernement souverainiste arrive à accomplir, peut se faire démolir à tout moment lors du retour au pouvoir d'un gouvernement provincial fédéraliste, de connivence avec le fédéral. Il suffit de voir ce qu'il reste de la loi 101 pour comprendre la dynamique de la politique québécoise.
Dans cet environnement, un gouvernement souverainiste ne peut qu'être perdant. Dans un tel déséquilibre dans le rapport de force, la seule stratégie qui s'impose est la guérilla. Pas la guérilla armée bien sûr, mais la guérilla politique. Pensons aux conflits afghan et vietnamien. Ils n'ont pas utilisé des forces armées régulières en uniformes pour affronter directement les forces d'occupation américaines. Ils ont plutôt réalisé un patient travail de guérilla jusqu'à ce que l'opinion publique américaine en ait ras le bol. Des lors, leur victoire est devenu inévitable.
Il m'apparaît de plus en plus évident qu'un gouvernement souverainiste à Québec n'aide en rien la cause de la souveraineté. Même, qu'il l'empêche de progresser.
Le gouvernement Marois illustre parfaitement mon propos. Du jour au lendemain, le PQ se retrouve à gérer une province à l'intérieur d'un cadre qui le rend extrêmement vulnérable. Pendant que les agences de notations le menace d'une décote, Ottawa lui lance généreusement des pelures de bananes. Les partis fédéralistes provinciaux rivalisent de démagogie pour discréditer non seulement le PQ, mais tout le projet de souveraineté. "Le PQ n'est même pas foutu de gérer une province, comment pourrait-il gérer un pays?", disent-ils. Les pouvoirs et les moyens d'Ottawa sont tout simplement trop importants pour l'affronter ainsi directement sur son propre terrain.
Selon les pronostics de plusieurs analystes politiques, le PLQ reprendra le pouvoir lors de la prochaine élection. Le PQ fera alors face à un sévère choc existentiel. Cela pourrait s'avérer un mal pour un bien. Dans un tel scénario, Mme Marois n'aura d'autres choix que de se retirer.

Le PQ sera alors à la croisée des chemins. S'il aspire à former un bon gouvernement provincial efficace, il devra abandonner le projet de souveraineté. Si, au contraire, son ambition est de réaliser la souveraineté, il devra se résigner à demeurer dans l'opposition le temps qu'il faudra pour conduire son combat. Il devra être indiscutable pour tout le monde qu'un vote pour le PQ est un vote pour la souveraineté. Bien sûr, on devra se résigner à ne plus occuper de postes de ministre, ou à être nommé à des postes de prestige. Toutefois, il devrait être capable de former une opposition officielle très dynamique, avec un bon contingent de députés.
Cette opposition devra littéralement harceler les gouvernements d'allégeance fédéraliste au Québec, ainsi que le gouvernement fédéral. À l'usure, l'opinion publique du ROC pourrait vouloir ne plus s'opposer à la séparation du Québec, même qu'on pourrait la souhaiter. Des signes en ce sens sont déjà perceptibles. Il faut se concentrer sur ce facteur. C'est la clé permettant d'ouvrir la porte à la souveraineté du Québec.
Parallèlement à cette action au provincial, il faut redynamiser les forces souverainistes présentes à Ottawa, soit le Bloc Québécois. Cette union des forces souverainistes derrière le Bloc devra toutefois se manifester par plus de conviction que de simplement d'aller voter une fois aux quatre ans. Il faudra participer activement au financement et s'impliquer tout aussi activement dans l'organisation et durant les campagnes électorales du Bloc.
Les forces souverainistes seront ainsi au coeur de la machine fédéraliste, autant à Ottawa qu'à Québec. Nous pourrons surveiller de près tout ce qui s'y passe et se brasse. Nous aurons un budget de recherche permettant de monter des dossiers étoffés. Nous aurons une excellente tribune pour parler directement à tous les québécois. Notre financement sera assuré par les gouvernements fédéralistes en place, et par les contributions des citoyens grâce aux déductions fiscales sur les dons politiques. Toutes nos énergies pourront alors être dirigées vers la promotion de la souveraineté, plutôt que de tenter de gérer une province dans des conditions perdantes.
L'idée est de combattre sur deux fronts avec tous les moyens à notre disposition.
Rien ne garanti le succès d'une telle stratégie. Toutefois, on sait que la stratégie que l'on poursuit depuis 40 ans nous a conduit dans un véritable cul-de-sac.


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 août 2013

    Merci pour vos commentaires M. Bertrand,
    Quelques remarques...
    "Et ce n’est pas avec le petit budget de simples député(e)s que le PQ ou le BQ arriveraient à financer les recherches nécessaires pour appuyer la pédagogie de l’indépendance."
    Le financement des partis politique se fait selon le nombre de votes lors de la dernière élection. Le financement obtenu par le parti de l'opposition officielle n'est donc pas nécessairement beaucoup moins que de celui du parti au pouvoir. Même qu'il est déjà arrivé que le parti au pouvoir avait gagné plus de circonscriptions, mais moins de votes que le parti de l'opposition.
    "Le Bloc québécois ne réussira son travail de "guérilla" qu’en sabotant la mécanique parlementaire à la Chambre des communes, en empêchant le gouvernement de légiférer lorsqu’il va à l’encontre des intérêts des indépendantistes québécois."
    Dans le système parlementaire actuel, il est pratiquement impossible que le Bloc, par lui-même, puisse bloquer une législation fédérale. Il devra gagner à sa cause d'autres partis fédéraux partageant l'opposition avec lui. Pas impossible. Mais, si cela se produit, ce ne sera qu'en des circonstances très exceptionnelles.
    Le Bloc à Ottawa est surtout utile en ce qu'il est une tribune médiatique qui permet de faire la promotion de la souveraineté, et de dénoncer publiquement les initiatives fédérales allant à l'encontre des intérêts du Québec. Et cela, au frais de Sa Majesté! Gilles Duceppe était un excellent porte-parole qui a participé très activement au travail de pédagogie pour la cause. C'est un deuxième front qu'il ne faut pas négliger.

  • Luc Bertrand Répondre

    31 juillet 2013

    Pour compléter mon commentaire, monsieur Carmichael, la pédagogie de l'indépendance se devra d'être faite par un autre parti que le PQ, ne serait-ce que par besoin de cohérence et de crédibilité, puisque le seul objectif de ce parti est la prise du pouvoir ou son maintien dans les conditions actuelles. Le Bloc québécois ne réussira son travail de "guérilla" qu'en sabotant la mécanique parlementaire à la Chambre des communes, en empêchant le gouvernement de légiférer lorsqu'il va à l'encontre des intérêts des indépendantistes québécois. C'est une mission extrêmement difficile et ingrate pour celles et ceux qui auront à l'accomplir. Pour y arriver, il devra y avoir concertation entre les indépendantistes à Québec et ceux à Ottawa, autrement nos bloquistes seront isolé(e)s et persécuté(e)s par tout ce qu'il y a de médias, de politicien(ne)s et de fédéralistes, que ce soit au Québec ou au Canada et leur position deviendra rapidement intenable. Pour pouvoir réussir, il faut toujours bien qu'il y ait un espoir de réussite!
    Les député(e)s du Bloc ne doivent en aucun cas permettre au fédéralisme de bien fonctionner. Mais pour y arriver, le parti indépendantiste à Québec doit s'engager concrètement dans la réalisation de l'indépendance dès qu'il prend le pouvoir! "L'affirmation nationale", "l'autonomisme" ou l'actuelle "gouvernance souverainiste" ne veulent rien dire s'il s'agit de continuer à respecter la constitution canadian que nous n'avons jamais signée!

  • Luc Bertrand Répondre

    31 juillet 2013

    Monsieur Carmichael, je suis d'accord avec votre lecture de la dynamique Ottawa-Québec et votre théorie voulant que l'élection du PQ nuise à la cause indépendantiste. Cependant, le passé démontre bien que la très grande majorité des candidat(e)s du PQ et du BQ ont toujours aspiré à prendre le pouvoir (la majorité des sièges du Québec dans le cas du Bloc). D'ailleurs, si ce n'était pas le cas, ni le PQ ni le BQ parviendrait à rallier la société civile derrière eux et peineraient à recruter des membres et recueillir du financement. Personne n'aspire à perdre, et encore moins de manière aussi délibérée et systématique!
    Et ce n'est pas avec le petit budget de simples député(e)s que le PQ ou le BQ arriveraient à financer les recherches nécessaires pour appuyer la pédagogie de l'indépendance.
    La triste réalité est, hélas, que le Parti québécois, à force de troquer ses idéaux (indépendance et sociale-démocratie) pour accéder plus vite et plus facilement au pouvoir, s'est ajouté à la longue liste des "vieux partis" qui ont perdu leur pertinence et la confiance de leur base militante. Malheureusement, le seul "vieux parti" qui a échappé à cette loi non écrite est le PLQ, car il a toujours constitué le parti traditionnel du "pouvoir". Appuyé à la fois par les milieux économiques et financiers, la minorité anglophone, les immigrants hostiles à la langue française, par une élite collaboratrice et un électorat peu scolarisé "French Canadian", le Parti libéral a, plusieurs fois au cours de son histoire, connu des scissions qui ont conduit à la formation d'autres partis (MSA, ADQ). Ces partis de dissidents ont tenu la route tant qu'une portion importante de l'électorat leur faisait confiance. Certains ont choisi de disparaître pour reprendre vie sous un autre nom et avec de nouvelles idées (UN/ADQ/CAQ), mais le parti "parent" (le PLQ) est toujours resté, grâce à son électorat conservateur de base de 30%.
    Le PQ est donc, lui aussi, devenu un vieux parti, son intransigeance et son électoralisme à courte vue étant à l'origine de la création d'autres partis (UFP/QS/PI/ON). Contrairement au PLQ qui a toujours gagné à faire perdurer le "système" (le statu quo fédéraliste), le PQ nuit à "son" option en gardant captif l'électorat souverainiste (par crainte de l'élection du "gouvernement par défaut", le PLQ) qui fait justement défaut à toute nouvelle alternative sérieuse pour replacer l'indépendance au centre de toute action politique. Les électeurs indépendantistes de Pointe-aux-Trembles, Bourget, Borduas, Marie-Victorin ou Taillon n'ont pas plus progressé vers leur objectif en en faisant autant de "Westmounts péquistes" que s'ils avaient voté libéral! Bien sûr, ils ont empêché le Québec de reculer plus vite mais ils ont également empêché le renouvellement du mouvement indépendantiste et nui à sa cohérence.

  • Stéphane Sauvé Répondre

    4 juillet 2013

    Le peuple cherche son oxygène dans cette survie du quotidien (dette, boulot, famille séparée, etc.) et son attention immédiate ne porte pas sur l'indépendance du Québec. Si nous nous ne lui donnons pas un apercu de cette lumière au bout du tunnel, rien n'y fera, les Québécois s'embourberont davantage.
    Le consumérisme, la mondialisation, le cynisme devant la corruption et les promesses brisées, la division de nos forces, le manque de vision des souverainistes, le brainwashing de Radio-Cadenas et de Gesca sont autant de facteurs expliquant cette tiédeur des Québécois pour la « chose » nationale.
    Fort de ce qui précède, c’est sur le plan de la fierté des Québécois que nous devons investir notre énergie ainsi que dans le renforcement de cette justice universelle dans laquelle les Québécois croient. C'est par des exemples concrets qui illustrent ce qu'est la véritable indépendance d'un peuple que nous parviendrons à convaincre.
    Plus de 70 % des Québécois voterait pour un parti qui dit non aux OGM (ou oui à l'étiquetage), oui à un système carcéral intelligent et peu couteux qui prévient le crime et non le contraire, une politique d'investissement dans les petites et moyennes entreprises, une politique d'intégration des immigrants qui protège la paix sociale à long terme, un système bancaire équitable où un frein est mis à l'abus des profits et à la rémunération des dirigeants, une politique énergétique cohérente où une ristourne est donnée à ceux qui parviennent à économiser l'énergie, etc. Mais voilà, nous sommes pris avec des partis politiques qui ont peur d'innover et de proposer.
    Les forces souverainistes doivent s’unir derrière un ou deux projets phares, tels que le Trensquébec et affirmer leur vision du pays qu’il souhaite . Les Québécois pourront alors mieux apprécier l’esprit qui guide les forces souverainistes. Pour l'heure, nous sommes dans la politicaillerie basse et peu inspirante.
    Actuellement, nous nous percevons entre nous comme des « chicaneux » et on nous percoit comme des incompétents. À courte vue, c’est bien ce qu’il en est.
    À y regarder plus près cependant, c’est la vision d’ensemble qui cherche à se renouveler à travers l’incarnation d'idées dans lesquelles plusieurs d’entres nous croyons mais qui se butent à un conservatisme délirant, lui-même conditionné par les pressions de l'establishment.
    Nous sommes à la croisée des chemins. Il faudra bientôt que les biens pensants du PQ et du Conseil de la souveraineté se secouent de leur torpeur et innovent dans leur façon de voir et faire les choses.
    Vigile est un exemple frappant du conservatisme ambiant chez les indépendantistes. Nous avons entre les mains un outil puissant qui ne demande qu’à être renforci pour son plus grand rayonnement. Nous résistons au changement, et se faisant, n'utilisons pas nos outils et nos ressources à leurs pleines mesures.
    Nous avons peur de brusquer, de choquer et de s'affirmer. Notre silence derrière ce référendum "volé" de 95 ou encore de cet attentat du 4 septembre, en dit long sur notre peur de déplaire.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 juin 2013

    Fort intéressant; mais la stratégie que vous proposez n'a absolument rien de nouveau.
    Si elle n'a pas apporté l'indépendance, notamment depuis l'avènement du Bloc en 1993, peut-elle encore marcher?
    Peut-être.
    Peut-être n'a-t-elle pas encore pu apporter les fruits souhaités.
    Je comprends mal ceux qui disent que la présence du Bloc à Ottawa "nuit à la souveraineté".
    Si le Québec n'est pas indépendant d'ici les prochaines élections fédérales, je souhaite ardemment un retour en force du Bloc à Ottawa.
    Ce retour du Bloc après que les fédéralistes aient applaudi sa "mort" pourrait avoir un impact encore bien plus puissant que par les élections passées.
    Aux Bloquistes: persévérance et courage, nous avons été 24% à voter pour vous en 2011 et nous sommes encore là.

  • Laurent Desbois Répondre

    29 juin 2013

    "Rien ne garanti le succès d’une telle stratégie. Toutefois, on sait que la stratégie que l’on poursuit depuis 40 ans nous a conduit dans un véritable cul-de-sac."
    Un beau cul-de-sac... l'indépendance!
    «Le Québec a autant de chance de devenir souverain que Jacques Chirac de devenir président de la France.» -Jean Chrétien
    « On ne peut pas dire la vérité à la télé, il y a trop de gens qui regardent! » Coluche
    • 1965, 15% pour la souveraineté (Trudeau arrive à Ottawa pour sauver le Canada!)
    • 1980 référendum, 40% pour la souveraineté!
    • 1995 référendum volé, près de 50% pour la souveraineté!
    …….. 2011 60%?????
    La décanadianisation du Québec s’accélère
    http://www.vigile.net/La-decanadianisation-du-Quebec-s
    http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/la-decanadianisation-du-quebec-saccelere/7024/
    Alors, commente Jack Jedwab, “ce qui m’inquiète est que la totalité des groupes de moins de 65 ans se sentent très détachés du Canada”. Jack est, comme chacun le sait, un fédéraliste convaincu. Il a de bonnes raisons d’être inquiet.
    « Les fruits sont murs dans les vergers de mon pays. Ça signifie que l’heure est venue, si t’as compris… » Félix Leclerc