La gauche et le délit d’opinion

E61061be3ef9c2e426ec1e8e6be16301

La censure de la bien-pensance

Où l’on réalise que d’une côte de l’Atlantique à l’autre, les problématiques sont rigoureusement jumelles. Cet article vaut une lecture parce que même si nous ne connaissons pas forcément toutes les personnes dont il parle, une chose en ressort : Aux USA, les attaques pour délit d’opinion se situent dans le même registre qu’en France.


Chronique d’un copié-collé.


« L’idée selon laquelle vous ne pouvez pas coopérer du tout avec la droite est fondée sur un faux postulat : nous serions tous trop stupides pour faire la part des choses. Vous pouvez vous faire confiance pour comprendre avec qui coopérer et sur quels points. » – Caitlin Johnstone


Il y a quelques jours, MintPress News publiait un article rageur de Yoav Litvin intitulé « Le Parti des verts – marque contre son camp avec une escroquerie médiatique », originellement parue sur Counterpunch quelques jours plus tôt. Le post originel dans Counterpunch a été suivi, deux jours plus tard, par un article similaire de Joshua Frank, ridiculement intitulé « Sur les tentatives de Caitlin Johnstone et David Cobb [1] pour détruire le Parti des verts ».


Les deux articles attaquaient la blogueuse/journaliste de gauche Caitlin Johnstone, qui s’est récemment bâtie une renommée dans les milieux internationaux de la gauche pour ses positions iconoclastes, sa verve et la causticité de ses analyses politiques.


Naturellement, la plupart de ceux qui apprécient quelques-uns des excellents arguments de Johnstone peuvent ne pas être pour autant d’accord avec tout ce qu’elle dit. Mais nombre des idées et des opinions qu’elle exprime rencontrent de toute évidence un fort écho à droite comme à gauche, et il est par conséquent utile d’examiner quelques-unes de ses idées pour comprendre ce qui a provoqué l’hyperventilation de ces deux hommes.


Clairement, leur venin est principalement dû non pas au manque d’expérience professionnelle de Johnstone, qui ne mérite pas une attaque d’une bassesse pareille, a fortiori depuis qu’elle a enregistré un gros succès sur les réseaux sociaux. Il s’adresse principalement au fait que Johnstone en appelle à une coopération (explicitement limitée) avec des conservateurs de droite sur des questions particulières comme les mensonges de l’État profond et la propagande délivrée en continu par les médias grand public.


Litvin et Frank se réfèrent tous deux aux gens de droite avec qui Johnstone a indiqué sa volonté de coopération limitée comme des « fascistes » ou « des racistes d’extrême droite ». Aucun des deux n’hésite à salir Johnstone, ou tous ceux de gauche qui partagent ses vues, y compris David Cobb, en leur attribuant le pire des sectarismes droitards – bien que Johnstone expose très clairement les limites et paramètres des accords (et des désaccords) qu’elle préconise.


« … Les think tanks ont également pleinement conscience de la stigmatisation attachée à la notion de coopération avec l’autre bord du spectre politique, et ils l’exploitent à fond. L’intérêt envers l’expression « théorie du fer à cheval » [NdT : qui postule que les extrêmes politiques se rejoignent ou sont similaires], par exemple, a atteint des sommets cette année, avec l’utilisation par les experts de ce concept pour tenter de faire honte à la gauche anticapitaliste et la ramener dans le giron centriste, en proclamant que les gauchistes deviennent semblables aux caricatures de racistes et de suprémacistes blancs qu’ils imaginent être les électeurs de Trump.


Cela ne veut pas dire que nous devons reprendre à notre compte toutes les croyances de la droite anti-élites, et cela ne veut pas dire non plus que nous devons coopérer avec tous ses représentants… l’idée selon laquelle vous ne pouvez pas coopérer du tout avec la droite est fondée sur un faux postulat : nous serions tous trop stupides pour faire la part des choses… » (lien sur l’article en français).


Le fait que Johnstone ne soit en rien la première a proposer de travailler avec des éléments conservateurs sur des points communs ne compte pas – même si Ralph Nader [2] avait proposé un arrangement similaire dans le passé, et même si le remarquable succès de la campagne de Bernie Sanders était en grande partie dû à sa focalisation sur des questions qui intéressaient les deux bords politiques.


Je ne me souviens pas que dans le passé, qui que ce soit à Counterpunch soit tombé en morceaux de cette façon quand ce type de pragmatisme politique de bon sens était préconisé par Ralph Nader ou Sanders. Il n’y avait pas non plus de tentatives ridicules de faire passer ce type d’accord pour une alliance « rouge-brune », ou le résultat d’une influence russe – exercée par le Kremlin, qui aurait profité du vide créé par la consolidation des médias occidentaux en une seule masse homogène pro-business. Nous devons chercher ailleurs ce qui a bien pu envoyer ces deux garçons dans un état apoplectique.


En vérité, pour ces arbitres autoproclamés de la soi-disant pureté gauchiste, le vrai poil à gratter a été la façon dont Johnstone a dénoncé quelques-unes des vaches sacrées de la propagande des médias grand public comme autant de foutaises. Elle a commis l’erreur de pointer du doigt quelques-uns des mensonges dont le public a été implacablement gavé à propos des événements récents en Syrie, par exemple. Elle donne des noms et reproche leurs campagnes de désinformation aux gouvernements vendus et à leurs collègues des médias.


Qu’est-ce que nous pouvons penser d’autre quand Litvin tente de prouver que Johnstone est raciste avec ce lien ? En fait, c’est une vidéo sur une campagne de propagande frauduleuse diffusée par CNN, qui utilise une petite fille syrienne pour induire le public en erreur sur la situation dans le pays.


Encore plus révélateur, ce passage où Frank se coiffe d’un entonnoir :


« Pourquoi est-ce que Cobb, et tant d’autres, sont aussi gâteux sur Johnstone ? Est-ce parce qu’elle reprend les points de discussion du Kremlin et des théories du complot populistes à chaque fois qu’elle en a l’occasion, et qu’elle stimule les gauchistes en quête de réponses simplistes aux problèmes complexes actuels ? Ding dong ! [3] Bien sûr, il y a plus, beaucoup plus. Malgré les preuves formelles selon lesquelles le membre du Parti démocrate Seth Rich n’a pas été tué pour avoir fuité les mails de John Podesta, elle a maintenu sa théorie du complot. [4] Elle a écrit pour des sites sur le 11 septembre. [5] On peut en conclure qu’elle est au moins en accord avec des causes perdues. »


Ah, nous tenons notre réponse ! Il y a des sujets tabous pour les gardiens mondiaux du temple de la gauche !


Apparemment, tous ceux qui n’adhèrent pas aux mensonges éhontés de l’État profond sur les très médiatiques attaques aux gaz chimiques en Syrie – dictés par les administrations Obama et Trump et recopiés en boucle par les médias grand public – ont été trompés par des « théories du complot populistes » et des «  points de discussion du Kremlin ».


De fait, j’ai noté que les points de discussion du Kremlin manquent souvent de clarté, de profondeur et de détails sur certaines questions. Peut-être devrait-il envisager de prendre des leçons de quelques personnes occidentales qui ont brillamment enquêté et analysés certains de ces sujets.


Malheureusement pour ceux qui colportent les mensonges consternants de l’Empire du business, les faits comptent aux yeux d’au moins une frange du public. Au sujet de ces attaques chimiques, non seulement nous pouvons compter sur nos facultés critiques, mais nous avons en plus d’excellents sources d’information locales sur lesquelles nous appuyer, par exemple le journaliste d’investigation prix Pulitzer Seymour Hersh et l’ancien expert du Pentagone sur les armes chimiques Theodore Postol, professeur émérite de science, technologie, et sécurité nationale au MIT. Litvin et Frank préfèrent apparemment la propagande colportée par l’ambassadrice neocon des USA à l’ONU Niki Haley, le NY Times et CNN.


Que ce soit au sujet des campagnes de propagande de l’État profond sur les événements de Syrie, d’Ukraine, du Venezuela , de Libye, des USA ou de n’importe où ailleurs, nous avons une belle moisson de journalistes intègres qui se sont engagés à enquêter sur des faits et à respecter la vérité. Sur la Syrie, par exemple, nous avons Vanessa Beeley aussi bien qu’Eva Bartlett ou Mnar Muhawesh, John Pilger et Abby Martin – et d’autres, beaucoup d’autres.


Des théories du complot, dites-vous ? Pourquoi se fatiguer à échafauder des théories quand vous disposez de pléthore de faits prouvés ? Mais les faits qui contredisent la propagande officielle, quel que soit le sujet, sont étiquetés «  théories du complot » par les « élites ». Elles nous le rappellent à travers leurs hommes de main, qui campent à perpétuité dans les médias grand public, et qui ont également été libéralement disséminés dans les rangs de la « gauche ». La faute de Caitlin Johnstone est d’avoir dépassé les limites avec ses défis à certaines vaches sacrées de l’État vendu au secteur privé, et c’est une faute qu’ils veulent lui faire payer.



Traduction et note d’introduction Entelekheia


Addendum-maison : Il se peut aussi que Caitlin Johnstone se soit attirée les foudres d’une certaine bien-pensance insincère de « gauche »  parce qu’elle propose une solution fonctionnelle. Comme elle l’a dit elle même : « Ils essaient de nous diviser parce qu’ils sont terrifiés à l’idée de ce qui se passera quand nous nous unirons. »

Un certain narcissime « puriste » est également possiblement en cause.


Notes de la traduction :


[1] Candidat aux présidentielles du Parti des verts en 2004


[2] Ralph Nader est une icône de la gauche américaine. Il a été candidat aux présidentielles du Parti des verts en 1996 et 2000, puis candidat indépendant en 2004 et 2008.


[3] Le lien pointe sur un article où Caitlin Johnstone dénonce la propagande sur les soi-disant « attaques au sarin d’Assad » en Syrie et prévient que les suivantes, s’il y en a, seront à examiner avec la plus grande attention envers la possiblité qu’elles soient orchestrées par des « rebelles » pour tenter de déclencher une attaque de l’OTAN contre la Syrie.


[4] Le meurtre de Seth Rich, membre du Parti démocrate, officiellement par des voleurs qui en voulaient à son portefeuille, le 10 juillet 2016, n’en finit plus de susciter la controverse. Wikileaks a offert une somme de 130 000 dollars à qui livrerait le nom de ses meurtriers. Même si Julian Assange refuse catégoriquement de nommer ses sources, il semble probable que Seth Rich soit la personne qui avait fuité les mails de John Podesta à Wikileaks (via Craig Murray), d’où les questionnements récurrents sur son assassinat… et la récompense offerte par Wikileaks.


[5] Non. Elle a publié ce texte sur son espace de Medium.com et, comme beaucoup d’articles, il a été repris sur plusieurs autres plate-formes sans qu’elle y ait forcément consenti, ou même qu’elle en ait été avisée. Les articles étant souvent librement reproductibles à la seule condition de citer leur source, aucun auteur ne peut être tenu pour responsable des vues de ceux qui reprennent ses articles.



Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé