Pierre Dubuc et Marc Laviolette

Agrippés à jamais aux nostalgies et dogmes d’une époque révolue ?

Tribune libre

Dans un véritable pamphlet (Amir Khadir et la dérive sectaire de Québec Solidaire), Pierre Dubuc et Marc Laviolette y sont allés d’une attaque en règle contre le dernier texte du député de Mercier sur l’indépendance : Lettre ouverte aux indé­pen­dan­tis­tes.
Mieux : plutôt que de chercher de manière constructive à alimenter le débat sur les voies possibles d’une indépendance pour le Québec du 21ième siècle, ils miment de se camper à gauche et y emploient une rhétorique de donneurs de leçons d’un autre âge, une rhétorique qui pourrait donner à sourire si elle ne brouillait pas toute possibilité de débat fécond et ne faisait pas l’impasse sur les échecs patents qu’ils ont eux-mêmes subis au sein du PQ depuis 10 ans. Décidément... quand les bottines ne suivent pas les babines !

Parce que quand même il y a de limites à tout. Comment d’un côté, peuvent-ils maintenir la position de rester coûte que coûte au PQ tout en en critiquant chaque fois plus les dérives droitières grandissantes, et de l’autre se poser de manière hautaine en grands experts de la chose progressiste et indépendantiste au Québec, avec pour toute justification théorique, les restes à peine cachés de la rhétorique marxiste léniniste des années 70 ?
Comme s’ils ne devaient pas, eux aussi se donner la peine de revisiter leurs traditions, en tirant leçons de leur propre mode d’intervention et surtout en lisant et interprétant la réalité concrète, autrement qu’avec des raisonnements qui depuis dix ans n’ont —semble-t-il— pas changé d’un iota.
Le jugement est-il trop dur ? Malheureusement pas si sûr ! Peut-être certains s’en rappelleront, c’était en 2004 il y a 9 ans de cela, au cours d’une entrevue effectuée pour la revue À Bâbord [1], Pierre Dubuc défendait déjà la même position de fond qu’aujourd’hui, alors que tant d’eau a coulé sous les ponts (c’était l’époque du PQ de B. Landry, chef de l’opposition officielle), et alors que sa cause « progressiste » au sein du PQ, loin d’avoir avancé, a plutôt dramatiquement reculé : « Nos objectifs en allant au PQ, c’est de les amener à prendre des décisions différentes (…) Ce n’est pas entrer dans le PQ pour entrer dans le PQ. C’est se donner des poignées pour être en mesure de changer les choses (…) Si Pierre Vallières a déjà proposé ce genre d’approche, il ne l’a jamais mené à terme (..) Nous, on propose autre chose : un courant organisé ».
Quelles leçons en tirer ?
Vous avez bien lu, c’était en 2004 ! Alors, depuis la perspective qui est aujourd’hui la nôtre, —celle de 2013— pourquoi ne pas tirer quelques leçons quant à cette stratégie d’intervention au sein du PQ ainsi que sur l’analyse qui la sous-tend ? A-t-elle fait naître et croître un courant progressiste et influent au sein du PQ ?
Il faut bien reconnaître que non, à tel point d’ailleurs que le SPQ libre a même été forcé de se dissoudre comme club politique en 2010, banni sévèrement par Pauline Marois, elle-même.
A-t-elle été capable de radicaliser les traditionnelles positions du PQ, tant au niveau national que social ?
Une fois encore, il faut bien reconnaître que non, et particulièrement depuis l’arrivée en scène de Pauline Marois en 2007 [2] qui non seulement s’est pliée à la plupart des diktats néolibéraux, mais encore a reculé sur la question du référendum et de l’accession à la souveraineté.
A-t-elle enfin permis d’éviter la division du vote souverainiste ou tout au moins d’en réduire la portée ?
Pas un seul instant. Tout au contraire, en 2004 Pierre Dubuc avait même jugé, au regard des 18% qu’Amir Khadir avait obtenus en 2002 au nom de l’UFP, dans Mercier, « qu’il n’y a pas eu de saut qualitatif » en termes d’émergence de courants souverainistes alternatifs. Dirait-il aujourd’hui la même chose, à voir aller les 2 députés de QS, leurs 10% d’appui régulier dans les sondages, auxquels il faut rajouter les 5% d’Option nationale ? À relire le texte qu’il vient de signer, on aurait bien pourtant l’impression que oui.
Caution de gauche du PQ ?
Ce qui fait qu’on est obligé d’en arriver à la conclusion que plutôt que d’aider au développement d’une gauche indépendantiste et progressiste chaque fois plus influente, le courant de Pierre Dubuc et Marc Laviolette a servi « dans les faits » de caution de gauche au PQ, un parti qui depuis 10 ans n’a cessé de se « néo-libéraliser » et d’émousser son tranchant souverainiste, en somme de perdre son âme des années 70. De quoi semer d’autant la confusion dans les rangs des souverainistes, en bloquant —ou pour le moins en freinant— les possibilités d’une recomposition plus rapide ou d’une renaissance plus vive d’un mouvement indépendantiste fort au Québec.
Sans doute ne faut-il pas exagérer indûment l’influence d’un tel courant. Mais justement dans la période qui est la nôtre –une période de recomposition et de transition— toutes les forces peuvent avoir leur importance, tant reste incertaine la lutte entre ceux et celles qui aident à accoucher de l’avenir et d’autres qui à l’inverse freinent des 4 fers et désorientés, s’agrippent désespérément au passé. Particulièrement au sein de la mouvance souverainiste et dans certains secteurs du mouvement syndical institutionnalisé où nombreux sont ceux qui restent nostalgiquement attachés à la période des années 60/70, âge d’or de l’affirmation nationale.
En un sens, le courant de l’ex SPQ libre pourrait bien représenter cette antidote à la mauvaise conscience d’un certain « establisment syndical » qui ne parvient toujours pas à rompre avec le Parti québécois, ni à se distancier de ses politiques actuelles si peu au service des salariés ordinaires.
Or c’est qui reste difficilement compréhensible : que des militants expérimentés et aguerris (Pierre Dubuc n’a-t-il pas été membre du RAP [3] et Marc Laviolette président de la CSN) se prêtent à de tels jeux. Comme s’ils ne voulaient pas voir que les temps avaient bien changé, et que, s’il faut comme jamais prendre en compte quand on est de gauche la question de l’indépendance du Québec, il reste aussi à savoir la penser autrement que dans les termes des années 60/70. Ne serait-ce que pour tenir compte des échecs des référendums de 1980 et de 1995 ainsi que des nouvelles données nées de la mondialisation néolibérale.
Les vieux débats d’antan
Et l’on aura beau chercher appui –comme nos deux compères cherchent à le faire— dans la rhétorique de gauche du passé, cela ne sera pas pour autant plus convaincant, loin de là ! Certes on peut bien, pour tenter de saper l’argumentation d’Amir Khadir —lui qui met en évidence comment le milieu des affaires québécois se serait aujourd’hui largement fédéralisé— revenir aux vieux débats caricaturaux d’antan et aux brutaux changements de lignes qui avaient à la fin des années 20 et début des années 30 tant affaibli l’action de 3ième internationale déjà largement stalinisée. Et on peut le faire en cherchant à opposer la « mauvaise » stratégie gauchiste et sectaire de « classe contre classe » (à partir de 1928) à celle apparemment plus prometteuse des fronts populaires et des alliances avec la bourgeoisie (à partir de 1934/36). Sauf que ces lointains référents historiques n’ont strictement rien à voir avec la réalité d’aujourd’hui. À moins de nager en pleine science fiction et d’imaginer Françoise David ou Amir Khadir comme 2 dangereux gauchistes sectaires auxquels on opposerait le bon sens politique et la sagesse conciliatrice de Pierre Dubuc et Marc Laviolette. Presque le monde à l’envers [4] !
Il faut dire que le texte de nos 2 compères ne fait pas vraiment dans la dentelle, tant on y retrouve –plus souvent qu’autrement— arguties biscornues et raccourcis de mauvaise foi [5].
Et c’est infiniment dommage dans la mesure où l’on aurait besoin aujourd’hui comme jamais d’un débat en profondeur, large et ouvert, au sein du mouvements souverainiste et des forces de gauche, sur les stratégies pouvant nous conduire à une authentique indépendance et souveraineté populaire alors que par ailleurs on se heurte à une hégémonie néolibérale grandissante. Mais, au-delà de tous ces anathèmes, on ne nous renvoie finalement dans ce texte qu’à ce seul argument de fond : "le Parti québécois, fort de ses 90 000 membres, demeure le seul parti de masse au Québec et constitue toujours le vaisseau amiral de la coalition souverainistes ».
Est-ce sur la base de données quantitatives et organisationnelles dénuées de toute mise en contexte socio-politique et de toute perspective historique, qu’on peut définir une stratégie de transformation sociale et politique sur le long terme ?
On serait tenté de répondre par la négative, à moins d’imaginer, comme ils nous appellent à le faire avec la citation du très machiavélique cardinal de Richelieu qu’ils ont mis en exergue de leur texte (La politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire), que pour eux la politique se réduit à n’être qu’une affaire d’État.
N’est-ce pas précisément ce qu’il faut aujourd’hui oser penser différemment ?
Pierre Mouterde
sociologue et essayiste
Dernier ouvrage (avec Patrick Guillaudat) : Hugo Chavez et la révolution bolivarienne, Promesses et défis d’un processus de transformation sociale, Montréal, Éditions M, 2012. Voir son site : http://www.lestempspresents.com/Les...

Notes
[1] Voir À Bâbord n. 5, été 2004
[2] Pour la petite histoire, il faut savoir que Pierre Dubuc avait donné –lors du duel André Boisclair/Pauline Marois pour succéder à Bernard Landry en 2005 à la direction du parti— son vote à cette dernière.
[3] Pierre Dubuc a aussi été au début des années 80, membre de l’Union bolchévique, groupe indépendantiste maoïste. Quant à Marc Laviolette, il a été un militant ouvrier du Parti Communiste Ouvrier.
[4] Bien sûr, on peut toujours tenter de mener des comparaisons historiques éclairantes, mais il faudrait pour cela pouvoir comparer ce qui est comparable. Par exemple c’est une chose quand on est de gauche d’être favorable à des « fronts » sur le modèle par exemple des fronts populaires des années 30 en Europe, c’en une toute autre de prôner l’adhésion à un parti nationaliste comme le PQ qui, rappelons-le quand même, n’a jamais voulu se définir officiellement comme social-démocrate et n’a pu se caractériser comme ayant « un préjugé favorable aux travailleurs » que pendant une très courte période au début des années 70.
[5] Voir entre autres, la comparaison boiteuse —tant les contextes historique sont différents— entre le démantèlement de l’Union soviétique à la fin des années 90 et celui appréhendé du PQ, en les jaugeant à travers les réactions d’espoirs qu’auraient à l’époque exprimées des « sectes trotskistes », elles qui à l’instar de Qs –doit-on en conclure (?)— espéraient en bénéficier alors qu’il n’en fut rien. Voir aussi l’appréciation taxée « d’euphorique » d’Amir Khadir concernant la conjoncture nationale et internationale telle que dépeinte dans son texte, lui qui selon eux se serait "extasié", devant les vertus du printemps arabe, sans que le texte ne rappelle jamais combien le député de Mercier s’est battu pour que la lutte étudiante puisse se traduire aussi en termes de gains politiques, précisément à l’encontre de toutes les doubles langages et récupérations péquistes. Voir aussi leurs grossiers amalgames et raccourcis subséquents faits entre des altermondialistes qui flirteraient avec la mouvance islamiste (lesquels, où, quand, comment ?) et la position de QS défendant le « voile islamique, tout en affirmant, bien entendu, vouloir lutter contre le patriarcat !!! » (sic).


Laissez un commentaire



6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    9 juin 2013

    Voir ma réponse, plus élaborée, à ce pénible exercice de propagande d'une faction archéopolitique de QS :
    Presse gauche/qs : la décomposition d’une culture politique de gauche !
    http://www.vigile.net/Presse-gauche-qs-la-decomposition
    Yves Claudé

  • Archives de Vigile Répondre

    7 juin 2013

    "PLQ-PQ même combat selon la ligne partisane, sans égard pour l’intérêt supérieur du peuple dont vous vous réclamez."
    M. Pomerleau,
    Quel est l'intérêt supérieur du peuple?
    Ça ne serait pas que tous les citoyens sans exception aient accès à une vie décente et heureuse?
    Je dois admettre que dans ce sens, même si je n'ai pas voté à la dernière élection parce que je ne suis pas d'accord avec le processus électoral que nous avons au Québec, Québec solidaire est le parti qui va le plus loin dans l'intérêt supérieur du peuple en ayant à son programme un revenu minimum garanti de 12 000$ par année pour tous les Québécois sans exception.

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    6 juin 2013

    Avant de mettre en doute la bonne foi de MM Laviolette et Dubuc, il faudrait d'abord que vos porte-parole répondent de leurs probités, gravement remis en cause dans ce texte :
    http://www.vigile.net/L-enfumage-de-Quebec-solidaire
    Malgré la gravité des faits reprochés, j'attends toujours une réponse de la part de Québec Solidaire. Peut-être pourriez-vous le faire au nom de votre parti, si prompt à donner des leçons de probité à tout le monde par ailleurs.
    Pourquoi MM Dubuc et Laviolette demeurent fidèle au Parti Québécois, malgré ces lacunes. C'est qu'ils ont compris que c'est le seul choix véritable pour empêcher que le contrôle de notre État passe aux mains des libéraux et de leurs réseaux de prédateurs. Ce qui ne semble pas être une grande préoccupation pour Québec Solidaire. PLQ-PQ même combat selon la ligne partisane, sans égard pour l'intérêt supérieur du peuple dont vous vous réclamez.
    En fait, dans la vraie vie, la mission première de Québec Solidaire, est de favoriser la réélection des libéraux. Le reste c'est de l'enfumage.
    Jean Claude Pomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    6 juin 2013

    Madame Émilie B.
    Vous vous méprenez, je ne m'attaque pas aux femmes. Je décris ce qu'est la nature féminine et sa sensibilité différente de celle des hommes.
    Les femmes ont plus peur du changement, c'est connu. Elles ont toujours été plus réticentes au projet souverainiste par exemple.
    Le Système, qui connaît bien la nature humaine, homme et femme, utilise de plus en plus de femmes pour occuper des postes de pouvoir en politique parce qu'il sait qu'il peut davantage compter sur les femmes, qui sont de nature plus réfractaires au changement, pour se maintenir.
    Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Les femmes sont aussi intelligentes que les hommes et peuvent faire bien des choses aussi bien, même mieux que les hommes.
    Cependant, la nature féminine est définitivement plus réfractaire au changement. J'y vois là l'instinct maternel qui préfère s'appuyer sur des certitudes.
    Le problème, c'est que le Système, c'est en résumé le "chacun pour soi" et le "au plus fort la poche". Et ce Système brise des vies à longueur d'année. Il n'y a qu'à penser qu'au Québec, c'est dans les classes socio-économiques les plus défavorisées qu'il y a le plus de solitude et le moins d'enfants.
    Est-ce que depuis qu'on a plus de femmes en politique, le niveau de vie des Québécois s'est amélioré un tant soit peu? Est-ce qu'elles ont fait mieux que les hommes?
    Font-elles preuve de plus d'humanité que les hommes? Permettez-moi d'en douter. N'est-ce pas madame Maltais qui a fait la vie dure aux assistés sociaux en début d'année?
    En espérant avoir clarifié mon point de vue.
    Michel Bélisle

  • Archives de Vigile Répondre

    6 juin 2013

    @ Michel Bélisle
    J'aie passé paragraphe par paragraphe pour vous répondre et finalement j'aie fait une conclusion au lieu de répondre comme je le prévoyais. Ma conclusion, votre propos est truffé de préjugés, de manque de connaissance des femmes, de manque de connaissance de l'histoire et de sexisme.
    J'en reviens tout simplement pas que vigile ait publié (ici je retiens un mot qui leur déplairait) de tels propos qui n'ont aucun bon sens et qui s'attaquent aux femmes aussi gratuitement.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 juin 2013

    J'ai déjà dit que les femmes étaient, en général, plus attachées au Système que ne le sont les hommes.
    Il faudrait donc que messieurs Laviolette et Dubuc comprennent cela et ils verraient qu'avec madame Marois à la tête du PQ, le Système ainsi que le fédéralisme canadien ne sont nullement menacés.
    Il faut comprendre que l'idéalisme est davantage le propre de l'homme, la femme étant trop près, de par sa nature maternelle, des besoins journaliers.
    Pour l'instant, c'est le Système qui régit l'économie mondiale mettant le Marché et ses besoins au centre de l'univers obligeant les êtres humains à se rendre utile au marché pour survivre.
    Les femmes sont portées à fonctionner avec la donne existante parce que c'est dans leur nature. Ça fait partie de l'instinct maternel.
    D'ailleurs, on n'a jamais vu le statu quo social, économique et politique avoir autant de vigueur que depuis qu'il y a plus de femmes en politique partout en Occident.
    Je n'ai jamais entendu parler d'une femme à l'origine de la souveraineté d'un pays quelconque. Par exemple, c'est De Valera qui a amené l'Irlande au statut de république, c'est Havel qui était là quand la république Tchèque a pris ses distances de la Slovaquie etc...
    Ce sont des hommes qui pourraient davantage penser à réformer le Système en mettant par exemple l'être humain et ses besoins au centre de la vie en société.
    Mais les hommes du 21e siècle ont de la difficulté à mettre leurs culottes, comme on dit, ce qui est caractéristique d'une époque décadente.