Les nationalismes menacent-ils l'Europe?

Géopolitique — État-nation c. oligarchie mondialiste


C'est un séisme dans le paysage politique néerlandais. Lors des élections législatives organisées mercredi, le Parti pour la liberté (PVV) a vu le nombre de ses députés passer de 9 à 24 et est devenu la troisième force politique du pays. Cette formation, dirigée par le provocateur et xénophobe Geert Wilders, s'est bâtie autour du rejet de l'Islam et de la revendication des valeurs néerlandaises. Un signe inquiétant alors qu'ailleurs en Europe s'expriment des revendications identitaires similaires. L'Union européenne pourrait-elle être menacée par ces résurgences nationalistes? Les réponses de Riva Kastoryano, directrice de recherche au CNRS.
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Comment expliquer le bon score du parti d’extrême droite de Geert Wilders aux élections législatives néerlandaises cette semaine?
Ce n’est pas réellement une surprise. Cela fait un moment que les Pays-Bas développent un discours identitaire, anti-musulman, anti-multiculturaliste, alors même que le multiculturalisme faisait plutôt leur fierté par le passé. Après les assassinats de Pim Fortuyn (2002) et de Theo van Gogh (2004), il y a eu des débats autour de cette question puis une modification de leur politique d’immigration, devenue beaucoup plus restrictive. Parallèlement, il y a eu le rejet de la Constitution européenne lors du référendum de 2005. Au fil du temps, s’est donc affirmé le besoin qu’un parti revendiquant les valeurs néerlandaises soit représenté au Parlement.
Dans une grande partie de l’Europe s’expriment des crispations identitaires. Peut-on établir un lien entre elles?
Ce ne sont pas les mêmes nationalismes qui s’expriment. Quand la France a eu l’idée de débattre de l’identité nationale, c’était l’islam qui était visé. Pour la Belgique, c’est différent, ce sont deux "nations", francophone et flamande, qui se divisent. Néanmoins, il existe un phénomène général, qui a un dénominateur commun: celui du rapport à l’altérité. Dans beaucoup de pays d’Europe, cela s’exprime à travers le rapport à l’islam.
«L'identité nationale n'est pas remise en cause par l'Europe.»
Les différents nationalismes européens seraient donc structurés autour du rejet de l’islam?
En fait, les différents nationalismes européens n’ont plus rien à voir avec les nationalismes territoriaux du siècle dernier qui ont conduit à des guerres. Désormais, on ne se bat plus pour une frontière mais pour affirmer les limites de son identité, de sa culture, de sa langue. D’où cette opposition à l’islam, qui correspond à un phénomène transnational. Quel que soit le pays d’Europe, il existe des revendications communes aux musulmans comme celui du droit de porter le voile.
La crise économique joue-t-elle un rôle?
Les historiens ont montré qu’en période de crise il y a toujours eu une résurgence du populisme, du nationalisme et du rejet de l’autre. La seule spécificité de cette crise-là est qu’elle est globale. Dans ce contexte, qui doit être la cible du rejet?
En Europe de l’Est, on assiste aussi à des crispations nationalistes, en Hongrie, en Slovaquie ou en Roumanie notamment. Ce sont les mêmes nationalismes qui s’expriment ici?
Je ne crois pas. Ces Etats ont été sous la tutelle du bloc communiste pendant plus de quarante ans. Aujourd’hui, ils doivent se soumettre à d’autres règles, celles de l’Union européenne. Il y a peut-être aussi l’affirmation de revendications qui n’ont pas pu aboutir pendant la période communiste.
L’existence de structures supranationales, comme celle de l’Union européenne, favorise-t-elle les crispations identitaires et le nationalisme?
Non, mais cela a conduit les Etats à instrumentaliser le nationalisme.
C’est-à-dire?
Le supranationalisme est normatif. De nombreuses institutions de l’UE, la Cour européenne de justice, la Cour européenne des droits de l’homme ou la Commission, imposent des normes aux Etats. Cela crée une réaction dans laquelle s’engouffrent les partis d’extrême droite. On retrouve donc les mêmes discours et les mêmes phénomènes d’autodétermination, comme par le passé face aux empires et aujourd’hui vis-à-vis de l’Union européenne. C’est comme si les Etats cherchaient à redéfinir leurs principes et leur identité face à ces institutions supranationales.
«Il ne faut pas exagérer l'influence des partis nationalistes.»
Ces poussées nationalistes ou identitaires menacent-elles la construction et la stabilité de l’Union européenne?
Non, car l’Union européenne n’est pas à proprement parler une entité politique. On est citoyen de l’Union parce que l’on est français, belge ou espagnol. L’identité nationale n’est pas remise en cause par l’Europe. Seuls les intérêts économiques nationaux le sont.
Mais l’Union européenne est souvent montrée du doigt par les partis d’extrême droite?
Oui, l’UE est accusée de remettre en cause la souveraineté des Etats. Mais il ne faut pas exagérer l’influence des partis nationalistes. Ils ne sont pas là pour exercer le pouvoir mais pour mobiliser les émotions et faire que leurs préoccupations soient prises en compte par les gouvernements. Maintenant, il existe de vraies tensions. Certains discours trahissent un manque de confiance entre les Etats et peuvent s’apparenter à du nationalisme. Une question s’est ainsi posée, notamment en Allemagne: pourquoi devrais-je payer la dette de la Grèce alors que sa classe politique est corrompue? Angela Merkel a très bien su jouer cette carte. Cela s’apparente à du nationalisme économique.

Propos recueillis par Antoine Malo - Le Journal du Dimanche




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