Crise de l'Europe

Génération sacrifiée

Allemagne: les USA de l'Europe...

En Europe, la crise économique a produit un phénomène sociologique d'une telle énormité que ce dernier mot échoue à en traduire l'ampleur. De quoi s'agit-il? Des mouvements migratoires. Par centaines de milliers, les diplômés, les jeunes comme les quadras, quittent l'Espagne, l'Irlande, la Grèce et le Portugal pour un ailleurs proche ou lointain. Certains parlent de génération perdue. Il serait plus juste de parler de génération sacrifiée. Pour la première fois en vingt ans, en Espagne, le nombre d'émigrants a dépassé celui des immigrants. Entre janvier et septembre, 50 000 citoyens — 50 000! —, du royaume ibérique ont plié bagages pour s'installer au Brésil et au Brésil seulement. Des milliers d'autres ont mis le cap sur l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Australie ou l'Uruguay. Histoire de profiter de l'aubaine que constitue ce phénomène — la très grande majorité d'entre eux sont ingénieurs, techniciens ou encore médecins —, bien des pays dits d'accueil ont adopté un chapelet d'amendements afin de faciliter l'intégration et d'accélérer le rythme de cette immigration qui se distingue par ce trait: la majorité d'entre eux sont jeunes. Un exemple, même modeste, illustre à merveille les conséquences socioéconomiques marquées que va avoir cette migration sur les pays qui observent, impuissants, le départ des leurs. L'Agence pour l'emploi allemande a dépêché des recruteurs dans deux villes grecques et seulement deux: Athènes et Salonique. Résultat de leur démarche: 200 (!) jeunes médecins ont posé leurs candidatures. Autrement dit, cette fuite de cerveaux s'accompagne d'un effet pervers sur le plan de la santé. Lorsqu'on ajoute le nombre d'ingénieurs et autres de moins de trente ans, on constate un vice démographique aux retombées, à moyen terme, redoutables: le vieillissement accéléré de la Grèce. D'autant... D'autant qu'un autre manifestation elle aussi quantifiable s'est greffée à celles évoquées plus haut. En vertu du protocole de Bologne signé en 1999 afin d'uniformiser l'enseignement supérieur, des milliers d'étudiants qui ont d'ores et déjà agi et d'autres qui songent à le faire ont décidé de terminer leurs études dans les pays où leurs chances d'obtenir un boulot sont de loin supérieures à celles de leurs pays de naissance. On voudrait réduire aussi brutalement que rapidement le financement des universités espagnoles, portugaises et autres ou, a contrario, augmenter celui des allemandes ou des britanniques qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Pour bien saisir la facilité avec laquelle ces va-et-vient se font, on soulignera que depuis la signature de la convention de Schengen, en 1990, les Grecs, les Espagnols, les Portugais et les citoyens des autres pays peuvent circuler librement d'un bout à l'autre du continent. Ils peuvent surtout se trouver un boulot beaucoup plus facilement que les immigrants, car ils ne sont pas immigrants mais bel et bien citoyens de l'Union européenne. Les petits boulots? Ils sont entre les mains, si l'on peut dire, des Turcs, des Maghrébins ou encore des ressortissants d'Afrique subsaharienne. Ainsi donc, après avoir étouffé l'économie du sud, voilà que le nord empoche des bénéfices qui n'ont absolument rien de collatéral quand on s'attarde à la profondeur des mille et une conséquences politiques et sociales qui se conjuguent au présent et au futur simple, très simple. Dans le cas de l'Allemagne, on peut prévoir que l'énorme défi que lui posait le vieillissement de la population va se résorber. En partie, il est vrai. On peut surtout prévoir que cet afflux de personnes du sud aux quatre coins des nations du nord va alimenter à vitesse grand V les fondus de la peste brune.



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