L'ordre avant tout : pour éviter un nouveau vote, Merkel s'alliera finalement aux socio-démocrates

E2f8eeec811f6f3500a937274392560c

En Allemagne, une élection pour rien

Ni les socio-démocrates ni la CDU d'Angela Merkel ne voulaient reconduire la coalition grâce à laquelle ils gouvernaient l'Allemagne depuis 2013. Face au risque de voir l'AfD triompher en cas de nouvelles élections, les deux partis ont changé d'avis.


Le Parti social-démocrate (SPD) et l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel ont finalement décidé d'engager des discussions pour reconduire la coalition qu'ils formaient au pouvoir depuis 2013. Il y a à peine quelques semaines, le SPD avait pourtant annoncé en grande pompe ne plus vouloir gouverner avec la chancelière. Mais la perspective de nouvelles élections après l'échec des négociations entre la CDU, les écologistes et les libéraux a conduit le SPD à changer d'avis.


La crise politique en cours en Allemagne avait une issue toute tracée. Le président de la République, Frank-Walter Steinmeier, lui-même membre du SPD, devait prendre acte de l'échec des pourparlers et convoquer de nouvelles élections pour avril prochain. Mais lui-même n'était pas favorable à cette option. Son parti a perdu 40 sièges au Parlement à l'automne dernier par rapport à 2013, réalisant le pire score de son histoire depuis l'après-guerre : la débâcle aurait pu être encore plus violente au printemps. C'est précisément pour les mêmes raisons que l'aile gauche du SPD ne souhaitait plus gouverner. Des compromis trop nombreux avec la CDU auraient «droitisé» le parti et lui auraient fait perdre de nombreux électeurs. 


L'opposition était rude entre les partisans d'une cure d'opposition pour dynamiser le SPD, en tête desquels Martin Schulz, candidat malheureux aux élections de l'automne dernier, et les promoteurs d'une nouvelle «Grosse Koalition» réunissant à nouveau le SPD et la CDU. Ces derniers semblent l'avoir emporté : le 24 novembre dernier, après une nuit entière de débats, le SPD annonçait qu'il n'était plus «fermé à la discussion». Quelques minutes plus tard, la CDU réagissait avec enthousiasme et annonçait vouloir entamer les discussions au plus vite. «Une alliance des conservateurs et du SPD est la meilleure option pour l'Allemagne», déclarait déjà quelques heures plus tôt Horst Seehofer, l'un des cadres du camp Merkel.


Une alliance à reculons


Ainsi, Angela Merkel espère éviter de nouvelles élections – qui auraient marqué la fin de sa carrière politique, mais également un probable succès électoral du parti eurosceptique et anti-immigration Alternative pour l'Allemagne (AfD). En outre, depuis 2013, la formation politique d'Angela Merkel a perdu 65 sièges au Parlement et nombre de ses électeurs, qui lui ont préféré l'AfD. Tout comme ceux du SPD qui regrettent la droitisation de leur parti au contact du pouvoir et de la chancelière, les électeurs de la CDU déplorent la gauchisation de leur mouvement à force de compromis avec le SPD.


C'est tout le paradoxe de la situation. Les deux partis ont beaucoup perdu en s'associant pendant la législature précédente. Ils ont beaucoup à perdre en s'associant de nouveau. Mais mieux vaut une défaite probable dans quatre ans qu'une défaite certaine dans quatre mois. Le souci de maintenir l'ordre plutôt que de consulter de nouveau les électeurs dans cette période d'instabilité habitent les responsables des deux camps. Mais ni le SPD ni la CDU ne souhaitent donner l'impression d'avoir été contraints de s'entendre – ou pire, de s'accrocher au pouvoir par une entente contre-nature de dernière minute.


Dans les deux camps, on assure qu'aucune concession ne sera faite et que les négociations ne sont pas incompatibles avec une réelle exigence politique. «Nous ne serons pas la roue de secours d’une chancelière qui a échoué», a fait valoir Andrea Nahles, la présidente du groupe SPD au Bundestag, lors d'une conférence devant les jeunes socialistes le 24 novembre dernier. Même son de cloche à la CDU. Angela Merkel a assuré le même jour vouloir «former très rapidement un gouvernement qui ne soit pas seulement chargé d’expédier les affaires courantes». La coalition à venir ne serait donc pas un pis-aller dicté par un pragmatisme de la dernière chance, mais bel et bien un projet porteur d'ambitions politiques.


Pour surmonter les divergences : la carte européenne


Reste à savoir sur quelles bases s'appuiera la future alliance. Deux partis qui ont gouverné ensemble pendant quatre ans, décevant leurs électorats respectifs, qui ont mené une campagne véhémente l'un contre l'autre avant de divorcer avec fracas il y a quelques mois peuvent-ils réellement s'entendre par la grâce de la seule nécessité politique ? D'autant que les militants du SPD qui ne voulaient pas d'alliance avec la droite n'en veulent toujours pas. Quant à la branche conservatrice de la CDU, elle s'agace de voir reformée l'alliance avec le SPD, dont elle craint qu'il se montre abusif dans ses réclamations, se sachant être le va-tout d'Angela Merkel.«Nous n’acceptons pas le chantage. Si le SPD pense que nous sommes prêts à faire une grande coalition à n’importe quelle condition, il se trompe», déclarait au Spiegel le président de la Junge Union (jeunes conservateurs), Paul Ziemiak.


Les deux partis sont donc pleinement conscients de l'opération délicate que constituent ces négociations à venir. Les deux camps veulent à tout prix éviter la précipitation et les exigences de façade. Les discussions, qui ne doivent pas commencer avant janvier 2018, s'annoncent sous le signe de la pondération et du pragmatisme. Le SPD sait que la CDU transigera difficilement sur le seuil limite de 200 000 réfugiés annuels qu'elle a promis à son aile bavaroise de respecter quoi qu'il arrive. De son côté, la CDU sait qu'il ne faut pas brusquer son nouveau partenaire. «Il ne serait pas malin de fixer des lignes rouges», a mis en garde un bras droit d'Angela Merkel le 26 novembre au soir. 


Pour autant, des points de convergence existent, principalement sur l'Europe. Et, à défaut de pouvoir miser sur des annonces concrètes pour l'instant, SPD et CDU peuvent au moins compter sur le poids symbolique du dossier européen. D'autant que les libéraux avec lesquels Angela Merkel avait initialement prévu de gouverner se positionnent clairement comme opposés à tout approfondissement de l'intégration européenne et que l'AfD, ouvertement eurosceptique, gagne de l'influence dans le débat public. Autre sujet d'entente entre les socio-démocrates et le camp Merkel : le maintien coûte que coûte d'un équilibre budgétaire. Outre-Rhin, la question de la gestion rigoureuse des comptes publics ne fait pas débat, ni au SPD ni à la CDU. Le dossier budgétaire et le dossier européen sont d'ailleurs intimement liés, car le poids de Berlin dans l'UE est en grande partie dû à sa capacité à faire respecter les engagements financiers pris par les Etats membres. En dotant l'Allemagne au plus vite d'un gouvernement, SPD et CDU s'assurent ainsi de ne pas délaisser le leadership européen, à l'heure où Emmanuel Macron cherche à occuper l'espace diplomatique et politique que la crise allemande a laissé vacant.