« J’avais peur d’aller en enfer » : Ottawa s'attaque aux thérapies de conversion

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Ottawa n'a pas mieux à s'occuper ?


Gabriel Nadeau conserve un souvenir traumatisant de sa première thérapie de conversion.




Âgé aujourd'hui de 26 ans, il vit pleinement son homosexualité. Cependant, il en a profondément souffert pendant son adolescence. Élevé dans une famille très religieuse, il s’est inquiété à 12 ans de ressentir une attirance envers les hommes.


Une photo de Gabriel Nadeau à l'adolescence, période de sa vie où il s'est tourné vers les thérapies de conversion.

Une photo de Gabriel Nadeau à l'adolescence, période de sa vie où il s'est tourné vers les thérapies de conversion.


Photo : Courtoisie, Gabriel Nadeau




Influencé par son milieu, Gabriel a lui-même demandé à sa mère de subir une thérapie de conversion pour tenter de « guérir » son homosexualité. Un religieux s’est livré à une sorte d’exorcisme.


Il s’est mis à crier dans mes oreilles : "Au nom de Jésus, démon, sort!", raconte-t-il.


Gabriel est resté profondément marqué par cette expérience qui a duré une trentaine de minutes.



Je pleurais, pas tant parce qu’on me criait dans les oreilles. Je pleurais parce que je ne voulais tellement pas être comme ça, je ne voulais tellement pas être gai. J'étais tellement désespéré de changer, même à 12 ans.


Gabriel Nadeau


Voyant que cela ne fonctionnait pas, il s’est soumis à deux autres thérapies à 16 ans et 18 ans en payant des centaines de dollars de sa poche. J'avais peur d'aller en enfer, explique-t-il.


Avec du recul, il constate aujourd’hui à quel point cela a été dommageable pour lui. C'est un support social au rejet de soi, remarque-t-il. Aussi, dans mon cas, ç’a été la dépression, j'ai eu des pensées suicidaires, ajoute celui qui s’est éloigné de la religion depuis.


Gabriel Nadeau a accueille favorablement l'intention d'Ottawa de bannir les thérapies de conversion.

Gabriel Nadeau a subi trois thérapies de réorientation sexuelle dans sa vie.


Photo : Radio-Canada / Thierry Laflamme




Changements au Code criminel


Le gouvernement Trudeau déposera un projet de loi lundi à Ottawa pour s’attaquer à cette pratique.


Pendant la dernière campagne électorale, les libéraux avaient promis des modifications au Code criminel pour interdire, plus particulièrement chez les mineurs, cette pratique dangereuse et désapprouvée scientifiquement. Selon nos informations, certaines mesures proposées par le gouvernement s’appliqueront aussi aux adultes.


On ne choisit pas sa sexualité. On ne choisit pas envers qui l'on est attiré, insiste Bardish Chagger, ministre fédérale de la Diversité, de l’Inclusion et de la Jeunesse.



La science démontre que cette pratique ne fonctionne pas. C’est destructeur, dommageable et ça ne devrait pas exister.


Bardish Chagger, ministre de la Diversité, de l’Inclusion et de la Jeunesse


Bardish Chagger photographiée dans un bureau. Un drapeau de la fierté LGBTQ+ est affiché derrière elle.

La ministre fédérale de la Diversité, de l'Inclusion et de la Jeunesse, Bardish Chagger


Photo : Radio-Canada / David Richard




Le gouvernement fédéral pourrait s'inspirer du projet de loi S-260 présenté à la Chambre haute par le sénateur Serge Joyal en avril 2019.



Celui-ci proposait d’ériger en infraction la publicité de services de thérapie de conversion moyennant rétribution. Il proposait également de rendre illégal le fait « de bénéficier d’un avantage matériel, notamment pécuniaire [...], de la prestation d’une thérapie de conversion à une personne âgée de moins de 18 ans ». Sa proposition législative était assortie d’une peine d'emprisonnement maximale de 5 ans.


L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré en 2012 que ce type de thérapie constituait une grave menace pour la santé et les droits des personnes touchées.


La Société canadienne de psychologie (SCP) a fait savoir qu’elle s'oppose à toute thérapie visant à réparer ou à convertir l'orientation sexuelle d'une personne, quel que soit son âge.


La SCP souligne que ces interventions peuvent entraîner des conséquences négatives comme la détresse, l’anxiété et la dépression.


Déjà, certaines provinces, dont l’Ontario, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse, ont adopté des mesures pour interdire les thérapies de conversion. Des villes comme Vancouver, Calgary et Edmonton ont aussi banni cette pratique.



L’opposition disposée à collaborer


Pour l’instant, les principaux partis d’opposition à Ottawa semblent bien accueillir l’initiative, même s’ils attendent de prendre connaissance de la législation proposée.


Sans s’avancer sur un éventuel appui au projet de loi libéral, les conservateurs disent s’opposer à toute forme de pseudo-thérapie visant à changer de force l’orientation sexuelle d’un individu, a écrit un porte-parole. Nous tiendrons compte des réformes proposées au Code criminel par les libéraux, a-t-il ajouté.


Le Bloc québécois est en faveur, pourvu que les champs de compétence des provinces et du Québec soient respectés.


Le Nouveau Parti démocratique appuie une modification du Code criminel et demande l’élaboration d’un plan pancanadien pour mettre fin à ces thérapies.


Contestation annoncée


Des groupes accueillent avec méfiance la réforme proposée. Si la loi est adoptée, Campagne Québec-Vie, une organisation religieuse, serait prête à la contester devant les tribunaux au nom de la liberté de conscience et de religion.


Son président, Georges Buscemi, serait même prêt à la défier. Je ne peux pas parler pour les thérapeutes eux-mêmes, mais quand on fait du bien et que le gouvernement dit que c’est du mal, j’aurais tendance à dire qu’il faut faire le bien et assumer les conséquences. [...] Quitte à violer la loi, a expliqué M. Buscemi.



Si une personne se sent inconfortable avec son orientation sexuelle, qui est le gouvernement pour lui dire, non, vous n'avez pas le droit de la changer, votre orientation?


Georges Buscemi, président de Campagne Québec-Vie


Selon lui, il existe des preuves scientifiques selon lesquelles il est possible de changer l’orientation sexuelle d’une personne.


Des propos qui font bondir Jocelyn Gadbois de l'Alliance Arc-en-ciel de Québec. Qu’on vienne dire que les gens LGBTQ+ sont malades, je pensais qu’on était sortis de ce discours depuis longtemps!, s’exclame M. Gadbois. Selon lui, c’est la preuve qu’Ottawa doit intervenir. À ses yeux, il est essentiel d'affirmer aux groupes homophobes que leurs pratiques dommageables et nuisibles ne sont absolument pas acceptables.


Il s’étonne que des organisations qui offrent ces thérapies aient pignon sur rue au Canada et s’affichent ouvertement sur Internet.


Gabriel Nadeau, quant à lui, est convaincu que le gouvernement fédéral doit envoyer un signal clair pour éviter à d’autres ce qu’il a vécu. La violence, surtout contre un enfant, c'est illégal, c'est criminel, fait-il valoir.


À ses yeux, l'initiative fédérale constitue une sorte de guérison intérieure. Je suis touché. Je suis content que le gouvernement prenne position là-dessus, conclut-il.


Pour lui, cette réforme serait synonyme de justice, pour ces années où il a été privé de sa fierté.




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