Adossés à leur veto onusien, les Russes reprennent la main

Géopolitique — Russie




Après les épisodes divers et le déchainement de critiques qui ont accompagné et suivi les deux vetos russe et chinois à l’ONU contre la résolution syrienne du bloc BAO, les Russes ont pris l’initiative avec la visite de Lavrov (accompagné du chef du renseignement militaire) à Damas, le 7 février. Lavrov était optimiste après cette rencontre, estimant que le gouvernement syrien est absolument ouvert à des conversations et à des négociations. (Du côté de l’“opposition”, dont la diversité exotique et parfois surprenante est un des caractères essentiels, la position courante à cet égard est l’intransigeance.)
Signe que la Russie commence, ou recommence à prendre une place importante dans la crise syrienne, le nombre de consultations et de déclarations qui ont suivi cette visite. Lavrov s’est entretenu hier avec les ministres des affaires étrangères allemand et britannique, qui l'avaient contacté. Le Turc Erdogan a téléphoné à Medvedev. Tous ont parlé de la mission de Lavrov en Syrie. Du côté de l’ONU, le secrétaire général a annoncé que la Ligue Arabe voulait reprendre la mission qu’elle avait interrompue le 28 janvier, avant le vote de l’ONU. Les Russes sont partisans de cette initiative.
• Les Français ont fait des efforts particuliers vers les Russes. Un coup de téléphone de Sarko à Medvedev pour savoir ce qui s’était passé à Damas mardi. Medvedev a rappelle à Sarkozy que toute “démarche unilatérale précipitée” (lisons : intervention type-Libye) devait être proscrite. Sarko a “regretté” le veto russe à l’ONU, pour justifier l’étrange diplomatie française. Plus intéressante pour apprécier l’effort français de rapprochement des Russes, une interview de l’ambassadeur de France à Moscou à Kommersant ; quelques extraits depuis Novosti, ce 9 février 2012…L’ambassadeur tient à dire que la France comprend la Russie et ses préoccupations devant les dangers de déstabilisation en Syrie (c’est-à-dire en cas d’intervention étrangère), tout en traçant malgré tout quelques contours enchanteurs du temps d’après-Assad (ce qui suppose éventuellement qu’on songe toujours à une intervention), avant de terminer sur l'exaltation des relations entre la France et la Russie, grandes nations amies s’il en est… C’est qu’il s’agit d’empaqueter tout et son contraire, tout en marquant nettement que la France ne veut surtout pas se brouiller avec la Russie.
«“Nous comprenons les préoccupations de la Russie. Nos amis russes nous ont dit qu'ils redoutaient une déstabilisation prolongée dans la région, ainsi que le renforcement de groupes sunnites radicaux. Nous voyons également un tel danger”, a déclaré le diplomate, en ajoutant que Paris n'exigeait pas un changement brusque du régime.
»“Quant à la Syrie future, après le départ de (Bachar) el-Assad, nous croyons que les mécanismes démocratiques permettront finalement de trouver la bonne formule. Même les Frères musulmans, s'ils obtiennent le pouvoir, abandonneront leurs slogans actuels et lanceront une politique plus modérée. Je dirais que nous sommes prêts à prendre le risque de la démocratie, et nous estimons que ce risque est justifié. Mais, bien évidemment, il s'agit dans une certaine mesure d'un risque”, a indiqué l'ambassadeur.
»M. de Glistiany a cependant fait remarquer que les divergences sur la crise en Syrie n'affecteraient pas les relations russo-françaises, les deux pays occupant toujours des positions très proches sur plusieurs problèmes.»
• Enfin, il y a eu une déclaration du Premier ministre Poutine, en campagne pour les présidentielles de mars. Poutine a rappelé sans ambigüités les grandes lignes de la position russe, qui est certes de condamner les violences en Syrie, d’où qu’elles viennent, mais aussi et surtout d’éviter toute intervention étrangère qui ne ferait qu’aggraver les choses et augmenter le volume des violences. Novosti rapporte cette déclaration du 8 février 2012, où un passage intéressant est consacré à un rappel historique de l’aventure libyenne, – histoire de rafraîchir les mémoires très courtes.
Poutine «a rappelé la situation en Libye où l'opposition a renversé le régime de Mouammar Kadhafi avec le soutien des troupes de l'OTAN autorisé par l'ONU. “Je comprends bien la nature de l'ancien régime libyen. On en a beaucoup parlé. Mais personne ne parle de la situation qui prévaut actuellement à Syrte et d'autres villes libyennes qui avaient appuyé Kadhafi. On y commet des crimes épouvantables et personne n'en parle, parce qu'il s'agit des conséquences horribles de l'ingérence étrangère armée”, a indiqué M. Poutine. Cela pourrait arriver aussi en Syrie, selon lui.»
Il est manifeste que l’épisode maniaque des “hystériques” est temporairement clos. Les hurlements qui ont accompagné les vetos chinois et russe à l’ONU sont oubliés, puisqu’il faut bien revenir, du moins pour l’instant, aux réalités. Pour cela, les Russes sont intervenus avec fermeté et célérité, d’abord en qualifiant les réactions suite à leur veto d’“hystériques”, ensuite en allant voir Assad en grand équipage, pour enfin regrouper les parties intéressées autour de l’ouverture de cette nouvelle phase. Les acteurs du bloc BAO sont bien obligés de s’extirper, au moins pour une période, de leur phase maniaque, parce que les données générales de la situation ne leur permettent pas de faire autrement dès lors que les Russes interviennent comme ils le font. Certains parmi eux (les Français, bien sûr) se rappellent soudain que la Russie pèse son poids, en Syrie, au Moyen-Orient, mais aussi et surtout en Europe, et qu’elle ne peut être expédiée d’un “c’est un scandale !” (Juppé) saluant le veto, ni de la dégoûtation insupportable de l’ambassadrice US à l’ONU.
L’épisode a donc eu pour effet de donner aux Russes une stature qu’ils n’avaient pas auparavant dans l’affaire syrienne. Ils retiendront la leçon : lorsqu’ils soutiennent le bloc BAO (cas de la Libye), ils sont marginalisés et le bloc BAO peut développer à loisir sa politique maniaque et interventionniste, avec les effets catastrophiques qu’on sait. Lorsqu’ils s’y opposent, avec un bon vieux veto, le respect renaît aussitôt et tout le monde saute sur son téléphone pour consulter MM. Medvedev, Poutine et Lavrov. Bien entendu, ce ne devrait être qu’un entracte et l’on devrait rapidement en revenir aux errements de la pathologie américaniste-occidentaliste. La seule politique possible des Russes (et des Chinois, et des autres, etc.) est de rester sur cette ligne qui privilégie les négociations et refuse de voir perpétuellement bafoué le principe de la souveraineté nationale. Leur position est d’autant plus influente qu’ils s’adossent effectivement à un principe, comme faisait la diplomatie gaulliste du temps où elle existait, et qu’ils ont à côté d’eux leur arsenal d’influence et de quincaillerie. Le bloc BAO, lui, continuera ses va-et-vient, volte-face, etc., avec de temps en temps un retour au réel pressant, à l’aune de la puissance russe, avant de sombrer à nouveau dans ses délires humanitaristes et les divers complots qui vont avec. La diplomatie américaniste-occidentaliste n’existe plus, sinon pour entretenir à plaisir les crises qu’elle contribue à créer puis à aggraver.
Mis en ligne le 9 février 2012 à 11H12


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