1. Un défaitisme ou fatalisme « réaliste »

On ne doit donc pas croire que la population québécoise ne veut plus de l’indépendance, mais plutôt constater et démontrer froidement que le « champ de ruines » (Jacques Parizeau) où se trouvent maintenant les souverainistes est le produit d’une action fédéraliste très efficace et impitoyable, à savoir la destruction du mouvement souverainiste québécois en agissant subversivement de l’intérieur même du mouvement.

Ce moyen anti-démocratique est tout à fait courant, classique de nos jours en « démocratie ».  La C.I.A., la G.R.C. ou tout le fédéralisme canadien sont maîtres dans cet « art » de couler une opposition en agissant de l’intérieur même de cette opposition.

Pierre Vadeboncoeur a parfaitement décrit tout ce processus il y a déjà quarante ans, par exemple :

Plusieurs étaient persuadés depuis dix ans, à la CSN, que la police politique existait et qu’elle prenait d’année en année une plus grande ampleur.  La mission générale d’une telle police, selon cette vue, était à la fois anti-québécoise, anti-syndicale, et anti-démocratique de diverses façons.  On avait acquis la conviction, depuis 1968 ou 1969 surtout, qu’elle accomplissait simultanément des centaines de petites missions particulières, avec le concours de centaines de petits agents ne faisant pas partie de la force officielle. […]     L’infiltration que l’on devinait paraissait très considérable.  L’action d’agents provocateurs de même.  De fait, des mouvements et des partis avaient été subvertis, rendus odieux, affaiblis, exténués jusqu’à l’extinction.  (Pierre Vadeboncoeur,  La GRC, subversive (nov. 1977), dans Chaque jour, l’indépendance…, Montréal, Leméac, 1978, pp. 82-83.  Je souligne. Vadeboncoeur décrivait carrément là le sort futur du P.Q.!)

On se répand jusque dans la politique des villages, dont on s’empare des charges.  On est dans les hôpitaux, dans les commissions scolaires.  On monopolise autant que possible la presse, on occupe les lignes ouvertes, on s’infiltre dans les syndicats, on pratique l’écoute électronique, on dresse des dossiers sur les gens, on a recours aux agents provocateurs, on soudoie des militants pour en faire des informateurs, on suscite des violences, […] on fait de l’agitation interne dans les groupements démocratiques; […] on maintient comme toujours une armée d’organisateurs et d’entremetteurs politiques, on distribue des contrats de fournisseurs, on s’attache des professeurs par des commandes de recherches, on accapare les ondes avec tous les divertissements imaginables, on occupe le pays de balivernes […]. (Pierre Vadeboncoeur, La découverte du génocide (juin 1976), dans Un génocide en douce.  Écrits polémiques.  Montréal, L’hexagone/Parti pris, 1977, p. 37.)

Après un demi-siècle de cette « thérapie-choc » fédéraliste, on ne peut être que devant un « champ de ruines » souverainiste, non seulement au reste dans le mouvement souverainiste mais aussi très largement dans toute la société québécoise (entre autres en éducation pour les garçons…).  On  comprend également facilement par ces informations de Vadeboncoeur ce qu’un Denis Coderre est venu faire en politique municipale à Montréal…

Si on veut vraiment être défaitiste ou fataliste, il faut que ce soit pour les bonnes raisons.  On ne doit ainsi pas croire que la population ne veut plus vraiment de l’indépendance, mais plutôt dévoiler clairement que les forces fédéralistes nous enserrent dans un étau tel que nous ne pouvons plus nous déprendre.  Si aucun des « sauveurs » potentiels susmentionnés ou tout autre de stature équivalente que je ne connais pas ne veut s’impliquer, ne vient à notre secours, on ne pourra certes s’en tirer longtemps contre l’immigration massive et le contrôle complet de notre scène politique dite souverainiste par des bourreaux péquistes et bloquistes placés et dirigés par le fédéralisme.

Nos jours sont en effet vraiment comptés si ne se manifeste aucun tel leader capable et désireux d’affronter cette catapulte fédéraliste et de s’opposer à cette arme de destruction massive qu’est l’immigration massive légale et illégale.  Nous aurons alors finalement échoué à survivre comme peuple de langue française en Amérique du Nord, à la grande joie des Canadians et des Québécois vendus à ces Canadians qui auront ainsi enfin réussi à nous minoriser au Québec et à entraîner notre anglicisation et notre assimilation.

2. Un peu d’oxygène…

Je ne veux cependant pas terminer mon texte ainsi.  J’aimerais faire ressortir un peu d’oxygène dans ce fatalisme.  C’est certes au fond très irresponsable d’attendre un quelconque « sauveur ».  Il y a assez de militants souverainistes authentiques pour pouvoir faire quelque chose qui nous ferait avancer concrètement.

Malheureusement, les souverainistes sont forts en gueule mais faibles en action (je m’inclus dans le lot…).  Par exemple, il y a une dizaine d’organisations indépendantistes et de mouvements sociaux dans le Oui Québec:  que de temps, d’argent et d’énergie à palabrer sans jamais vraiment agir et sans jamais vraiment aboutir à quoi que ce soit, non?

Ne pourrait-on pas commencer des actions directes et concrètes, compte tenu qu’on sait que le P.Q. n’a à peu près rien fait depuis presque un quart de siècle et qu’il va très possiblement ou probablement continuer ainsi à ne rien faire tellement la mainmise fédéraliste sur lui est forte?

Par exemple, les Denis Coderre et Valérie Plante ont déjà commencé à faire la partition du Québec en lui soutirant de plus en plus Montréal:  c’est très bien de dénoncer ce projet et de manifester contre, mais ne pourrait-on pas aussi travailler à mettre en place pour les prochaines élections municipales un nouveau parti qui respecterait les valeurs nationalistes québécoises?  Même si on n’avait pas un gros nom comme chef, une bonne organisation honnête pourrait assez faire l’affaire.  Plante était absolument inconnue mais a été élue.

Les actions subversives des fédéralistes que Vadeboncoeur nous a décrites, les souverainistes devraient en partie s’en inspirer mais de façon positive et sans se cacher comme le font ces derniers.  Il faut aller travailler sur le terrain partout au Québec pour s’opposer à la destruction de notre nationalisme et de notre société par les fédéralistes.

Plein d’initiatives concrètes pourraient et devraient être entreprises pour commencer à essayer de combler notre « champ de ruines », sans attendre naïvement les bras croisés que notre bon P.Q. fédéraliste fasse finalement quelque chose, ni attendre béatement un quelconque sauveur.

3.  Positivisme de Bock-Côté

Nonobstant ce qui a été décrit plus haut comme un aspect néfaste de l’analyse de Bock-Côté sur l’état du nationalisme québécois, on doit certes reconnaître que ce dernier laisse quand même passer de l’oxygène dans son « fatalisme ».

On constate ce positivisme dans ses textes comme, par exemple :  Réflexions sur la refondation à venir de l’indépendance, le Journal de Montréal, 3 juillet 2018; Éléments pour un programme nationaliste décomplexé, le Journal de Montréal, 20 juin 2018; Indépendance:  ceux qui tiennent bon, le Journal de Montréal, 16 mai 2018 ; etc.

André Lafrenaie