… Peut-être, mais pas de la gauche tout court. En effet, avec un nombre record de députés fédéraux élus sous la bannière du NPD, on ne peut soutenir que cette orientation politique soit en péril au Québec, bien au contraire. Qui plus est, l’engouement populaire pour un certain Khadir, improbable avant 2008, laisse augurer une certaine progression, à défaut d’une progression certaine, de Québec solidaire si des élections étaient déclenchées à l’automne, comme il se chuchote, malgré les dénégations de Jean Charest. Nombreux sont ceux qui prêtent, non sans motif, à notre si fiable premier ministre le désir de couper l’herbe sous le pied de François Legault, incarnation suprême d’un changement sans but vraiment défini, qui distille au compte goutte une plate-forme électorale fantomatique aux contours sibyllins et dont le concept même de « gauche pragmatique » devrait inciter au questionnement.
Élu une première fois sous Lucien Bouchard à la tête d’un gouvernement qui, bien que péquiste, jadis à gauche sous René Lévesque, s’est démarqué comme le plus à droite de l’histoire récente du Québec, Legault, réélu en 2003, est devenu porte-parole de l’Opposition officielle pour les finances et le développement économique, un poste qui n’a que peu à voir avec des préoccupations traditionnellement gauchistes. Son départ en 2009 en vue de fonder la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ) reste cependant annonciateur de la crise que traverse en ce moment le Parti québécois et qui causera sa fin probable.
Les aficionados du PQ s’en détachent pour trois raisons : la remise aux calendes grecques de l’agenda souverainiste, ce que fait pourtant Legault, qui ne touche cependant pas la même clientèle; une distanciation certaine de la gauche pure et dure, qui s’inscrit davantage dans une continuité « lucide », tandis que le PLQ se montre plus interventionniste que jamais, et enfin, un opportunisme électoral évident qui a suscité, avec le dossier de l’amphithéâtre de Québec, le départ fracassant de cinq députés « significatifs » du PQ.
L’avènement d’Option Québec, le parti de Jean-Martin Aussant, un leader doté du charisme d’un vicaire et dépositaire d’un discours aussi exaltant qu’un Prions en église, fera sans doute la preuve, d’ici six mois, que les dissensions internes ne constituent pas le lot exclusif du PQ, mais bien du mouvement souverainiste. Les frictions entre souverainistes font partie intégrante de l’histoire de ce mouvement, comme en témoigne l’affrontement entre René Lévesque et Pierre Bourgault, chef du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) lors de la fondation du PQ.
De héros à zéro
Le Québec n’a pas pardonné, le 2 mai dernier, son arrogance à Gilles Duceppe, co-responsable du déclenchement anticipé d’élections fédérales alors qu’il condamnait cette pratique deux ans et demi auparavant quand Stephen Harper y a eu recours. Or le Bloc québécois a incarné pendant vingt ans, en plus de la défense présumée des intérêts supérieurs du Québec à Ottawa, des valeurs de social démocratie. Se proclamant, bien qu’oeuvrant sur la scène fédérale, comme souverainistes temporaires s’opposant au fédéralisme centralisateur de Jean Chrétien, l’équipe du Bloc se voulait l’alternative ultime aux coupures draconiennes dans les transferts aux provinces effectués dans la perspective de l’atteinte forcenée du déficit zéro de Paul Martin. Cette position a été rentable électoralement, comme en témoignent les victoires répétées du Bloc.
C’est certainement l’usure d’un pouvoir plus électoral que décisionnel que les Québécois ont rejeté, en plus de la lassitude d’un discours souverainiste redondant, sans renouveau et prétexte, davantage du côté péquiste que bloquiste, aux psychodrames échevelés, qui aura enfoncé le dernier clou de cercueil du Bloc. En clair, l’équation que les valeurs de gauche ne pouvaient trouver leur aboutissement suprême que dans le cadre de la souveraineté ne passe plus. Exit l’option souverainiste, mais le Québec, ayant voté massivement pour le NPD, ou devrait-on dire pour Jack Layton, est resté plus que jamais rattaché à des valeurs de gauche.
Deux colosses au pied d’argile
L’essor du syndicalisme et du féminisme, dans la foulée de la révolution tranquille, coïncide avec la naissance du Parti québécois. Comme ce dernier, ces deux mouvements de gauche ont connu une progression et une dégénérescence similaires que je baptiserais syndrome de Desjardins, à l’origine mouvement coopératif au service des petits épargnants, devenu, à l’instar des grandes banques devant qui il posait en alternative, une entreprise n’ayant plus que sa propre expansion pour objectif. Syndicalisme et féminisme, au sens où ces deux mouvements se définissaient à l’origine, n’ont plus de gauche qu’un vague vernis, que l’injure du temps achève de corroder. Leur propre développement représente également leur première raison d’être.
Il suffit de lire le Journal de Montréal pour constater à quel point le syndicalisme y est mis à mal. Après deux ans de lock out, il faudrait être bien naïf pour ne voir dans une telle orientation qu’un effet du hasard. Pour conditionnées qu’elles semblent, plusieurs critiques demeurent cependant fondées et ne font que reformuler un constat populaire de plus en plus affiché : les grandes centrales syndicales ressemblent à des privilégiés qui, même en période de crise, restent sourdes à toute concession.
Le cri du cœur de Claudette Carbonneau, lancé dans le cadre de négociations du secteur public, à l’effet de hausser les impôts pour financer les hausses salariales des employés de l’État, n’en aurait pas fait une candidate à un prix de popularité. Quant à une commission d’enquête sur la construction, si redoutée par Jean Charest et la FTQ, ses éventuelles conclusions frapperaient encore plus sévèrement que celles de la commission Cliche tenue en 1974. L’effet d’usure.
Plus dommageable pour la paix sociale que le syndicalisme, puisque son influence s’étend aux deux sexes, le féminisme d’État demeure d’autant plus pernicieux que son influence, immense, s’exerce de façon occulte, pour ne pas dire hypocrite. Les incohérences de ce mouvement restent si spectaculaires que son indice de popularité, au plus bas, tel que la dernière Marche des femmes de la FFQ l’a révélé, annonce un déclin qui pourrait le frapper aussi durement que celui du Bloc et bientôt, du PQ.
Après avoir obligé l’État à privilégier les filles en éducation, incité nos dirigeants à miser sur les besoins des femmes en santé au point où ces derniers se voient onze fois plus financés que ceux des hommes, le féminisme dominant s’est avéré particulièrement toxique dans les politiques familiales et dans les lois régissant le divorce. Après avoir tant interpellé les hommes pour qu’ils cessent de se définir comme pourvoyeurs et se rapprochent de leurs enfants, les féministes militantes se révèlent finalement comme les ennemies acharnées de la garde partagée et revendiquent âprement l’accessibilité accrue des pensions aux ex-conjointes, comme en témoigne l’initiative douteuse d’Anne-France Goldwater, féministe radicale autoproclamée, dans la cause de Lola. Qu’en est-il de la quête d’autonomie financière des femmes des années 60 et 70 ?
Nul doute que la gauche, devant les dérives souverainistes, syndicales et féministes, n’aura d’autre alternative que de se redéfinir. Le Québec, d’une dualité souverainiste-fédéraliste, vient de passer à une autre, opposant la gauche du NPD à la droite de Stephen Harper. C’est le choix que le peuple québécois a fait le 2 mai dernier. Ces trois mouvements jadis marquants et porteurs d’espoir ne sont devenus en bout de ligne que leur triste auto parodie. Tout en reconnaissant leur pertinence initiale, il faudra sans aucun doute en arriver à se distancer de leurs déviances sans pour autant en sacrifier les acquis. Voilà un pari qui exige un discernement auquel nos dirigeants ne nous ont pas habitués.
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