Laurent Zecchini - Le risque n'est pas grand d'envisager tout de suite les conclusions de l'instance créée par Israël pour enquêter sur les circonstances de l'assaut du 31 mai contre la flottille pour Gaza. Au vu du mandat et de la composition de cette commission-croupion, il apparaîtra qu'Israël a exercé son droit souverain d'empêcher que le Hamas soit ravitaillé en armes et en munitions par une contrebande terrestre et maritime, puisque Gaza n'a cessé, depuis juin 2007, d'être une "entité ennemie" pour l'Etat juif.
Israël compte sur la brièveté du temps médiatique, l'inconstance du tempo diplomatique et aussi la perspective des élections américaines à mi-mandat, en novembre, pour que cette vague d'opprobre international se dilue, comme après tant d'autres orages. Dans l'immédiat, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou doit gérer une nouvelle crise et un échec politique, qui est à l'aune de la victoire politique remportée par le Hamas.
Peu habituée à être vilipendée, sensible à l'opinion des pays arabes pour qui sa collaboration avec Israël était devenue injustifiable, l'Egypte a lâché la première, et accepté de rouvrir partiellement le terminal de Rafah, desserrant ainsi le garrot du blocus. Israël a suivi, parce que l'administration américaine le lui demandait avec insistance, et parce que le fait de laisser rentrer à Gaza quelques centaines de produits alimentaires supplémentaires n'entamera en rien le carcan sécuritaire de la bande de Gaza.
M. Nétanyahou achète ainsi à peu de frais l'impression donnée aux pays amis et alliés d'Israël qu'il écoute leurs avis. Le constat de l'inefficacité du blocus s'imposait : celui-ci n'a pas permis la libération du soldat israélien Gilad Shalit, dont le quatrième anniversaire de la détention à Gaza a lieu le 25 juin ; il a transformé l'étroite bande de terre en un vase clos où la férule du Mouvement de la résistance islamique s'exerce sans partage ou presque.
En un sens, l'arraisonnement si médiatisé de la flottille pour Gaza a constitué une divine surprise pour le Hamas : son combat en faveur de la levée du blocus, jusque-là très mollement soutenu par les pays arabes et occidentaux, est devenu une priorité internationale. Ce succès n'est pas une bonne nouvelle pour la paix, tant il risque de renforcer l'intransigeance du Mouvement de la résistance islamique vis-à-vis de son frère ennemi, le Fatah.
Le premier se refuse à signer le document de la réconciliation palestinienne préparé par Le Caire pour ne pas cautionner le pouvoir de Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne. Le desserrement du blocus accroît la marge de manoeuvre politique du Hamas, qui gagne du même coup un puissant parrain : devenue le champion de la cause palestinienne, la Turquie évince l'Egypte, déjà passablement en perte de vitesse dans le monde arabe.
Cet activisme turc agace non seulement l'Autorité palestinienne, l'Egypte et l'Arabie saoudite, mais aussi tous les pays arabes modérés, peu désireux d'assister à un renforcement de l'influence de Téhéran et de Damas, qui arment et financent le Hamas et le Hezbollah libanais. Il est prématuré d'en conclure à l'émergence d'un nouvel axe Turquie-Iran-Syrie. Si la volonté de rapprochement du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, est forte, sa méfiance vis-à-vis d'un Iran nucléaire l'est encore plus.
De même est-il trop tôt, en dépit d'une tension diplomatique croissante, pour conclure à la fracture du partenariat stratégique entre Israël et la Turquie. La rhétorique enflammée d'Ankara n'est pas sous-tendue par une idéologie anti-israélienne. Le commerce bilatéral entre les deux pays dépasse 2,6 milliards de dollars (2 milliards d'euros) et leur coopération militaire perdure : c'est grâce aux drones israéliens Heron que l'armée turque mène l'offensive contre les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Un examen lucide devrait inciter le gouvernement de M. Nétanyahou à dresser un bilan morose : les Américains ont surtout vu dans cet épisode d'une guerre navale picrocholine au large de Gaza un nouveau raté du résistible processus de paix israélo-palestinien. Il faut écouter Meir Dagan, le chef du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, lorsqu'il se préoccupe de voir Washington considérer Israël "davantage comme un handicap que comme un atout pour les Etats-Unis".
Sur le plan politique, l'épisode de la flottille a engendré, au sein même du gouvernement israélien, la recherche effrénée d'un bouc émissaire. Le réflexe de survie politique a joué, et il a été jugé plus facile de désigner à la vindicte la " traîtrise" supposée des Arabes-Israéliens. La mise en cause des services de renseignement, sur la sellette depuis le Dubaïgate, a été à peine esquissée. Puis la vieille stratégie du bunker, tant à l'intérieur que vis-à-vis de la communauté internationale, s'est imposée, et Israël s'est rabattu sur l'explication commode d'un ostracisme international à son égard.
Avec une commission d'enquête crédible, le gouvernement israélien avait l'occasion de faire preuve de transparence, d'affronter ses dysfonctionnements internes, et de convaincre du bien-fondé de sa résistance au Hamas. Il vient de laisser passer cette opportunité.
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