Délire traditionaliste
30 août 2010
Monsieur Nadeau,
Je le répète, malgré les réserves que m'inspirent certains aspects de la pensée de M. Bock-Côté, je ne pense pas qu'il se montre excessif sur la question spécifique d'une éventuelle charte de la laïcité.
Son texte m'est apparu comme un simple appel à la prudence. La laîcité concerne l'État, le fonctionnement des institutions gouvernementales. Autrement dit, ni l'État ni ses représentants n'ont de quelque façon que ce soit l'obligation de conformer les lois et la politique qu'ils mênent à la Bible, au Coran ou à tout autre livre dit sacré, pas plus qu'aux encycliques des papes ou aux fatwas des imams.
Cela dit, rares sont les cultures nationales qui n'ont pas été marquées par une religion, une religion qui leur a dans bien des cas servi de matrice et qui y a profondément inspiré l'art et la pensée sous toutes leurs formes : architecture, peinture, philosophie, etc. En Occident, depuis quelques siècles, la culture s'est graduellement émancipée de la religion, bien sûr. Mais n'en a-t-elle pas gardé de nombreux traits ? M'est avis que même l'athéisme, chez un peuple héritier d'une culture marquée par le catholicisme, n'a pas la même saveur que chez un peuple de tradition protestante.
Or, et c'est là la question essentielle, la laîcité doit-elle aller jusqu'à purger chaque culture nationale de tout ce qui, en elle, a une origine ou une source religieuse, comme s'il s'agissait là d'une maladie honteuse ?
À cette question, M. Bock-Côté répond non et je suis bien d'accord avec lui là-dessus. La laîcité doit se limiter à soustraire l'État à toute autorité religieuse quelle qu'elle soit, non à reformater la culture du haut d'une tour d'ivoire.
Pour bien illustrer ma vision des choses, sortons du Québec, voulez-vous ? Prenons un pays étranger, par exemple le Maroc. Je souhaite que le Maroc devienne un jour un État véritablement laïc, affranchi de toute espèce de tutelle coranique. Une fois cela fait, on peut cependant parier que la fin de semaine, au Maroc, demeurerait formée du vendredi suivi du samedi. Et puis après ? Faudrait-il voir en cela une entorse au caractère laîc de l'État marocain ? Voyons donc !
Or il se trouve chez nous des hyperlaïcistes pour qui l'origine chrétienne de notre fin de semaine (le dimanche précédé du samedi) et de la plupart de nos congés fériés contrevient au principe de laîcité. Franchement, ces gens-là ont de la laîcité une conception pour le moins fanatique. Tout peuple a, dans sa culture, un héritage religieux et le principe de la laîcité de l'État n'en exige nullement l'éradiction totale.
Vous prêterez attention, en décembre prochain, aux notables qui s'abstiendront de souhaiter «Joyeux Noêl» à la population, convaincus qu'ils sont (ou s'efforcent d'être) que cela offenserait les non-chrétiens et mettrait en péril la laîcité. Vous verrez qu'il s'agit bien plus que de cas isolés et que l'on est en présence d'une sorte de pathologie.
Personne ne soutient que, pour faire partie de notre peuple, il faille être catholique. Mais il faut néanmoins en accepter la culture, laquelle comporte, en partie, des traits catholiques ou, si l'on veut, des éléments d'origine catholique ou plus largement chrétienne dont la pérennité ne menace en rien le principe de la séparation de l'Église et de l'État.
Luc Potvin
Verdun