La guerre du vocabulaire. Ou comment réapprendre à parler sans se soumettre aux censeurs.

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Lorsque la censure va jusqu'à nous amener à nier non seulement notre existence mais aussi notre droit d'exister





De bons amis, soucieux de notre bonne réputation, disent souvent aux nationalistes québécois: n'utilisez pas le mot «identitaire» lorsque vous parlez de votre vision du Québec, il est contaminé par les groupuscules qui le revendiquent. Identitaire serait un mot toxique, à proscrire.


Ces mêmes amis nous disent: n'utilisez pas le mot «conservateur», il vous fera passer pour des nostalgiques de Stephen Harper. Il témoigne d’une psychologie du repli sur soi, presque antimoderne.


Ces mêmes amis poursuivent: ne vous dites pas «nationalistes», ce mot, en Europe, est associé à l'extrême-droite.


Et il arrive même que ces amis nous disent: souverainiste, c'est un mot qui laisse croire que vous êtes fermé à la mondialisation. À tout le moins, en France, on en fait un symbole de fermeture.


À ce rythme, nous finirons par ne plus rien dire.


Certes, le langage est l'objet d'un débat politique. Chacun cherche à imposer son vocabulaire à l'adversaire: on veut survaloriser ses propres mots et dévaloriser ceux du camp d'en face. C’est ainsi depuis toujours et cela ne changera pas demain.


Mais je constate que ceux qui sont attachés à la cause nationale se laissent intimider par ceux qui cherchent chaque fois à disqualifier leur vocabulaire. Ils se laissent piéger. Ils ne savent plus trop comment parler.


Retrouvons le sens premier de ces mots.


Identitaire? On réfère ainsi à la part existentielle de la communauté politique. On rappelle qu’elle n’est pas un pur artifice juridique et qu’elle s’est nouée dans la culture et l’histoire. On rappelle qu’un corps politique est nécessairement historique et qu’aucune nation ne saurait durer sans le souci de sa singularité, sans le désir de persévérer dans son être.


Conservateur? Le conservatisme est une philosophie de l’enracinement, qui rappelle que l’homme est un héritier, et qu’il doit s’inscrire dans une histoire particulière pour accéder à l’universel. Le conservatisme incite aussi à se méfier des fausses promesses de la modernité et de ses dérives, ce qui ne veut pas dire qu’il la congédie en elle-même.


Nationaliste? Ce mot est inscrit dans notre histoire. Il désigne une fidélité première au Québec et rappelle que jamais notre existence nationale ira sans combat en Amérique. Je veux bien croire qu’il change de signification en traversant l’Atlantique mais on ne saurait pour cela abolir la culture politique québécoise qui rend compte des singularités de notre aventure collective.


Souverainiste? Lui aussi est inscrit dans l’histoire politique du Québec: c’est ainsi qu’on a nommé la quête d’indépendance depuis la Révolution tranquille. Quand on nous invite à utiliser un autre terme parce que celui-là, en Europe, serait connoté à droite, on en vient encore une fois à dissoudre la singularité québécoise dans un contexte qui n’est pas le sien.


On me répondra: ne nous disputons pas pour des mots. Et pourtant il faut le faire. Parce qu’à bannir sans cesse des mots, c’est la possibilité d’exprimer certaines idées qu’on en vient à censurer. À force de se soumettre à la police du langage, on développe un très fort réflexe d’autocensure, on ne parvient plus à parler librement, et à terme, on en vient à penser contre soi, de peur de heurter les gardiens de la rectitude politique.




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