PERSPECTIVES

Histoires de peur

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À l’approche de l’Halloween…

Lorsqu’on menace de briser un pays, on soulève tout de suite un débat émotif où les arguments économiques prennent souvent toute la place, quitte à ce qu’ils disent, parfois, n’importe quoi.
Dire que certaines voix dans le camp du Non s’inquiétaient de la trop grande discrétion du milieu des affaires dans le débat entourant le référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Le dévoilement, samedi dernier, d’un premier sondage donnant le camp du Oui gagnant par une toute petite marge, à quelques jours seulement du vote qui doit se tenir jeudi, a déclenché un déluge de mises en garde, pour ne pas dire de menaces, de la part de chefs d’entreprises et de commentateurs économiques.

À tout seigneur tout honneur, le Fonds monétaire international — qui admettait, il n’y a pas si longtemps encore, avoir grossièrement sous-estimé l’impact économique de ses propres politiques d’austérité — a prévenu les Écossais, jeudi, qu’une victoire du Oui serait source « d’incertitude » économique et pourrait notamment susciter des réactions « négatives » sur les marchés. Les analystes de la Deutsche Bank se sont faits plus directs en conseillant à leurs clients dans un tel cas : « Ayez peur, ayez très peur. »

Cinq banques — dont la Royal Bank of Scotland et la Lloyds — se sont d’ailleurs ajoutées, cette semaine, à la liste des entreprises qui menacent de déménager leurs sièges sociaux d’Écosse à l’Angleterre. Détenue à plus de 80 % par l’État britannique depuis son sauvetage durant la crise, la RBS a cependant tout de suite précisé à ses employés écossais qu’un pareil déménagement n’aurait aucun impact sur leurs emplois.

Tout le monde a parlé du terrible choc des derniers sondages sur les cours de la livre sterling. Sa valeur est passée, en deux jours, de 1,63 $US à 1,61 $US, avant de remonter à 1,63 $US deux jours plus tard. Quant au sentiment d’incertitude des entreprises écossaises, il est tellement grand, rapporte KPMG, que moins d’une sur cinq a jugé bon de se doter d’un plan d’urgence jusqu’à présent.

Penser avec sa tête

On ne compte plus le nombre de commentateurs qui ont conjuré tous ces Écossais trop émotifs de « penser avec leur tête plutôt qu’avec leur coeur ». L’un de ces analystes rationnels a affirmé, dans le Financial Times, qu’il n’y avait « pas une âme à Washington ou Delhi, Bruxelles ou Pékin » qui pensait que leur projet d’indépendance avait du sens. Le quotidien britannique de référence leur expliquait vendredi, sur la foi du témoignage d’un professeur de l’Université McGill et d’un autre de Toronto, comment le Québec était devenu un désert financier depuis l’élection du Parti québécois en 1976.

Les Québécois reconnaîtront plusieurs des enjeux économiques au coeur du débat référendaire écossais.

L’un d’eux est la capacité du clan indépendantiste d’honorer sa promesse de conserver la livre sterling, avec ou sans l’accord de Londres, de même que l’à-propos de cette idée.

Un autre est le mode de partage de la dette du Royaume-Uni et la capacité de l’Écosse, après cela, d’aspirer à des programmes sociaux plus généreux en dépit du vieillissement de sa population.

On se chicane aussi sur l’importance relative des réserves de pétrole britannique restantes dans la mer du Nord et dont la quasi-totalité se trouverait dans les eaux territoriales écossaises.

On se demande, plus généralement : comment l’économie écossaise pourrait ne pas reculer, en cette ère de mondialisation et de concurrence vive des pays émergents, en quittant l’un des pays membres du G7 pour se retrouver avec seulement 5,3 millions d’habitants et le 14e produit intérieur brut par personne au monde ?

Et les champions du monde sont…

Toutes ces questions sont importantes, y compris celles concernant la perception des marchés. Après tout, c’est notamment parce qu’on n’a pas suffisamment pris en compte leur perception (erronée) de la solidité des assises des marchés immobilier et financier américains qu’on a connu la crise que l’on sait.

Non, sans blague. On ne prend pas des décisions d’une telle importance sans qu’elles entraînent des conséquences économiques à court et long termes qui ne sont pas toujours prévisibles. Quelle que soit la décision.

Ce que l’on sait, toutefois, c’est que les économies qui se classent systématiquement au sommet des palmarès de prospérité et de qualité de vie en cette ère de mondialisation et de concurrence féroce ne sont pas les États-Unis, ni le Royaume-Uni, mais les pays d’Europe du Nord.

Le plus grand de ces pays (Suède) ne compte que 9,6 millions d’habitants. L’un d’eux (la Finlande) partage sa monnaie avec un tas d’autres pays et est donc soumis à une politique monétaire qui ne tient pas vraiment compte de sa réalité économique, les autres ont conservé leurs monnaies distinctes. Il y en a aussi un (la Norvège) qui bénéficie d’importantes rentes pétrolières, alors que les autres doivent compter sur leur sens de l’innovation pour défendre leur position concurrentielle.

L’une des principales forces de ces pays — dont personne ne remet en cause l’existence parce qu’ils existent déjà — serait, dit-on, de savoir regarder la réalité en face, convenir d’objectifs collectifs et agir en conséquence.

Reste maintenant aux Écossais de décider dans quel cadre national ils pensent pouvoir mieux faire cela.


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