Faut-il revenir à l'étalon-or ?

Des économistes et des politiques proposent de refonder le système monétaire international sur la base du métal jaune. Avec passion, mais sans grand succès.

La crise mondiale et sa géopolitique


Par DOMINIQUE ALBERTINI - Quel est le point commun entre Marine Le Pen, le président de la Banque mondiale Robert Zoellick, le libertarien américain Ron Paul et un économiste altermondialiste tel que Norman Palma ? L'or. Tous sont partisans de reconstruire le système monétaire international autour du précieux métal. Mais leur croisade récolte plus de moues sceptiques que de soutiens.
La réforme du système monétaire est pourtant un sujet majeur pour les grands dirigeants du monde. La question figurait même en tête des priorités de la présidence française du G20 en 2011. La crise de la zone euro, l'affaiblissement du dollar, la mainmise des autorités chinoises sur le yuan mettent à mal le système inauguré en 1971, après l'instauration du libre flottement des monnaies entre elles, qui consacrait le dollar comme monnaie d'échange et de réserve internationale. Mais par quoi le remplacer ?
Fin 2010, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, contribue au débat par une tribune dans le Financial Times. Il y plaide pour «un système international en mesure d'impliquer à la fois le dollar, l'euro, le yen, la livre sterling» et le yuan chinois.
Mais c'est surtout sa proposition de «se baser sur l'or en tant que point de référence international» qui retient l'attention. La flambée des cours du métal jaune, depuis le début de la crise, montre bien que celui-ci reste une valeur refuge, en laquelle les investisseurs ont confiance. Mais la proposition recueille un désaveu quasi général.

De l'or en poche

«Chimère», «fétichisme», «passéisme»... La proposition est perçue comme un retour aux vieilles recettes du XIXe siècle, lorsque la valeur des grandes monnaies était assise sur l'or et l'argent. Ainsi que le commente avec amertume l'économiste Philippe Simonnot : «Nous sommes toujours victimes de cette formule de Keynes, géniale et dévastatrice : "L'or, relique barbare."»
A l'instar de l'Américain Ron Paul, Simonnot professe un «libertarisme» économique opposé à toute intervention de l'Etat dans l'économie. Principe dont découle sa défense de l'étalon-or, dont la principale vertu, affirme-t-il, serait un effet modérateur sur la création monétaire. «Il deviendrait impossible d'imprimer de la monnaie sans limite, puisque celle-ci devrait correspondre à la quantité d'or en réserve, explique-t-il. Il n'y aurait donc pas de risque de distorsion entre sphère monétaire et économie réelle.»
En effet, selon l'économiste, c'est le recours à la planche à billet qui, en alimentant le crédit et la spéculation, a donné naissance à la crise actuelle. Philippe Simonnot voudrait voir disparaître les banques centrales, trop dépendantes du pouvoir politique, et faire revivre l'époque des banques libres, capables d'émettre chacune leur propre monnaie sur la base des stocks d'or dans leurs coffres. «Les commerçants seraient libre d'accepter ou de refuser chacune selon la confiance qu'ils lui accordent. A la fin, la bonne monnaie chasserait les mauvaises.»

L'or comme monnaie internationale ?
Tous les partisans de l'étalon-or ne vont pas aussi loin. «Il n'y a pas assez d'or dans le monde pour garantir à la fois les échanges internationaux et les monnaies internes», reconnaît Norman Palma. L'économiste se satisferait, comme Zoellick, d'une utilisation de l'or comme intermédiaire dans le commerce mondial.
«Concrètement, pour commercer à l'étranger, vous vous procurez contre monnaie un certificat de la Banque centrale libellé en or», explique Palma. Billet que le récepteur ira ensuite convertir dans sa propre monnaie nationale. But du système, expliqué par celui qui revendique une approche «de gauche» : «En finir avec le "privilège exorbitant" du dollar.»
La formule, attribuée à Valéry Giscard d'Estaing, désigne le bénéfice abusif tiré par les Etats-Unis du double statut du dollar : à la fois monnaie nationale américaine et monnaie d'échange et de réserve internationale. La forte demande de dollars au niveau mondial permet de maintenir le cours de la monnaie à de hauts niveaux, et aux Etats-Unis de s'endetter à bas coûts. Sans compter les économies des entreprises américaines qui n'ont pas besoin de convertir leur monnaie pour commercer à l'international.
L'or, affirme ses partisans, a l'avantage d'être un étalon neutre. Ils aiment à rappeler que, dès 1965, le général de Gaulle voulait en faire «la base» des échanges internationaux :

Des stocks insuffisants
«C'est précisément parce que cette mesure menacerait le rôle du dollar qu'elle serait très difficile à faire accepter, aux Etats-Unis notamment», estime Thomas Chaize, spécialiste du marché de l'or. Incidemment, l'étalon-or donnerait un rôle dominant aux grands pays producteurs, au premier rang desquels... la Chine, ce qui ne serait pas sans conséquences géopolitiques.
Surtout, il est douteux que la production de métal jaune puisse progresser sur le même rythme que le commerce international : «Il serait déjà miraculeux qu'elle se maintienne au niveau actuel, poursuit Thomas Chaize. Voilà vingt ans que les mines ne produisent pas assez d'or, et cette tendance devrait se prolonger.» Au risque d'une contraction du commerce mondial et de crises déflationnistes.
Marine Le Pen, convertie à l'étalon-or
«L'insuffisance de la quantité d'or, c'est l'objection que l'on me sort à chaque fois, devance Marine Le Pen. Mais il serait possible de se référer à un "panier", comprenant notamment de l'or.» La présidente du Front national est le seul relais politique d'envergure, en France, à défendre le retour à l'étalon-or, «plutôt pour un usage international». Une nouveauté introduite dans le cadre du grand aggiornamento économique du FN, qui va de pair avec son projet de sortie de l'euro. La religion de la candidate frontiste est faite : «Les monnaies papier vont s'effondrer. Qu'est-ce qui serait assez rassurant pour les remplacer ? Le métal.»

Sur le sujet, Marine Le Pen a consulté Norman Palma, Philippe Simonnot, ainsi que l'économiste hongrois Antal Fekete, «pape» de l'étalon-or (dont le dernier ouvrage paru en France prend la forme d'un lingot). Et, lors de sa récente visite aux Etats-Unis, l'étalon-or a été l'objet de sa brève discussion avec Ron Paul. Etonnant, quand l'étatisme du nouveau FN semble aux antipodes de l'ultralibéralisme qui soutient le projet paulien. «On peut arriver à la même conlusion sans passer par le même chemin ni par le même objectif», objecte Le Pen.
A défaut d'étalon, un refuge-or
Concernant le «panier de métaux» évoqué par la présidente du FN, Thomas Chaize se montre sceptique : «Cela peut représenter un problème plutôt qu'un avantage. Au XIXe siècle, l'or et l'argent coexistaient avec un rapport relatif de 1 à 15. Mais, dès que le prix de l'un variait par rapport à l'autre, des spéculateurs se précipitaient pour en tirer parti. Un tel système n'est pas pas impossible, mais il exigerait des mécanismes de contrôle très fins.»
Si un retour à un étalon-or semble peu probable dans l'immédiat, le métal précieux revient toutefois en force dans les réserves des banques centrales. Réputé plus sûr, il prend la place des devises, notamment du dollar. Un rôle qui durera aussi longtemps que la défiance par rapport au simple papier.
Photos AFP


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