De la fin de l’Union nationale à la crise du PQ : quelles comparaisons possibles ?

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Analyse historique intéressante

On connait au Québec la théorie des partis générationnels. Dans le système politique bipartiste qui est le nôtre, il y aurait d’un côté le Parti libéral, incarnant la stabilité des institutions, et qui jouerait le rôle du parti naturel de gouvernement, et de l’autre, un parti nationaliste, progressiste ou conservateur, selon les époques, chaque génération investissant la cause nationale de ses propres préoccupations, dans le respect d’un principe fondateur : le Québec est le foyer national du peuple francophone d’Amérique et celui-ci définissent d’abord dans ses paramètres leur vie politique et collective. Souvent, par ailleurs, le parti nationaliste se créerait en partie en s’alliant avec une frange dissidente du Parti libéral. On notera aussi que lorsque le vote nationaliste se disperse et ne parvient pas à se fixer dans une alternative politique claire, le PLQ est structurellement avantagé par le système politique.
Il y a du vrai et du faux dans cette théorie. On dira que chaque parti nationaliste doit aller au bout du projet politique qui était le sien avant d’être condamné et remplacé, que ce projet soit une réussite ou un échec. C’est qu’il y a des cycles nationalistes dans l’histoire du Québec. Au début des années 1930, le Parti conservateur était manifestement épuisé. Il a dû s’allier avec les libéraux nationalistes dissidents de l’Action libérale nationale pour gagner le pouvoir. C’est l’Union nationale qui représentera la synthèse de ces forces politiques. Le projet de l’UN consistait à recentrer la vie politique du peuple canadien-français sur le Québec et à défendre l’identité traditionnelle canadienne-française.
Une fois l’UN et son projet épuisés, c’est le Parti Québécois qui a pris le relais avec un nationalisme social-démocrate attaché à la promotion du français, à la modernisation de la culture québécoise et à la poursuite de la souveraineté. À bien des égards, le PQ était le parti caractéristique de la Révolution tranquille : dans la mesure où nous nous éloignons de plus en plus de cette époque, sera-t-il capable de lui survivre. Le résultat des dernières élections remet à jour la question des conditions de sa perpétuation et de sa nécessaire refondation. Autrement dit, moins la question de la souveraineté est prégnante, plus le parti souverainiste est en danger. Très logiquement, moins le système politique est constitué autour de l’hypothèse souverainiste, et plus le parti souverainiste risque le déclassement.
La théorie des partis générationnels laisse entendre que le nationalisme est toujours appelé à se donner un véhicule correspondant à l’époque qui l’oblige à se renouveler. On note une chose : le nationalisme se refonde toujours en parvenant à conjuguer des éléments de « gauche » et de « droite » sans trouver un parfait équilibre entre les deux, toutefois. On notera aussi qu’à côté du grand parti nationaliste, demeure une formation qui le déborde sur sa gauche ou sur sa droite. Le Bloc populaire a failli jouer ce rôle pendant un temps. C’était en son temps l’option du nationalisme décomplexé. Les partis indépendantistes des années 1960 (RIN et RN) ont pris le relais. Quand le pôle nationaliste de la vie politique québécoise est devenu souverainiste, ce sont les autonomistes qui se sont retrouvés à occuper la troisième voie.
À partir des années 1970, les tiers-partis « nationalistes » représentèrent la « part exclue » de la vie politique : un nationalisme refusant la polarisation souverainiste-fédéraliste et de centre-droit, alors que le Québec se définissait dans un consensus progressiste. Je parle évidemment de l’UN qui a survécu politiquement jusqu’en 1981, et de la myriade de petits partis de droite autonomiste des années 1970. À partir du début des années 1990, l’Action démocratique occupera ce créneau. On notera, soit dit en passant, que dans la deuxième moitié des années 1980, le système politique semblait aussi en réalignement et certains croyaient que le NPD Québec pourrait éventuellement remplacer le PQ.
Mais je m’attarderai ici à une comparaison particulière : celle entre la décomposition de l’Union nationale, dans les années 1970, et celle que certains croient reconnaître au Parti Québécois, depuis une dizaine d’années, et dont le mouvement se serait accéléré depuis le 7 avril. Et de fait, la comparaison entre l’Union nationale et le PQ est tentante et à plusieurs égards, elle s’impose – ou du moins, elle mérite d’être prise au sérieux. Comme le Parti Québécois a remplacé l’Union nationale, la Coalition Avenir Québec serait appelée à remplacer le Parti Québécois. À chaque époque ses défis, et à chaque défi son grand parti nationaliste pour le relever.
Retour en arrière. Après sa défaite en 1960, l’Union nationale s’est installée pour 6 ans dans l’opposition. Le parti cadrait mal avec la nouvelle époque et son nouveau chef, Daniel Johnson semblait collé exagérément à l’ancien régime. Plus le récit de la Grande noirceur s’installait, plus l’UN semblait disqualifiée par l’histoire. Sa figure fondatrice n’avait plus la cote. Pourtant, en 1966, elle reprenait le pouvoir grâce à une carte électorale qui l’avantageait, même si elle avait obtenu moins de votes que le Parti libéral. L’UN s’engagera toutefois dans une une sérieuse mutation. Loin de renverser la Révolution tranquille et de stopper les grandes transformations sociales enclenchées, elle embrassait la nouvelle époque, quitte à l’orienter autrement. Daniel Johnson avait compris qu’il faut, selon la célèbre formule, épouser l’esprit de son temps, même si la chose peut être faite de diverses manières.
Le nationalisme de l’UN changeait de visage aussi : alors qu’il se définissait jusqu’en 1960 par sa défense acharnée de la constitution de 1867, contre ceux qui voulaient moderniser le Canada en le centralisant et en neutralisant les provinces, il misera désormais sur la théorie des deux nations. La constitution de 1867 était désormais un corset étouffant pour le Québec et il s’agissait de la réformer, sans quoi elle était condamnée à l’éclatement, et le Québec, à l’indépendance. Avec la théorie des deux nations, qui faisait de la réforme du fédéralisme canadien une nécessité existentielle, l’UN installait l’idée de l’indépendance dans le jeu politique, à la manière d’une possibilité politique sérieuse – il faut dire que l’idée gagnait en popularité et était parvenue à obtenir un certain écho électoral en 1966.
Mais la mort tragique de Daniel Johnson, en 1968, avortait sa modernisation, pourtant bien réelle. De ce point de vue, elle a probablement fait déraper le cours de l’histoire. Pourtant, l’UN aurait pu se sauver à ce moment en choisissant comme chef Jean-Guy Cardinal, qui était l’héritier, dans les circonstances, de la nouvelle Union nationale mise en place par Johnson. C’est plutôt Jean-Jacques Bertrand qui héritera de la couronne. C’était un choix fatal : Bertrand passait à côté de la question linguistique, au moment de la crise de Saint-Léonard de 1969, alors qu’elle devenait le symbole le plus actif de l’identité québécoise. L’identité collective demandait à être affirmée mais Bertrand se réfugiait dans une défense stérile des seuls droits individuels, en justifiant le libre-choix en matière scolaire, ce qui revenait, pratiquement, à légitimer l’anglicisation des immigrants par le système scolaire. Aux élections de 1970, l’UN conservait l’opposition officielle mais semblait sur le chemin du déclassement par le nouveau Parti Québécois, qui obtenait plus de voix que lui et qui semblait donner un nouveau visage au nationalisme en le conduisant à sa prochaine étape, l’indépendance.
Pour autant, en 1970, l’Union nationale était-elle morte? Il est facile de le décréter plus de quarante ans plus tard. Mais gardons-nous de ce que Raymond Aron appelait l’illusion rétrospective de la nécessité. À bien des égards, l’UN a eu une dernière possibilité de renouvellement au moment de la course à la chefferie de 1971 qui opposera principalement Gabriel Loubier, politicien traditionnel représentant un retour au crédo classique de l’Union nationale et Marcel Masse, désormais l’héritier manifeste de la nouvelle Union nationale mise en place par Daniel Johnson. Masse incarnait un nationalisme vigoureux qui poussait une étape plus loin le johnsonisme dans lequel il avait fait ses premières armes politiques. Il fut battu de justesse par un appareil manifestement frileux, soucieux de se replier sur ses certitudes partisanes. Alors que Masse aurait probablement permis à l’UN de jouer un rôle dans la recomposition globale du nationalisme à laquelle on assistait, Loubier manquait à la fois de l’envergure et de la vision nécessaire pour inscrire définitivement son parti dans la dynamique de la Révolution tranquille.
L’UN de Loubier cherchera pourtant à se moderniser en apparence, en se pliant aux suggestions de conseillers en communication qui s’imaginèrent redéfinir son image selon les techniques du marketing politique. L’Union nationale changera pour cela de nom en 1971: le parti deviendra Unité Québec, croyant sa marque de commerce usée. Mais ce maquillage ne pouvait se substituer à une authentique refondation. L’Union nationale reprendra d’ailleurs son nom historique pour l’élection de 1973 et s’y présentera avec un programme réfléchi mais en décalage avec l’époque. Elle sera rayée de la carte électorale bien qu’elle connaîtra un petit sursaut grâce au vote anglophone anti-loi 22 en 1976 avec Rodrigue Biron à sa tête qui, par ailleurs, ralliera le camp du Oui en 1980 et deviendra ministre péquiste. L’UN disparaîtra finalement en 1989 après une décennie à ne plus savoir comment gérer sa disparition.
Avec le déclin de l’UN, c’est à la fois le nationalisme traditionnel, réinventé avec la théorie des deux nations, qui était refoulée dans les marges de la vie politique et un discours politique de centre-droit se définissant à certains égards avec des réserves devant le consensus social-technocratique de la Révolution tranquille. À partir de l’élection de 1970, en quatre vagues (1970, 1973, 1976, 1981), les plus fédéralistes ont rejoint le PLQ et les plus nationalistes, le PQ. Le nationalisme attaché au Canada des deux nations connaîtra un dernier sursaut avec le Parti conservateur fédéral lors des élections canadiennes de 1984 jusqu’à l’implosion de l’Accord du Lac Meech, laquelle entrainera pour une vingtaine d’années la repolarisation de la politique fédérale au Québec selon l’axe souverainiste-fédéraliste.
Mais je veux retenir de cette histoire l’essentiel : l’UN a survécu à la Révolution tranquille. Un parti meurt rarement d’un coup. Quand un nouveau cycle politique s’installe, il n’est jamais condamné à l’avance à la disparition. S’il conserve une bonne représentation parlementaire, il peut se réinventer et peut-être même se refonder. La question pour lui, toutefois, consiste à bien lire l’époque dans laquelle il doit se réinscrire, en voyant aussi quel est le créneau politique qu’il est appelé à occuper d’une manière ou d’une autre. Entre la tentation de reprendre ses vieilles habitudes, en croyant que le mauvais temps est seulement passager et le désir de renier son identité, pour se dissoudre dans la nouvelle époque, quitte à perdre son originalité et sa raison d’être, il est appelé à un travail de renouvellement en profondeur. Pour plusieurs raisons, l’UN n’y est pas parvenue. Est-il inimaginable de penser que tout n’était pas joué d’avance?
On voit ici les nombreux parallèles possibles avec le PQ. Car le PQ a pris la place de l’UN comme expression politique dominante du nationalisme québécois (on dira, si on préfère, comme parti bleu). Il l’a transposée dans une nouvelle époque, lui a donné un nouveau contenu. Il a aussi transformé la base sociale du nationalisme. Mais tout comme l’UN en son temps, le PQ semble être en fin de cycle, et il est concurrencé par un parti, la Coalition avenir Québec, qui entend reprendre le flambeau de l’autonomisme. Il faut dire que les quinze dernières années ont été difficiles pour le PQ. Je l’ai dit plus haut: plus l’indépendance s’éloigne à l’horizon, moins un parti souverainiste peut définir le jeu politique québécois. Moins la lutte pour la souveraineté intéresse les Québécois, moins un parti trouvant dans la réalisation de la souveraineté sa raison d’être risque de sembler pertinent pour eux. À la rigueur, tant que le Parti Québécois n’avait pas de concurrent pour l’occupation du créneau nationaliste, cela pouvait aller et il pouvait espérer profiter de la loi de l’alternance politique. Lorsqu’un concurrent arrive, cela le force à redéfinir son rapport à son option. Que veut-il en faire au juste?
La phase de réalignement politique dans laquelle nous sommes engagés ne s’est pas déclenchée le 7 avril dernier, même si elle s’est radicalisée à ce moment. En fait, depuis le début des années 2000, le Québec est dans une phase de réalignement politique. Au printemps 2002, on a pour la première fois vu que les fondements du PQ étaient fragilisés dans un jeu politique où la question nationale manifestait de réels signes d’essoufflement. On s’en souvient, l’ADQ, lors des élections partielles, s’était imposée dans le jeu politique québécois en raflant trois comtés sur quatre et en grimpant dans les sondages, avant de s’effondrer lors les élections de 2003 : l’ADQ était insuffisamment développée pour accueillir et porter pleinement la demande politique qui s’était un temps jetée vers elle. Cette tentation de renouveler le jeu politique a trouvé à renaître en 2007 autour de la crise des accommodements raisonnables : à partir de ce moment, on a clairement vu que le nationalisme répondait moins à la question de la souveraineté que de l’identité, d’autant que les souverainistes avaient brusquement abandonné le thème identitaire après le référendum de 1995, et qu’il était clairement disponible.
L’ADQ a échoué à traduire cette nouvelle demande politique en alternative gouvernementale. Mais aux élections de 2008, l’abstention révélait le décrochage entre le système politique et les électeurs. L’apparition médiatique de la CAQ, en 2010, s’est tout de suite traduit par un grand appui dans les sondages. Autrement dit, l’espace politique semblait vouloir se décrocher de la polarisation entre souverainistes et fédéralistes. Un nouvel espace politique semblait se dégager pour un nationalisme de centre-droit post-souverainiste (plutôt que fédéraliste). Mais cet espace semblait manifestement difficile à occuper. On pourrait dire que l’effondrement du Bloc, en 2011, s’inscrivait dans cette dynamique, tout comme la crise étudiante, qui donnait l’exemple d’une mobilisation sociale massive décrochée des catégories habituelles de la question nationale.
Nous sommes donc au seuil d’une nouvelle époque politique mais ses acteurs collectifs et ses courants dominants restent à définir – nous savons déjà, toutefois, que le Parti libéral n’a jamais été pratiqué un fédéralisme aussi radical. Posons la question le plus simplement : la nouvelle époque verra-t-elle l’autonomisme ou le souverainisme définir principalement le nationalisme québécois. D’un côté, le projet souverainiste sort abimé des dernières décennies. L’indépendance a été deux fois vaincue et la transformation démographique du Québec en pousse plusieurs au pessimisme. Mais le projet souverainiste va mal aussi parce que les souverainistes l’ont bien mal servi, surtout depuis quelques années. Les péquistes, souvent, fuyaient leur raison d’être, comme on l’a vu lors de la dernière élection, lorsque les seuls à parler d’indépendance étaient les fédéralistes qui la caricaturaient sous la forme d’un référendum apocalyptique. Si les Québécois ne semblent pas pressés de renouer avec l’indépendance, c’est peut-être aussi parce que ceux qui étaient responsables de ce projet étaient terriblement peu inspirants depuis près de quinze ans. Le mouvement avait besoin de nouveaux leaders et n’en trouvait pas.
De l’autre, on notera que l’autonomisme de la CAQ semble moins se définir comme un autonomisme de principe, comme au temps de l’UN, que comme un autonomisme circonstanciel. Dans la perspective de la CAQ, la souveraineté a échoué, le Québec est dans un mauvais état économique et social, il se doit de développer une stratégie de survie pour conserver l’avenir ouvert, quel qu’il soit. Mais pour l’instant, le Québec serait surtout à réparer. On pourrait croire que la lecture que font les caquistes de notre situation politique est semblable à celle des réformistes canadiens-français au lendemain de l’Acte d’Union. Mais quel est le contenu politique de l’autonomisme de la CAQ? On ne lui connaît aucune vision constitutionnelle particulière et sa mise en veilleuse de l’indépendance ne s’accompagne d’aucun Beau risque. L’autonomisme consisterait-il seulement à refuser de se dire fédéraliste, tout en acceptant le Canada tel qu’il est? Il s’agit alors davantage d’un nationalisme de façade risquant de se dissoudre rapidement. Ou alors, le critère pour juger ou non d’un nationalisme serait-il de se porter à la défense de l’identité québécoise, pour éviter sa dissolution dans le Canada multiculturaliste de 1982? Si tel est le cas, la CAQ, pour l’instant, se contente d’un service minimal, bien qu’on puisse imaginer, que si ce parti en venait à supplanter le PQ, il attirerait des cadres et des militants beaucoup plus nationalistes que ceux de sa base actuelle, et qu’ils le forceraient à prendre plus au sérieux ses engagements identitaires.
J’en reviens au PQ. De fait, il se retrouve à peu près dans la même situation que l’UN. En quelque sorte, il vient de connaître ses élections de 1970, après un bref passage au pouvoir dont il aura fait un usage insuffisant et insatisfaisant, pour le dire d’un euphémisme. S’il entend survivre, il devra se réinventer et chercher à se poser comme le lieu de rassemblement principal des nationalistes francophones. Cela ne veut pas dire, comme le prétendent certains commentateurs qui en font une obsession, d’abandonner son option souverainiste, mais qu’il doit marquer clairement une nouvelle étape dans la définition de son projet. Tant que le Parti Québécois était le parti nationaliste dominant, il pouvait se contenter de traiter sa raison d’être comme un idéal lointain. Mais dans la mesure où il se trouve désormais devant un parti nationaliste rival, avec un fort tirant d’eau électoral, il sera obligé d’assumer son option, ne serait-ce que pour se différencier dans le système politique. Pour la première fois depuis longtemps, le PQ sera condamné stratégiquement à faire la promotion de la souveraineté. Ainsi, l’émergence de la CAQ forcera le PQ à renouer avec sa valeur politique ajoutée. Mais il ne pourra plus se contenter d’une souveraineté idéale, lointaine, espérée, sans qu’il ne travaille concrètement à sa poursuit. S’il veut demeurer souverainiste, il devra refaire de l’indépendance un projet politique. C’est là une question centrale : l’argumentaire souverainiste doit regagner en crédibilité et retrouver en capacité d’inspiration. Les souverainistes ne doivent plus espérer se faire élire malgré leur option, mais par elle. De ce point de vue, il s’agirait d’une authentique nouveauté politique dans le paysage québécois.
Alors sur quel terrain opérer un repositionnement majeur? Certainement pas en reniant non plus son discours identitaire, qui demeurera au cœur de tout projet nationaliste sérieux. C’est justement en concurrençant le PQ sur ce terrain que la CAQ a finalement imposé son image nationaliste. La question identitaire, bien pensée, demeure un moteur politique et idéologique fondamental pour le nationalisme québécois. D’ailleurs, on voit bien mal quel serait le sens d’une indépendance fondée sur l’occultation de la culture historique du peuple qu’elle entend émanciper politiquement. Le PQ devra prouver, pour ceux qui en doutent encore, qu’il ne s’agissait pas d’un simple positionnement circonstanciel, mais d’un véritable engagement pour revitaliser l’identité québécoise et assurer son statut de culture de convergence. Dans un monde où les sociétés cherchent à redécouvrir leurs ancrages, on reconnaitra que l’identité nationale est au cœur de toute entreprise de revitalisation de la démocratie.
Toutefois, le PQ devra opérer la mise à jour de sa vision social-démocrate, ce qui évidemment, ne veut pas dire qu’il doive renier ses valeurs sociales. Certains diront, avec raison, que Pauline Marois avait déjà enclenché cette démarche, mais la cheffe du PQ demeurait le symbole, à bien des égards, et probablement malgré elle, d’un PQ social-technocratique fonctionnant au traitement bureaucratique des problèmes sociaux. Le fait est que la vision de la société portée par le parti souverainiste doit changer : apparemment, les électeurs savent mieux que leurs dirigeant que des problèmes comme la dette, l’inefficacité des services publics ou la croissance économique insuffisante, ne sont pas que des problèmes de gouvernance. Ils touchent à notre vision de la société, et c’est pour être en décalage avec cette vision plus réaliste et réformiste de la société que les péquistes se sont vus peu à peu refoulés vers leur base sociale la plus étroite.
Nous entrons manifestement dans une époque où les grands systèmes sociaux seront refondés et réinventés, et le PQ ne pourra pas se contenter de se faire le gardien d’un modèle social-technocratique, qui étouffe la société québécoise en croyant la protéger. La question qui se pose pour lui est à la fois simple et complexe : comment préserver les grandes valeurs de solidarité tout en les inscrivant dans une vision plus dynamique et créative de la société. Il ne peut plus se contenter de chanter les réussites du modèle québécois en expliquant à tous qu’il fonctionne parfaitement même, s’ils ne le savent pas ou n’en sont pas conscients. Autrement dit, être de « centre » ou de « centre-gauche » ne veut plus dire la même chose aujourd’hui qu’il y a vingt ans : le monde n’est plus le même. Le centre de gravité de la vie politique québécoise était au centre-gauche avec la Révolution tranquille. Manifestement, il se déplace, et les nationalistes doivent se déplacer avec lui, à moins de consentir à se retrouver en décalage avec l’ensemble de la société. Faut-il préciser que le mouvement souverainiste ne doit pas pour autant renoncer aux exigences d’une coalition politique large dans laquelle son aile gauche se trouvera à l’aise.
Certains répondront qu’en agissant ainsi, le PQ laissera le champ libre à Québec solidaire. Tout est à nuancer ici. Il y aura toujours de la place pour un parti de la gauche radicale dans nos sociétés et l’éclatement idéologique de la démocratie contemporaine est favorable, justement, aux petits partis qui se lovent dans les idéaux dont ils se croient les seuls gardiens possibles. Le vote protestataire n’est pas appelé à se résorber. La question est de savoir si ce créneau est appelé à croître. Les dernières élections laissent croire le contraire. Même en brandissant l’épouvantail de Pierre-Karl Péladeau, Québec solidaire n’est pas vraiment parvenu à s’étendre. Ce parti qui conjugue un socialisme bureaucratique déphasé avec les nouvelles préoccupations environnementales et postmodernes de la jeunesse mondialisée parviendra peut-être à se crédibiliser s’il largue progressivement les pans de son programme les plus archaïques. Mais dans une époque qui poussera au réalisme socio-économique, il n’est pas certain que QS puisse vraiment quitter les marges de la vie politique. La vocation de QS est probablement de demeurer dans un créneau protestataire.
Je reviens à l’essentiel : l’histoire du nationalisme politique au Québec est celle de plusieurs partis, qui se sont succédé, et qui chaque fois, sont parvenus à donner une expression politique au vieux désir de durer porté par le peuple québécois. Quelle forme prendra ce nationalisme aujourd’hui, alors que l’identité québécoise est de plus en plus travaillée par les forces de dissolution propre au Canada de 1982? Nous sommes actuellement dans une période de transition qui témoigne par ailleurs d’une forme de décomposition politique de la nation, les francophones se laissant emporter par les querelles idéologiques jusqu’à perdre le sens de leurs intérêts collectifs. L’essentiel, pour le PQ, est de ne pas devenir le tiers-parti de la vie politique québécoise. Rien ne dit qu’il y parviendra. Rien ne dit non plus qu’il échouera.


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