Le boom du Dakota aura-t-il un écho à Anticosti? Bernard Granger, chef géologue de Petrolia, qui veut forer dans l'île québécoise, est loin de le croire.
«Tout le monde rêve de trouver une formation comme celle-là, dit-il en parlant de la formation Bakken. On a deux unités de roche mère avec, au milieu, une roche pas très perméable et qui doit être fracturée. Le pétrole est emprisonné dans cette unité centrale.
«On estime que seulement le cinquième de la production vient de la roche mère. Il y a aussi des fractures naturelles qui aident à retirer plus de pétrole.»
Pour trouver une formation analogue à Anticosti, il faut regarder du côté des formations Eagle Ford, au Texas, ou, encore mieux, Point Pleasant, en Ohio. «Mais en Ohio non plus, on n'a pas réussi à prouver qu'on peut y faire une exploitation commerciale», dit M. Granger.
«?Le Dakota-du-Nord est l'un des seuls États où il n'y a pas de difficultés économiques. Le taux de chômage est de 3?%, et il est de moins de 1?% à Williston. À tout moment, ici, il y a 1200 offres d'emploi.?»
Rachel Sawicki
Directrice des communications, Ville de Williston
Tout comme dans le Bakken, les techniques de forages horizontaux et de fracturation hydraulique, appliquées à Anticosti, ne permettront de retirer qu'une infime fraction du pétrole en place.
Dans les cinq principaux gisements déjà en exploitation à l'aide de ces nouvelles technologies en Amérique du Nord, les taux de récupération du «pétrole en place» varient de 1 à 2,8%. Seul un gisement mineur, celui d'Elm Coulée, affiche un taux supérieur à 5%.
«C'est très difficile d'estimer ce qui va être produit, dit M. Granger. On parle de 1 à 5%. Et ça peut évoluer avec la technologie.»
L'étude réalisée par la firme Sproule pour le compte de Petrolia estime à 46 milliards de barils le pétrole en place à Anticosti. C'est 15 fois moins que le gisement Bakken.
Comme 1 million de voitures
Dans les deux cas, le pétrole est associé à des quantités importantes de gaz naturel. Au Dakota-du-Nord, environ le tiers de ce gaz est brûlé dans des torchères, faute de raccordements à un gazoduc.
Selon une étude récente, il se brûle chaque mois pour 100 millions de dollars de gaz naturel en pure perte au Dakota-du-Nord.
Et cela provoque une augmentation de la pollution atmosphérique qui a forcé, cette année, les autorités de l'État à resserrer la réglementation. Selon une récente étude, les torchères du Dakota-du-Nord polluent autant qu'un million de voitures.
À Anticosti, souligne l'ingénieur-géologue Marc Durand, il n'existe aucun gazoduc à proximité, ce qui fait que la totalité du gaz naturel d'Anticosti devra probablement être passée à la torchère. Avec les conséquences sur la qualité de l'air et les émissions de gaz à effet de serre. «Ce serait visible de l'espace, dit-il. On pourrait chasser les chevreuils de nuit!»
Par ailleurs, il y a la question de la logistique. Déployer plusieurs équipes de travailleurs et des milliers de tonnes d'équipement dans une île au milieu du Saint-Laurent peut paraître un défi.
Le Dakota-du-Nord a beau être un État peu peuplé et éloigné des grands centres, il dispose d'un réseau routier étendu et d'infrastructures de base. Anticosti n'a rien de tel.
Néanmoins, selon Kevin Russell, qui a géré des plateformes notamment dans le golfe du Mexique avant de travailler dans le gisement Bakken, rien n'est à l'épreuve de l'industrie pétrolière en ce qui a trait à la logistique.
«Je ne vois pas d'empêchement, dit-il. Avec des sociétés comme Halliburton, personne n'accote l'industrie pétrolière en matière de logistique. S'il faut aller livrer un gâteau d'anniversaire à un gars dans l'Arctique, on va le faire.»
Il reste qu'il y a peut-être des endroits où il faut donner la priorité à la conservation, selon un autre spécialiste rencontré au Dakota.
«Il y a des endroits qu'il faut laisser en paix, dit John Cummings, de True Companies. Il y a de grandes réserves de pétrole sous le Glacier National Park, au Montana, mais il ne faut pas y aller. Il y a suffisamment d'hydrocarbures dans des endroits comme ici, dans le Bakken, pour qu'on n'ait pas besoin d'aller forer dans une île au milieu du golfe du Saint-Laurent.»
Production pétrolière
(barils par jour)
2000 / 2012 / 2020
Canada (conventionnel) 1 396 624 / 1 325 539 / 1 600 000
Canada (sables bitumineux) 627 356 / 1 749 021 / 3 200 000
Gisement Bakken 0 / 700 000 / 1 500 000
Sources: CAPP, Oil&Gas Journal
Le gisement Bakken
Forages réalisés: 9000
Forages à venir: 50 000
Durée prévue de l'activité économique au niveau
actuel: 25 ans
Réserve de pétrole: 715 milliards de barils
Population de Williston
13 287
en 1990
12 109
en 2005
16 006
en 2011
40 000
en 2025
Le défi du transport
Le boom pétrolier du Bakken stimule l'industrie des transports dans tout le pays. Chaque forage nécessite entre 900 et 2000 voyages de camion pour transporter le matériel, dont 800 voyages d'eau. Puis, il faut sortir le pétrole, souvent aussi par camion. Et l'acheminer vers les raffineries situées à des milliers de kilomètres. Cela se fait principalement par rail, comme la tragédie de Lac-Mégantic l'a souligné douloureusement. À Dickinson, dans le sud-ouest de l'État, un centre ferroviaire qui a vu le jour en 2011 peut maintenant charger chaque jour 4 convois de 110 wagons chacun. Sa capacité de 100 000 barils par jour représente une bonne partie de la production du gisement Bakken. C'est la Burlington Northern Sante Fe (BNSF), société de chemin de fer appartenant au milliardaire Warren Buffet, qui est le premier transporteur du pétrole de Bakken.
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