En Russie, des nouveaux partis accusés de faire le jeu du Kremlin

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Le nouveau populisme russe est-il une ruse du Kremlin ?


Adieu les jeux vidéo! Viatcheslav Makarov, cofondateur du célèbre World of Tanks, se lance en politique. Mais certains en Russie soupçonnent le parti de ce « geek » d’être une ruse électorale visant à protéger la majorité au pouvoir.


L’hypothèse est née dès l’annonce, début janvier, de la création de son parti « Démocratie directe », qui organise jeudi son premier congrès en marge d’une conférence sur les technologies numériques à Moscou.


Pour se consacrer à sa nouvelle carrière, Viatcheslav Makarov, cheveux longs et raides, a quitté l’entreprise Wargaming. Basée à Minsk, au Bélarus, celle-ci est à l’origine de l’un des plus grands succès de l’histoire du jeu vidéo: World of Tanks, dans lequel les joueurs s’affrontent en ligne aux commandes de chars de combat.


Ces derniers mois, plusieurs partis politiques ciblant un public très précis ont été lancés en Russie, avec en ligne de mire les élections régionales de l’automne, puis les législatives de 2021.


L’un de ceux ayant le plus fait parler est « Pour la Vérité » de l’écrivain réactionnaire Zakhar Prilépine. Proche des séparatistes pro-russes de l’est de l’Ukraine, dans les rangs desquels il a combattu, il nie avoir créé sa formation à la demande des autorités mais compte parmi ses sympathisants l’acteur Steven Seagal, un grand fan de Vladimir Poutine.


Ont aussi vu le jour depuis le début de l’année le parti « Alternative verte », « Une vie digne » créé par un ex-député nationaliste et tourné vers la jeunesse ou le parti pro-bussiness « Nouvelles personnes ». En 2019, le ministère de la Justice avait déjà enregistré 39 nouveaux partis, 17 d’entre eux durant le dernier trimestre.


« Illusion »


L’avocat et blogueur anti-corruption Alexeï Navalny, le principal opposant au Kremlin, n’a pas cette chance: son équipe tente en vain depuis sept ans d’enregistrer son parti alors que son Fond de lutte contre la corruption (FBK) est actuellement visé par une enquête pour « blanchiment d’argent ».


Et de l’avis des experts, il est peu probable que l’absence d’Alexeï Navalny soit compensée par un de ces nouveaux partis aux yeux des Russes en quête de changement.


« Le but des nouveaux partis est de donner l’illusion d’une concurrence politique, d’attirer de nouveaux électeurs et de neutraliser une opposition plus dangereuse », résume à l’AFP la politologue russe Ekaterina Schulman.


Leurs chances d’atteindre les 5% nécessaires pour entrer au parlement sont quasi nulles: mais leurs voix, tout en dopant le taux de participation, ne tomberont pas dans l’escarcelle d’autres formations pouvant capitaliser sur le mécontentement des Russes, comme le Parti communiste ou celui du nationaliste Vladimir Jirinovski.


« Le principal objectif est vraiment de minimiser les risques de baisse de popularité du parti au pouvoir Russie Unie », souligne l’experte Tatiana Stanovaïa, du centre de réflexion R. Politik. 


Le parti présidentiel, majoritaire au Parlement, connaît une sérieuse désaffection sur fond de stagnation économique. Il plafonne à 32,7% des intentions de vote, loin des 54% obtenus aux législatives de 2016, selon le dernier sondage de l’institut public Vtsiom.


Rock star


À côté de ces partis souvent anecdotiques, une entrée en politique a été très commentée: celle de Sergueï Schnourov, leader du groupe de rock Leningrad, immensément populaire en Russie.


« Avec moi, ce sera clairement plus joyeux », a-t-il lancé après avoir rejoint le « Parti de la croissance », fondé en 2016 et dirigé par le représentant du Kremlin auprès des entrepreneurs, Boris Titov.


Poil à gratter des autorités jusque-là, volontiers moqueur, le chanteur a pris soin de supprimer de ses comptes sur les réseaux sociaux plusieurs messages critiquant la politique des autorités, notamment sur l’impopulaire réforme des retraites.


Pour Tatiana Stonovaïa, ce ralliement s’inscrit dans un contexte de « dépolitisation » de la vie en Russie: « On voit cela aussi en Europe, la crise des partis traditionnels, l’idée de miser sur des gens sans lien avec la politique ».


« Mais toutes ces manoeuvres ne sont pas une tentative de parler de l’avenir du pays. C’est plutôt la volonté d’éviter les vrais problèmes », ajoute la politologue.


Mais même en l’absence de programmes sérieux, reste une possibilité bien réelle, ajoute Ekaterina Schulman: celle que ces partis réalisent une percée électorale et perturbent le très rodé jeu politique russe. 


« Comme la confiance envers les partis existants baisse, des entités politiques pensées comme des +parasites+ peuvent avoir plus de succès qu’attendu », dit-elle.





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