Le travail ne rend pas libre

« Notre avenir, un dialogue public »

Éric Martin
_ Co-auteur et signataire du manifeste Pour un Québec solidaire, candidat à la maîtrise en science politique à l'Université du Québec à Montréal.
[...] et dans la douleur de nos dépossessions
_ temps bêcheur et temps tellurique
_ j'en appelle aux arquebuses de l'aube
_ de toute ma force en bois debout
_ -- Gaston Miron

Un an après la parution des manifestes, voici que recommence la rengaine des Lucien Bouchard et consorts qui voudraient intégrer pleinement le Québec à la valse macabre de la compétitivité économique mondiale. Les prendre au mot serait bien la façon la plus certaine de précipiter le Québec vers la catastrophe et de voir se dissoudre ce qu'il reste de cette société dans la marmite bouillante de l'économie globalisée.




La «stratégie de création de richesse» des lucides suppose une adaptation tous azimuts des États aux pressions adaptatives exercées par le système capitaliste financiarisé : déréglementation (et augmentation) du travail, réduction des lois environnementales, dérégulation des mouvements de capitaux; bref, élimination de tout obstacle politique ou norme pouvant entraver le «libre» déploiement du capital.
Disons d'entrée de jeu que l'économie néolibérale n'a rien d'une compétition sportive où le Québec serait appelé à «briller parmi les meilleurs». Les populations sont plutôt lancées les unes contre les autres dans une guerre économique dont la seule issue possible est le nivellement par le bas des conditions de travail à l'échelle internationale.
Une course de perdants
Travailler plus dans ce contexte n'équivaudrait qu'à augmenter le niveau d'exploitation général. Or, il n'y a pas si longtemps, le projet d'une «société des loisirs» visait précisément à réduire le stress et l'aliénation du travail. Et voici soudainement que le Travail resurgit pour être proposé comme seul et unique mode de participation à la société.
À la course du Travail, personne ne gagne. Hormis peut-être les rentiers, qui vivent de l'actionnariat, des profits des firmes transnationales et de la spéculation boursière. Quant à eux, les travailleurs du monde, les damnés de la terre (Chinois et Indiens en tête), sont sommés de s'activer pour des salaires de misère, histoire d'augmenter la cadence de (sur)production qui permet de maintenir et d'étendre l'accumulation du profit. Peuples du Sud s'esquintent du matin au soir pour qu'au nord le Cirque du Soleil fasse ses pirouettes. Prolétaires de tous les pays unis dans la non-liberté.
Des solutions de remplacement

Ce modèle économique injuste et suranné n'est plus défendu que par les intellectuels et les politiciens qui sont à la solde de la grande entreprise, ou ceux dont la réflexion s'est pétrifiée dans les années 1990. C'était avant Seattle, en 1999, quand le mouvement altermondialiste s'est opposé à la dérégulation de l'économie, réaffirmant la primauté du politique, c'est-à-dire de la volonté populaire, sur les échanges commerciaux.
Depuis, partout sur le globe, des travailleurs et travailleuses développent des solutions de remplacement économiques fondées sur la coopération et la solidarité. Le film The Take, de Naomi Klein, a par exemple montré des travailleurs argentins engagés dans la reprise autogérée d'usines abandonnées après le krach économique. Le prix Nobel de la paix remis récemment à la Grameen Bank nous a révélé de formidables avancées dans le domaine du microcrédit. Et il reste fort à faire.
Les élites politiques québécoises, hélas, semblent être embourbées dans un dogmatisme économique passéiste et stérile qui les empêche d'être au diapason de ces nouvelles solidarités mondiales. En affaiblissant encore plus le pouvoir des collectivités face aux soubresauts du marché, les plans de «restructuration» qu'elles proposent ne feront qu'accentuer les problèmes qu'elles prétendent régler.
Les grands projets dont elle caresse le rêve n'ont plus rien à voir avec le slogan «Maîtres chez nous» et tout à voir avec les fantasmes d'une économie tertiaire capable de compenser le recul de la production réelle sur le territoire du Québec. Hélas, aucun casino ne viendra compenser les fermetures de scieries et d'usines de textile, et on ne peut blâmer les Québécois de ne pas trépigner de plaisir lorsqu'on les invite à s'extasier pour ces «projets emballants». Il n'y a que la machine économique qui soit emballée, et personne ne devrait plus miser sur ce cheval fou. [...]


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