Après les débordements en marge des manifestations contre la Loi sécurité globale, certains hommes politiques et syndicats de police accusent l’État de connivence avec les black blocs, ces groupes contestataires ultra-violents. Une «complicité» pour dénigrer l’image des manifestants? Éclairage avec Laurent Bortolussi, reporter de terrain.
Au lendemain des manifestations contre la Loi sécurité globale, qui ont vu de nouveaux déchainements de violences, la thèse de la complicité des forces de l’ordre avec les casseurs d’extrême gauche a refait surface.
Lundi 30 novembre sur BFMTV, Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat SGP Police-FO, mettait directement en cause la hiérarchie policière, l’accusant d’autoriser, voire de faciliter volontairement les violences. «C’est insoluble, on ne parvient pas à disperser les black blocs, car l’ordre n’est pas donné au bon moment, lorsqu’ils pénètrent dans les cortèges», déplorait-elle. Des accusations récurrentes de la part de nombreux observateurs, policiers ou non, depuis les manifestations contre la Loi travail (2016) et surtout le mouvement des Gilets jaunes, dès novembre 2018.
Violences en manif: une manœuvre politique?
Une partie de la droite, dont Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot ou François Asselineau a émis les mêmes critiques.
«Quand j’entends ces responsables politiques se plaindre des casseurs d’extrême gauche, je suis tenté de leur dire de faire aussi le ménage dans leurs rangs», commente Laurent Bortolussi, journaliste de terrain couvrant des manifestations depuis 30 ans et fondateur de l’agence média Line Press. Il tient à nuancer au micro de Sputnik l’appartenance exclusive à l’extrême gauche des casseurs:
«Effectivement, on y trouve majoritairement des gens d’extrême gauche, des antifas, mais aussi des gens d’extrême droite ou encore des gens apolitiques comme des salariés en colère et écrasés par le système. Je connais parmi eux des employés de banque qui, révoltés par leur environnement, vont jeter des pavés le week-end.»
Il rejoint toutefois Linda Kebbab quand elle souligne de l’importance des consignes, qu’elles viennent de la hiérarchie policière, mais surtout du «plus haut niveau politique», sur le déroulement des manifestations:
«Quand une puissance politique veut décrédibiliser un mouvement, elle a plutôt intérêt à laisser les magasins se faire piller et les voitures brûler. On voit très bien la différence quand la police a l’ordre d’agir –avec les migrants place de la République, par exemple, où la volonté de répression était très claire– et quand elle a ordre de ne pas intervenir.»
Celui qui a couvert «des milliers de manifestations» en est convaincu: «lorsque la Police ne veut pas que ça déborde, ça ne déborde jamais», elle a les moyens de contrôle nécessaires. Seule exception notable à ses yeux, «L’acte III des Gilets jaunes. Là, les autorités ont réellement été prises de court.»
Black bloc, un mouvement qui «n’existe pas»
La correspondante qui couvre et filme les manifestations pour Sputnik partage la même certitude, mais se montre plus circonspecte sur les enjeux réels de telles manœuvres.
«C’est ahurissant de voir le bloc se former et les policiers le regarder faire, alors qu’ils auraient amplement le temps de le séparer. Des ordres sont évidemment donnés, certains agents de police me l’ont confirmé en “off”, mais les raisons restent très floues», témoigne la reporter de Sputnik.
Il en serait de même pour les journalistes: lorsque la consigne est donnée de les tenir à distance, «c’est tellement gros que c’en est une évidence», souligne notre correspondante, affirmant que c’était notamment le cas lors de la molestation filmée du journaliste Rémy Buisine.
Pour Laurent Bortolussi, il est malgré tout erroné de parler des black blocs comme d’une organisation, la réalité sur le terrain étant plus complexe.
«J’entends à longueur de journée des gens qui parlent des black blocs en ne sachant absolument pas ce que c’est. Le black bloc n’est pas une organisation en tant que telle, ce n’est pas non plus un groupe politique, syndical ou autre, c’est une méthode. Une méthode d’actes de violence sur la voie publique.
Il n’y a pas de chef, il n’y a pas de carte d’abonnement. N’importe qui peut se dire du black bloc, il suffit de mettre un K-way noir et de se greffer aux incidents», rappelle-t-il au micro de Sputnik.
Si personne n’arrive à dissoudre le black bloc, comme s’en étonnait Marine Le Pen sur France 2, c’est parce qu’il «n’existe pas», précise notre interlocuteur. Le groupe serait donc beaucoup moins homogène qu’il n’y paraît et qu’une partie de la classe politique voudrait le faire croire. Par ailleurs, selon le journaliste, «les gens qui en sont ne communiquent pas en amont, mais sur le terrain, c’est un effet de groupe qui s’auto-organise sur le terrain.»
Cependant, l’identification des individus présents dans le black bloc est réellement difficile et n’est pas volontairement négligée, précise Laurent Bortolussi.
«Juridiquement, il est très compliqué de se baser sur des vêtements que l’on reconnaîtrait ça et là pour affirmer que telle personne a pris part à des mouvements de foule violents», souligne-t-il.
Autrement dit, si les autorités «protègent» de tels agissements, elles ignoreraient en revanche à qui elles ont précisément affaire…
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