Dans sa première interview accordée à un média français, la championne du monde d’échecs de 28 ans, Anna Musytchuk, raconte pourquoi elle a refusé de disputer son titre de championne du monde en Arabie saoudite.
Elle a perdu son double titre de championne du monde des échecs, mais en contrepartie sa décision de boycotter le King salman’s word rapid and blitz championship en Arabie Saoudite a fait d’elle une célébrité mondiale. Entre une interview à la BBC et à CNN, la championne d’échecs ukrainienne accorde une interview à Paris Match.
Le 23 décembre dernier, 3 jours avant le « King salman’s word rapid and blitz championship », vous décidez de boycotter, pourquoi ?
Parce que je refuse de porter un hijab ou une abaya et de sortir dans la rue accompagnée. Si j’étais venue en touriste en Arabie saoudite, je me serais pliée aux règles, mais quand on m’invite à participer à un championnat d’échecs, il me paraît normal que tous les pays du monde nous accueillent de la même façon et qu’ils nous laissent libres. Depuis dix ans, je suis dans le top 10 des meilleures joueuses mondiales, je n’ai jamais eu à subir des règles de ce genre pour concourir.
Comment avez-vous pris cette décision ?
Nous avons su un mois et demi avant le championnat qu’il aurait lieu en Arabie saoudite. C’était une décision très difficile à prendre. J’étais tellement heureuse l’année dernière de gagner le titre de championne du monde de parties rapides (10 minutes par joueur) et de championne du monde de Blitz (5 minutes par joueur)… Savoir à l’avance que je vais perdre cette année ces deux titres me fait de la peine. En plus, si j’avais renouvelé ma performance de l’année dernière, j’aurais pu gagner 160.000 dollars cette fois, c’est une somme très importante pour moi !
Vous avez participé à des événements similaires au Qatar en décembre 2016 (le World Blitz Championship) et en Iran en mars 2017 (le Women World Chess championship), n’avez-vous pas subi les mêmes contraintes ?
Au Qatar, nous faisions ce que nous voulions. En Iran, c’est vrai c’était une expérience difficile pour moi. Je tenais absolument à participer au championnat du monde d’échecs pour gagner le trophée qui me manquait. J’avais gagné le titre de championne du monde de Blitz et de partie rapide, il me manquait le titre du Women world chess championship (parties longues, NDLR). J’ai réalisé plutôt une belle performance en arrivant en finale, mais c’était difficile pour moi parce que j’étais obligé de porter un hijab toute la journée ! Cela a duré un mois !
Comprenez-vous que dans le contexte de tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran, votre geste puisse avoir une résonnance politique ?
Je ne fais pas de politique. Je suis une sportive. Ce qui m’intéresse c’est de jouer aux échecs et je le fais plutôt bien. C’est vrai que dans ce contexte, il y a un forcément un mélange de choses. Pour ce championnat, les joueurs israéliens n’ont pas obtenu de Visas et les Qataris et les Iraniens ont failli ne pas venir. Le plus important pour moi c’est de me sentir libre quand je joue et je ne suis pas la seule. De nombreux joueurs de haut niveau ont refusé de venir en Arabie saoudite. Je suis heureuse que ma sœur Mariya, ancienne championne du monde (Vainqueur du Women world chess championship en 2015 à Sotchi en Russi, NDLA), ait pris la même décision, une joueuse chinoise, un Britannique, un Danois. Vous voyez des hommes aussi ont refusé !
Les Saoudiens n’ont-ils pas essayé de vous convaincre d’y assister ?
Non je n’ai subi aucune pression et n’ai parlé avec aucun organisateur.
Je suis submergée de messages, j’en reçois des milliers tous les jours
Pour eux, ce premier championnat du monde d’échecs est une révolution, du même type que la récente décision d’ouvrir des cinémas ou d’autoriser les femmes à conduire…
J’ai entendu que le pays était en train d’évoluer, de devenir plus moderne, que les femmes ont le droit de conduire, qu’elles vont avoir plus de droits. J’espère que ces changements vont se poursuivre. Je serai heureuse de venir dans un contexte où les femmes auront un statut différent de celui qui leur est imposée aujourd’hui en Arabie saoudite.
Comment vivez-vous ces 4 jours de championnat chez vous en Ukraine ?
Je suis submergé de messages, j’en reçois des milliers tous les jours ! Je suis très surprise de l’effet qu’a eu cette décision. J’ai été interviewé par la BBC, par CNN… J’ai fait la Une de plusieurs magazines ! Je ne m’y attendais vraiment pas. On m’a dit que mon post sur Facebook (celui où elle annonce son boycotte) était le plus populaire de toute l’année en Ukraine (Plus de 125.000 mentions « J’aime », NDLR). Au niveau professionnel, je m’entraine, je me prépare à un événement important qui a lieu en janvier à Gibraltar.