ECR et accommodements

Laïcité — débat québécois



Sur le site du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), le texte de présentation du programme Éthique et culture religieuse (ECR) a pour titre «Pour vivre ensemble dans le Québec d'aujourd'hui». Plus loin, on peut lire que les enfants apprendront progressivement à «connaître la place importante du catholicisme et du protestantisme dans l'héritage religieux du Québec. [Également: à] connaître des éléments d'autres traditions religieuses apparues récemment dans la société québécoise».
Ce que l'on croit comprendre, c'est que le Québec d'hier était chrétien (l'héritage) et que dans le Québec d'aujourd'hui se sont ajoutées d'autres traditions religieuses. Fort bien. Mais quel a été le phénomène religieux le plus important du XXe siècle au Québec? Serait-ce la venue de familles dont les traditions religieuses sont autres que le christianisme? Non. Ce phénomène est relativement récent et ne concerne encore qu'un pourcentage peu élevé de la population. De toute évidence, il s'agit de l'abandon, par une grande majorité de la population, de la pratique religieuse. Si on enseigne l'histoire des religions en omettant cette réalité, cela équivaut à écarter l'un des éléments essentiels pour comprendre le Québec d'aujourd'hui.
Ce ne sont pas les valeurs chrétiennes que la population a rejetées, mais bien l'observance des règles de vie, personnelles et sociales imposées par l'Église. Pour les catholiques, il y avait 56 messes obligatoires par année. Le vendredi était un jour «maigre»: interdit de manger de la viande. Les femmes, pour pénétrer dans une église, devaient se couvrir la tête d'un foulard ou d'un chapeau. Tout moyen de contraception dans le but «d'empêcher la famille» était interdit. Divorce, union libre: défendus. L'homosexualité était un péché mortel. Ce ne sont que quelques exemples pour rappeler à quel point la pratique de la religion catholique était exigeante et sévère.
En 1960, les églises sont encore remplies de fidèles pratiquants. En 1975, elles sont à moitié vides. En 1990, elles sont à peu près désertes. Durant la même période, des prêtres, des soeurs de toutes congrégations, des frères, défroquent massivement. C'est dire à quel point le mouvement de désaffection est profond et généralisé. Il est important de rappeler que cet abandon du religieux n'a pas été décrété par l'État. Il n'a pas non plus été précédé d'un mot d'ordre ou d'un rapport d'experts préconisant la laïcité générale. C'est la société elle-même qui, individu par individu, s'est sécularisée.
Le début de cet éloignement de la religion coïncide avec le début de la Révolution tranquille et avec la montée du féminisme au Québec. Hasard? Certainement pas. La société effectue un virage vers la modernité et les libertés individuelles. Non seulement la pratique religieuse n'en fait pas partie, mais elle est une entrave. Le mouvement féministe aurait-il pu nous faire avancer vers l'égalité entre les sexes dans une société où l'Église exerçait un grand pouvoir sur les consciences et la vie sociale?
La non-pratique religieuse n'a pas engendré une société dépourvue de toute morale. Au contraire. L'État laïque a rapidement pris la relève et a traduit dans des lois un code de vie qui reflète les valeurs fondamentales de la société, dont l'égalité entre les personnes, hommes ou femmes, les libertés individuelles, le droit à la sécurité, la protection contre le harcèlement et la discrimination. La non-pratique religieuse ne devient pas une nouvelle religion de la laïcité, elle engendre plutôt de nouvelles bases de cohésion sociale, plus générales, plus inclusives. Puisque nous maintenons cette orientation depuis près d'un demi-siècle, la non-pratique religieuse fait désormais partie de notre identité collective.
En délaissant la pratique religieuse, c'est aussi le pouvoir du clergé que la population a rejeté. En 1960, un curé de paroisse aurait eu le pouvoir de faire givrer les fenêtres d'un centre de conditionnement physique. Il aurait probablement été en mesure de faire fermer l'établissement. L'Église obtenait aussi que les écoles ajustent leurs horaires en fonction du calendrier religieux: semaine de préparation aux sacrements (confession, première communion), retraites fermées, etc. À coups de petits accommodements, notre société est en train de redonner, tacitement, ce pouvoir aux différentes autorités religieuses. Et à chaque fois, c'est un glissement, une régression vers une société qui n'est plus la nôtre.
Il ne s'agit évidemment pas d'interdire les pratiques religieuses. Mais il ne s'agit pas non plus de les favoriser, de leur porter assistance. Nous aspirons à vivre dans une société de plus en plus juste, libre et démocratique. Et nous avons constaté il y a longtemps que la pratique religieuse était incompatible avec cette aspiration. Respectons ce que nous sommes et prêchons par l'exemple pour vivre ensemble dans le Québec d'aujourd'hui.
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Normand Gilles - Québec


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